Maman, marâtre et belle-mère
Les contes de fées ne sont pas tendres avec les enfants sans mère : Cendrillon est maltraitée, Hansel et Gretel sont abandonnés en forêt, alors que Blanche-Neige subit des tentatives d’assassinat à répétition. La faute à leur méchante belle-mère. « Pour se développer, l’enfant doit trouver la mère méchante, pas fine, pas bonne, expose la psychologue et auteure Nathalie Parent. Projeter ça sur la belle-mère, c’est moins menaçant. » Ces contes sont le lieu de naissance du personnage de la belle-mère diabolique, constate Martine Delvaux, professeure au département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « Les contes [de Grimm] ont été modifiés quand ils ont été publiés en versions finales, en 1859, signale-t-elle, et les caractéristiques imputées à la mère ont été imputées à la belle-mère. »
La réalité se montre parfois aussi cruelle que la fiction : au début du XXe siècle, la petite Aurore Gagnon (« l’enfant martyre ») est morte à la suite des mauvais traitements infligés par sa belle-mère. Nathalie Parent juge que cette tragédie « parle surtout de violence ». Elle constate néanmoins que dans cette affaire comme dans les contes de fées, « la belle-mère ne joue pas le rôle qu’elle devrait jouer et le père ne protège pas l’enfant ». L’absence du père – ou sa complicité, explicite ou tacite – est en effet un trait récurrent des histoires de méchantes belles-mères.
Y a-t-il des exemples positifs de belle-mère ? « Ça ne me vient pas spontanément », avoue Marie-Hélène Lebeau-Taschereau, conseillère à la scénarisation pour Conseils de famille, téléroman qui met en scène une famille recomposée. Maria dans The Sound of Music (La mélodie du bonheur) ? « Oui, mais elle ne commence pas comme belle-mère. Elle entre dans la vie des enfants dans un rôle [de gouvernante] qui est souvent dépeint de manière plus positive », souligne-t-elle, en songeant à Mary Poppins. « Ce qui est intéressant dans The Sound of Music, c’est qu’on a la mise en opposition de ce qui serait une mauvaise belle-mère et une bonne belle-mère, estime pour sa part Martine Delvaux. La baronne est celle qui ne serait pas une bonne belle-mère, qui n’arriverait pas à remplacer la mère. »
Vicky, la belle-maman de Conseils de famille, n’est pas parfaite. Elle est exigeante, un peu contrôlante, mais aussi beaucoup plus présente que Catherine, la mère biologique d’Alexandra, Sophie et Clovis. « Je la voulais imparfaite, mais aimante, très présente, impliquée dans le quotidien, parce que je pense que c’est ça la réalité, estime Marie-Hélène Lebeau-Taschereau, elle-même belle-mère d’un adolescent. Ses imperfections ne sont pas dues à son rôle de belle-mère, mais à sa personnalité. Qu’elle soit belle-mère ou pas, elle aurait eu ces particularités. »
L’opposition mère/belle-mère se trouve aussi au cœur de Stepmom (1998). Susan Sarandon joue Jackie, une mère « parfaite ». Julia Roberts incarne l’archétype de la belle-mère potentiellement honnie : elle est jeune, elle est belle, elle assume ses imperfections et, surtout, elle conserve son indépendance en poursuivant sa carrière de photographe. Martine Delvaux voit dans cette indépendance « un espace de liberté à l’intérieur d’une structure familiale qui en accorde peu aux femmes ». Elle croit d’ailleurs que cette distance avec le noyau familial contribue à faire de la belle-mère une femme « moins domestiquée » que la mère et, du coup, « une figure menaçante » face à la famille nucléaire.
La belle-mère est-elle aussi une mère ? Marie-Hélène Lebeau-Taschereau n’en doute pas, parce que la belle-maman se retrouve à assumer des tâches quotidiennes dans la vie des enfants de son conjoint (repas, lunch, lavage, etc.) et parce qu’elle souhaite aussi « faire cheminer » les enfants. Martine Delvaux prend les choses sous un autre angle : « Ce qu’il faut interroger, juge-t-elle, c’est ce qu’on entend par être une mère. » L’enjeu n’est pas de tenir compte seulement des réalités des familles recomposées, selon elle, mais aussi de celles où les partenaires ne sont pas hétérosexuels ou qui comptent un ou des enfants adoptés. « Il faut s’interroger sur ce que c’est que d’être pas seulement une mère, mais un parent. Je ne suis pas sûre qu’on soit prêt à répondre à ces questions-là, croit Martine Delvaux. On reste accroché à l’idée que le sang y est pour quelque chose. »