Chronique  

Si j’ouvrais un resto en 2016…

Si jamais je décidais d’ouvrir un resto en 2016 – en passant, ça n’arrivera pas – et que je voulais m’inspirer des tendances actuelles les plus présentes, remarquables, cruciales, sympathiques ou juste les plus vendeuses, par où commencerais-je ?

Voici quelques idées : 

1. J’irais à Paris voir ce qui se fait de mieux dans le style raffiné convivial. De nombreux chefs de la capitale française maîtrisent cet art comme personne. On crée, on peaufine les assiettes comme si on était chez les plus grands étoilés, mais on travaille avec des ingrédients abordables, dans des lieux accessibles et relax. Pensez Saturne, Septime, Clamato, Le Servan, Clown Bar, Le Passage.

2. Je proposerais plusieurs plats végétariens, voire végétaliens. Que ce soit pour des raisons éthiques ou environnementales, souvent simplement pour manger plus léger ou à meilleur prix, le public veut de plus en plus de légumes, de légumineuses, de grains, de verdure. Même le très chic Plaza Athénée à Paris a abandonné la viande ! Pensez donc à Ottolenghi à Londres, dont le Québec dévore les livres de recettes, pensez aux chaînes comme Mandy’s et Crudessence, qui sont en plein essor, pensez au chou frisé qu’on décline en « smoothie », même le matin au petit-déjeuner.

3. Parlant de petit-déjeuner : mon resto servirait des tartines grillées de pain de grains entiers garnies d’un écrasé d’avocat au piment, peut-être agrémentées de graines de citrouille rôties ou de chia.

S’il y a un plat basique lancé en 2014 – notamment par l’actrice gourou Gwyneth Paltrow –, mais qui a pris véritablement son envol par la suite et résume 2015, c’est bien lui.

On en mange au café Buck15, rue Notre-Dame Ouest, près du marché Atwater.

4. Gluten, pas gluten : moi, ce débat m’énerve, parce que je crois qu’une trop grande partie de la phobie antigluten est improvisée et injustifiée. Mais d’un point de vue purement commercial, il est clair qu’il y a des sous à faire actuellement avec les produits sans gluten, puisque tant de gens ont embarqué dans ce qui est, pour une grande part, une mode.

5. Avoir son propre potager. L’idée a été lancée par le chef français Alain Passard de l’Arpège, dans la foulée de la crise de la vache folle, à la fin des années 90. Il voulait cultiver son propre potager pour approvisionner son restaurant et savoir ainsi exactement d’où venaient les ingrédients de sa cuisine, le lien de confiance ayant été rompu avec ses fournisseurs. Le concept a été repris par Dan Barber à Blue Hill at Stone Barns, aux États-Unis. Depuis quelques années, il se propage vraiment. L’étoilé Yannick Alléno cultive même ses légumes au beau milieu de Paris et le grand René Redzepi de Noma à Copenhague déménage son restaurant pour avoir assez d’espace afin d’exploiter sa propre ferme. Ici à Montréal, on aime les légumes du potager urbain de Joe Beef et les herbes du jardin du Renoir ou du Ma’tine.

6. Dans mon nouveau restaurant, je choisirais une personne exceptionnelle pour gérer la salle. On dit qu’entre un bon plat et un plat exceptionnel, il y a souvent une seule pincée de sel. Je dirais qu’entre un bon repas et un repas extraordinaire, il y a souvent une simple personne : serveur, sommelier, maître d’hôtel… Je pense à Will Guidara qui fait un boulot magistral à l’Eleven Madison Park à New York, à Josep Roca au Celler de Can Roca à Gérone ou au sommelier Laurent Roucayrol et à Joseph Desserprix, premier maître d’hôtel, tous deux au Plaza Athénée à Paris. À Montréal, il y a évidemment la sommelière Vanya Filipovic du groupe Joe Beef, Mélanie Blanchette au Bouillon Bilk et Philippe Lequen à la Brasserie T !.

7. Vive les quartiers excentrés. Si j’avais à ouvrir un restaurant, je chercherais un quartier rempli de gourmands qui ont envie de sortir à pied ou à vélo, un quartier aux loyers raisonnables, un quartier en transformation, riche de sa diversité. Peut-être que j’essaierais d’être pionnière comme le Mile-Ex ou le Manitoba dans le Mile-Ex, le Montréal Plaza rue Saint-Hubert, le Boating Club à Laval, le Saint-Laurent Café à Boucherville.

8. Si j’ouvrais un restaurant, j’embaucherais un designer professionnel parce que je ne ferais confiance ni à mes talents d’amateure ni à ceux de la cousine du beau-frère. Je choisirais une personne d’ici, talentueuse, probablement peu connue, qui proposerait un décor différent de ce style rétro post-industriel qu’on voit beaucoup. J’aime, par exemple, le Café 8 oz, rue Saint-Hubert, qui se démarque par sa simplicité minimaliste et sa modernité. J’aime le nouveau Montréal Plaza ou le Serpent, maintenant un classique, qui ne ressemblent à aucun autre. (Et peut-être que je demanderais à mon designer de s’organiser pour que le niveau de bruit ne soit pas démesurément élevé !)

9. Dans mon restaurant, j’accrocherais une ou deux œuvres d’art magistrales – comme celles des Québécois Janet Werner, Pierre Dorion, Christine Major… Peut-être que je n’aurais pas le budget pour les acheter, alors je demanderais des prêts, afin que la qualité des œuvres soit à la hauteur de la qualité de ce qui est proposé dans l’assiette. Modèles fous : le Gramercy Park Hotel à New York et son bar, où l’on retrouve des Damien Hirst, Jean-Michel Basquiat, Julian Schnabel, ou l’Osteria Francescana à Modène, avec ses Ai Weiwei, Olafur Eliasson, Maurizio Cattelan et compagnie. À Montréal, bravo aux Serpent, Club Chasse et Pêche, Joe Beef et Graziella.

10. J’essaierais de proposer un menu à prix raisonnables, malgré tout, parce que la popularité de nouvelles adresses comme L’Gros Luxe ou L’Entrepôt, qui offrent des menus hyper abordables, montre qu’il y a une demande pour ça.

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