Chronique

Une police branlante

Il y a quelque chose qui cloche avec la police québécoise.

L’Unité permanente anticorruption (UPAC) a arrêté un député de l’Assemblée nationale sans jamais l’accuser. Guy Ouellette a vécu pendant des mois avec cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête.

Les mandats de perquisition obtenus par l’UPAC pour enquêter sur Guy Ouellette sentaient à ce point le poisson pourri que les procureurs de la Couronne n’ont même pas tenté de les défendre devant un juge, qui a invalidé ces mandats (1).

Trois jours après ce revers en cour, le commissaire de l’UPAC, Robert Lafrenière, démissionnait sans aucune explication… Le jour des élections générales au Québec.

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), lui, a éjecté son directeur Philippe Pichet après qu’eurent été dévoilées des décennies de pourriture au sein du SPVM, notamment aux affaires internes, un service qui faisait plus dans le banditisme que dans la police.

À la Sûreté du Québec (SQ), d’anciens policiers de haut rang sont empêtrés dans une histoire de caisse occulte utilisée à des fins détournées, une affaire qui s’est retrouvée devant les tribunaux.

L’UPAC a été ébranlée par des tiraillements internes et des enquêtes qui se sont éternisées. Un des députés qui posaient beaucoup de questions là-dessus ? Par un immense hasard : Guy Ouellette…

Tout récemment, le directeur de la Sûreté du Québec Martin Prud’homme a été suspendu après que des allégations dont personne ne connaît la nature eurent été portées à l’attention du gouvernement par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI).

Et ça fera bientôt six mois que Martin Prud’homme a été suspendu. C’est lui qui est allé nettoyer avec brio les écuries du SPVM à la demande du gouvernement Couillard. Revenu à la SQ, il a été torpillé par ces allégations qui viennent d’on ne sait qui à propos d’on ne sait quoi.

Et M. Prud’homme n’a toujours pas été rencontré par les enquêteurs du BEI.

Je résume : ces dernières années, l’UPAC, le SPVM et la SQ, les trois corps de police les plus importants au Québec, ont tous été ébranlés par des scandales différents, mais qui ont tous en commun de ressembler à des guerres civiles internes.

Police contre police est le titre en version française d’un mauvais film destiné à la télé américaine.

Ce serait un titre parfait pour un documentaire sur la police québécoise, version 2019.

***

Je tiens Martin Prud’homme pour un homme droit, respecté par ceux – péquistes et libéraux – avec qui il a travaillé comme sous-ministre au ministère de la Sécurité publique, comme enquêteur et comme directeur à la Sûreté du Québec, puis comme chef par intérim de la police de Montréal.

Je ne sais pas pourquoi il a été suspendu de son poste de directeur de la SQ. Je sais ce qui a été dit : le BEI a eu vent d’« allégations » qui ont été qualifiées de « sérieuses », assez « sérieuses » pour que la ministre de la Sécurité publique avalise sa suspension (même si le BEI ne lui a pas dévoilé ces allégations) avec solde.

Peut-être a-t-il commis un geste croche. L’avenir nous le dira.

Mais ça va bientôt faire six mois que Martin Prud’homme a été suspendu…

Si c’était assez sérieux pour que le DG de la SQ soit suspendu sur-le-champ, il est assez étonnant que six mois plus tard, ces « allégations » n’aient toujours pas été étoffées.

Il me semble que six mois, c’est assez pour vérifier des « allégations » dites « sérieuses » qui ne visent pas n’importe qui – on parle quand même du chef de la police de l’État québécois !

Si la police québécoise n’était pas rongée par une culture de règlements de comptes au moyen d’enquêtes bidon, si Guy Ouellette n’avait pas été arrêté pour des motifs si mous qu’ils ont fondu comme un sundae de Dairy Queen sous la canicule de juillet, je ne douterais pas des « allégations » contre Martin Prud’homme…

Mais nous avons la police que nous avons, une police spécialiste des coups fourrés, notamment contre des policiers.

Alors je commence à trouver que six mois de suspension sans explication du chef de la SQ, ça commence à sentir le poisson pourri.

Surtout que, comme nous l’apprenait Daniel Renaud dans La Presse lundi, le BEI n’est même pas encore allé interroger Martin Prud’homme. C’est quand même formidable !

Si les allégations sont si « sérieuses », pourquoi ne pas aller poser des questions à Martin Prud’homme ?

Pour les mêmes raisons que l’UPAC n’est jamais allée poser de questions à Nathalie Normandeau avant de l’arrêter ?

C’est ce que Mme Normandeau a révélé à Paul Arcand, cette semaine (2).

Car on a déjà vu ça, des flics qui décident de ne pas aller poser de questions à leurs cibles, tout d’un coup que les réponses détruiraient leurs théories fantaisistes : les policiers québécois font ça à des éducateurs en service de garde (3) et ils font ça à d’ex-vice-premières ministres. Ne pas poser assez de questions, la mentalité du « la Cour décidera », c’est de la mauvaise police…

Tout ça pour vous dire qu’il faudra comprendre un jour que la police québécoise est mûre pour une coloscopie. Une démocratie qui se respecte ne peut pas dépendre d’une police aussi branlante.

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