La Presse en Syrie

De Mascouche à Raqqa

Le groupe État islamique n’est pas le seul à recruter des combattants étrangers pour défendre une idéologie radicale en Syrie. Dans le camp adverse, les Kurdes embrigadent aussi des Occidentaux. Ceux-là sont prêts à mourir pour défendre une révolution… anarchiste. Une première depuis la guerre civile espagnole !

LA SUITE DU GRAND REPORTAGE D’ISABELLE HACHEY EN SYRIE

« Je ne suis pas venu juste pour me battre »

Des centaines d’Occidentaux, dont une quarantaine de Canadiens, se sont joints aux forces kurdes pour se battre contre l’EI. Parmi eux, le Montréalais Şoreş Pazarcik.

HASSAKÉ, SYRIE — « Moi, la chaleur, ça me tue. »

Sur le toit d’une école bombardée, Şoreş Pazarcik s’éponge le front avec le foulard fleuri qu’il porte, comme la plupart de ses frères et de ses sœurs d’armes kurdes, pour se protéger des rayons du soleil, implacables en cette fin d’été syrien.

Il plisse les yeux pour scruter l’horizon de sable et de cendres. « Je m’ennuie du hockey », confie-t-il dans un demi-sourire.

Şoreş Pazarcik, c’est son nom de guerre. Il n’y a pas un an, il faisait tournoyer des pâtes à pizza dans un restaurant de Mascouche. Désormais, il manie la kalachnikov en Syrie, déterminé à en chasser les djihadistes du groupe État islamique (EI).

Lorsque nous l’avons rencontré dans cette école convertie en caserne pour les combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), près de Hassaké, le Montréalais de 27 ans revenait de 18 jours de combats à Raqqa – et trépignait dans l’attente d’un redéploiement sur un autre front.

Natif de Saint-Léonard, Şoreş en est à son deuxième séjour en Syrie.

« Ma mère, elle veut me tuer. Avant mon départ, elle a confisqué mon passeport. J’ai dû en commander un nouveau et lui dire que j’allais me promener en Europe. »

– Şoreş Pazarcik

Malgré les réprimandes angoissées de sa mère, Şoreş est convaincu de « ne pas faire une connerie ».

Il avoue craindre la mort. « Mais je me dis que même si j’y passe, je fais une bonne chose. Ce n’est pas juste une guerre pour le Rojava », le territoire kurde du nord de la Syrie engagé dans une lutte contre les djihadistes. « C’est aussi pour le reste du monde. Daech, ils attaquent partout, pas juste ici. C’est rendu une idéologie, une marque. Tu vois leur drapeau, tu sais que c’est eux. »

Un millier d’étrangers

Si la « marque » Daech – l’acronyme arabe de l’EI – est trop bien connue à travers le monde, une chose l’est beaucoup moins : il ne s’agit pas du seul groupe à recruter des combattants étrangers pour défendre son idéologie radicale en Syrie.

Dans le camp adverse, les Kurdes embrigadent aussi des centaines d’Occidentaux ravis de prendre les armes pour lutter contre l’obscurantisme islamiste – et pour l’avènement d’une société nouvelle au Rojava.

Depuis cinq ans, de 700 à 1000 Occidentaux, dont une quarantaine canadiens, se sont joints aux forces kurdes pour se battre contre l’EI, évalue Guillaume Corneau-Tremblay, chercheur et étudiant en science politique de l’Université Laval.

On trouve de tout dans les rangs des YPG. Ils sont étudiants, retraités, militaires, informaticiens, chômeurs. Sur le terrain, nous avons même croisé un comédien, Michael Enright, qui a tenu un rôle dans la superproduction hollywoodienne Pirates des Caraïbes.

L’acteur britannique ne s’est jamais remis des attentats du 11-Septembre. Il a quitté Malibu pour Raqqa en jurant de venger sa terre d’adoption.

Certains sont à la recherche de sensations fortes. D’autres rêvent de gloire et de notoriété – on les appelle les « Facebook warriors », parce qu’ils ne cessent de diffuser leurs égoportraits dans les ruines de la guerre.

Pour d’autres encore, il s’agit d’un retour aux sources. C’est le cas de Şoreş, dont les parents kurdes ont fui la Turquie, il y a 30 ans, pour se réfugier à Montréal. « Je ne suis pas venu juste pour me battre. Ici, j’ai pu apprendre le kurde. J’ai appris d’où je venais, qui j’étais. Ç’a été une bonne école pour moi. »

Mourir pour des idées

Si tout le monde a ses raisons pour se retrouver dans l’un des endroits les plus dangereux de la planète, la majorité des étrangers aujourd’hui réunis sur le front syrien se battent – et meurent – pour une utopie.

Ils portent l’idéalisme de leur jeunesse. Et ils sont venus en Syrie pour faire la révolution.

Militants de gauche ou d’extrême gauche, souvent issus du mouvement contestataire Occupy, ils ont été attirés dans ce baril de poudre par l’étendard libertaire et anticapitaliste brandi depuis cinq ans par le pouvoir kurde au Rojava.

Ils forment une sorte de collectif anarchiste sur les ruines de la guerre civile.

Bien qu’ils ne soient que des centaines, ils se plaisent à se comparer aux brigades internationales qui ont afflué par dizaines de milliers en Espagne, dans les années 30, pour affronter les troupes fascistes du général Franco.

« Je me suis toujours dit que si j’avais vécu à cette époque, j’y serais allé », dit « Çiya », un anarchiste montréalais de 29 ans. Alors, quand il a entendu parler du Rojava, il n’a pas hésité longtemps. « C’est une révolution que je n’espérais même pas de mon vivant. Bien sûr, j’ai sauté sur l’occasion. » Il a passé quatre mois en Syrie avant de rentrer à Montréal, en décembre 2016.

Au début du conflit, les forces kurdes acceptaient à peu près n’importe qui dans leurs rangs, raconte-t-il. « Les gens les plus fucked up au monde sont allés au Rojava. Il y a le cas mythique d’un gars qu’on appelait le cannibale ; il collectionnait les doigts des djihadistes tués ! Un autre gars m’a dit que s’il n’y avait pas eu le Rojava, il serait allé se battre en Ukraine. Quand je lui ai demandé dans quel camp, il m’a répondu : “Je m’en fous, c’est juste pour me battre.” »

Aujourd’hui, les milices YPG sont plus sélectives. Elles filtrent les candidats en leur soumettant un questionnaire de neuf pages visant à établir leur profil psychologique. Elles ne retiennent que les idéologues prêts à mourir pour la cause.

« Les étrangers ne peuvent pas se contenter de se battre contre le terrorisme, dit Hediya Yousef, coprésidente de l’assemblée constituante du Rojava. Nous luttons aussi contre la tyrannie. Ils doivent être inspirés par notre révolution et par notre projet démocratique. »

Désillusion des vétérans

Le Montréalais Brandon Gray, 36 ans, répond aux nouveaux critères de sélection des forces kurdes. Originaire de Toronto, il s’est établi au Québec en 2012 dans le seul but de prendre part aux manifestations, parfois violentes, du printemps érable. « J’étais à Victoriaville. Les choses ont très mal tourné. »

Depuis peu, le père de famille est de retour en Syrie, où il entend se joindre à la bataille finale contre les militants de l’EI, poussés dans leurs derniers retranchements.

Lors de son premier séjour au front, au printemps 2016, Brandon Gray s’est battu aux côtés d’un « gars de la droite religieuse, un ancien militaire américain, très patriotique ». Un gars qui se serait retrouvé dans l’autre camp dans une manif au Québec, admet-il. « En Syrie, nous étions les meilleurs amis du monde. »

Dans le feu de l’action, dit-il, la politique ne compte plus. « Les anciens militaires manient très bien les armes et ont de bonnes connaissances médicales. On a besoin des deux. Des gens de droite qui aiment les armes et des gens de gauche qui sont prêts à se sacrifier pour un idéal. »

Les Kurdes semblent pourtant avoir décidé qu’ils pouvaient se passer des premiers, jugés trop critiques envers leur idéologie et leurs tactiques de guérilla. Parmi les vétérans des guerres d’Afghanistan et d’Irak, « on sent beaucoup de déception. Plusieurs sont désillusionnés », dit Guillaume Corneau-Tremblay.

Andrew Woodhead, ancien militaire britannique de 44 ans, a vu mourir trop de gens pour ne pas être amer. « Les YPG recrutent des naïfs et des rêveurs qui n’ont aucune expérience de combat. Leurs soldats sont très motivés, mais ils ne savent pas ce qu’ils font sur le terrain. Ils meurent pour des bêtises. »

Des dix volontaires qu’il a connus au front, quatre sont morts aujourd’hui, dont un Canadien (voir texte suivant). Depuis cinq ans, 29 étrangers recrutés par les forces kurdes ont péri dans le conflit syrien. « Ils se retrouvent sur des affiches de martyrs ; c’est bon pour les relations publiques », peste Andrew Woodhead.

La plupart du temps, les forces kurdes tentent néanmoins de protéger leurs recrues en les tenant à l’écart des combats, admet-il. « Tout ce qu’elles veulent, ce sont des étrangers qui chantent leurs louanges sur Facebook. »

D’un massacre à l’autre

Şoreş Pazarcik se tient loin de ces débats. « Je n’aime pas trop la politique », laisse-t-il tomber. Le jeune Montréalais s’est enrôlé pour des raisons très personnelles. En 1978, ses parents ont échappé au massacre de Marash, en Turquie. On lui a raconté les croix peintes sur les maisons ciblées par les militaires, les corps empilés, les enfants tués un à un dans les salles de classe.

Aujourd’hui, ce sont les djihadistes qui massacrent les populations civiles de la région. « Dans les villages, ils tuent les hommes et prennent les femmes comme esclaves. Pour moi, c’est pareil. Mes parents ont vécu des choses atroces, mais ils ne comprennent pas ce que je fais ici. Je leur dis que c’est pour éviter à nos enfants de vivre cela, mais ils répondent que ça ne va jamais changer, qu’on se bat contre des forces plus grandes que nous. »

Envoyés à l’abattoir

Le monde de Tina Martino s’est écroulé début janvier, quand des membres de la communauté kurde de Toronto ont frappé à la porte de sa petite maison de Niagara Falls. Elle n’avait aucune idée de ce que lui voulaient ces purs inconnus.

Les Kurdes lui ont tendu une lettre. C’est ainsi que Tina Martino a appris que son fils lui avait menti : il n’avait jamais enseigné l’anglais en Irak. En revanche, il avait fait la guerre en Syrie.

Et il était mort.

La lettre provenait des Unités de protection du peuple (YPG), une milice kurde qui combat le groupe État islamique (EI) en Syrie. Elle racontait que Nazzareno Tassone, 24 ans, avait été abattu en pleine nuit, le 21 décembre 2016, dans une embuscade tendue par les djihadistes.

C’était un autre mensonge. Des mois plus tard, Tina Martino a appris qu’il n’y avait jamais eu d’embuscade au cœur de la nuit.

Ce qui était malheureusement bien vrai, c’est que son fils avait été tué par des militants de l’EI.

Nazzareno Tassone avait bien été envoyé sur l’un des fronts les plus dangereux de la planète sans autre expérience de combat que ses heures passées devant un écran vidéo, à jouer à Call of Duty.

Ses ennemis, cette fois, n’avaient rien de virtuels.

Comme tous les étrangers embrigadés au sein des YPG, Nazzareno Tassone avait dû se soumettre à un mois de formation, consacré pour moitié à l’entraînement militaire et pour moitié aux idéaux de la révolution du Rojava, ce territoire contrôlé par les Kurdes dans le nord de la Syrie.

« Deux semaines d’entraînement, c’est risible. Les YPG insistent beaucoup sur l’idéologie, mais très peu sur les compétences militaires indispensables sur le terrain », dénonce Andrew Woodhead, un ancien soldat britannique qui a combattu dans la même unité que Nazzareno Tassone.

« En gros, les YPG disent aux volontaires internationaux : “Ceci est un fusil. Ça, c’est le devant et ça, c’est le derrière. Tu n’as qu’à appuyer sur la gâchette. Voilà, tu es prêt à partir !” »

Un « conte de fées »

Andrew Woodhead, 44 ans, était présent lorsque Nazzareno Tassone est tombé au combat. Il a raconté à Tina Martino comment les choses se sont réellement passées. Le 21 décembre, l’unité des YPG venait de pénétrer dans un village arabe, près de Raqqa, lorsqu’elle a été encerclée par les djihadistes.

Après d’intenses combats, Andrew Woodhead a pu se replier dans une maison. Nazzareno Tassone n’a pas eu cette chance ; il a été tué dans une explosion. L’unité a été décimée. Outre le Canadien, un Britannique et trois Syriens ont trouvé la mort dans ce village.

« Ce que racontent les YPG à propos des circonstances de la mort de Nazzareno et des autres, c’est un conte de fées », tranche Andrew Woodhead. Les forces kurdes, croit-il, n’hésitent pas à tordre la vérité afin de présenter les choses sous un jour qui leur semble plus favorable.

Brouillonnes et désorganisées, les YPG tentent de camoufler leur cafouillage mortel sur le champ de bataille, estime lui aussi Rafaon Pella (nom fictif), un Français qui s’est également battu au sein de l’unité de Nazzareno Tassone.

« Cela me paraît évident qu’ils ne racontent pas la vérité. Laisser des combattants seuls face à l’ennemi, c’était une erreur tactique. »

– Rafaon Pella, combattant

Le Français dénonce aussi « l’entraînement très sommaire » donné par les YPG. « C’est une véritable blague. Nazzareno s’y connaissait un peu en armes, mais n’avait aucune expérience de combat. Ce manque d’éducation militaire fait des morts, clairement. »

Lorsqu’ils intègrent les rangs des YPG, les volontaires étrangers connaissent parfaitement les risques auxquels ils s’exposent, rétorque Hediya Yousef, une dirigeante kurde du Rojava. « Ces gens viennent ici de leur propre gré. On fait de notre mieux pour assurer leur protection, mais nous sommes en guerre. Il y a des combats en Syrie et tout le monde peut être tué. »

« Le choix de mon fils »

Tina Martino a cru ne jamais pouvoir enterrer son fils, dont la dépouille est longtemps restée aux mains des djihadistes. En juin, pourtant, les YPG sont parvenus à récupérer le corps. Une autopsie réalisée au Kurdistan irakien a conclu que le jeune homme avait été battu et torturé. Son corps était couvert de brûlures de cigarettes.

Tina Martino a eu le cœur en miettes.

Puis, une seconde autopsie, à Toronto, a conclu que Nazzareno Tassone n’avait jamais été torturé. Selon le médecin légiste, ses os avaient été fracturés après sa mort. Les cercles dont sa peau était couverte avaient été causés non par des brûlures, mais par des piqûres d’insectes, sous terre.

« Les Kurdes ont voulu peindre un tableau encore plus sombre qu’il ne l’était en réalité, croit Tina Martino. Ils inventent des histoires pour inciter les gens à se joindre à eux et à défendre leur cause. »

Elle a été immensément soulagée d’apprendre que son fils n’avait pas été torturé. Soulagée, aussi, d’apprendre qu’il était mort en plein jour, l’arme au poing, et non piégé dans une terrifiante embuscade. Mais elle ne supporte plus les mensonges. « Tout ce que je demande, depuis le début, c’est la vérité. »

Pour sa part, Andrew Woodhead accuse la communauté kurde de Toronto de s’être littéralement approprié les funérailles de Nazzareno Tassone et d’en avoir fait la célébration de « leur » martyr. « Une fois que vous avez joint les YPG, vous leur appartenez, dit-il. Même si vous mourez, vous leur appartenez. »

Tina Martino ne partage pas son amertume. Elle se dit même reconnaissante envers les Kurdes, qui ont assumé les frais des funérailles de son fils. « Ils ont été absolument merveilleux. J’avais besoin d’aide et ils m’ont soutenue. »

Les Kurdes lui ont remis le journal intime de son fils, qui lui a permis d’en savoir plus sur son état d’esprit dans les semaines ayant précédé sa mort. « Il en avait marre de l’entraînement. Il voulait être envoyé sur la ligne de front. »

Tina Martino n’en veut pas aux YPG d’avoir accédé à sa demande. « Tout le monde fait des choix. C’était le choix de mon fils. Personne ne l’a forcé à faire ce qu’il a fait. »

Combattants de la liberté… ou terroristes ?

Les militants d’extrême gauche qui se joignent aux forces kurdes pour combattre le groupe État islamique (EI) en Syrie pourraient représenter une menace à leur retour en Occident, où les tensions montent entre les groupes antifascistes et les organisations d’extrême droite.

Formés au maniement des armes et confrontés à des violences extrêmes sur le champ de bataille, ces idéologues « pourraient passer de “combattants de la liberté” à “terroristes” plus vite qu’on pourrait le croire », prévient Guillaume Corneau-Tremblay, chercheur et étudiant en science politique à l’Université Laval.

« La menace est réelle, bien que marginale, précise-t-il. Certains cercles radicaux opèrent dans un contexte clandestin où la violence est l’un des modes d’action privilégiés. C’est surtout le cas en Europe, où des groupes d’extrême gauche sont très actifs. »

Les États-Unis – où le président Donald Trump a soufflé sur les braises de la division après les incidents de Charlottesville – ne sont pas à l’abri.

« Certains antifascistes américains sont très virulents. Il est possible que les membres d’une unité antifa mise sur pied en Syrie reviennent aux États-Unis et mettent à profit leur expérience de combat. »

– Guillaume Corneau-Tremblay, chercheur

Au Canada, « les militants d’extrême gauche sont très tranquilles » depuis leur retour de Syrie, observe le chercheur, qui juge la menace de violences « très limitée ». Cela dit, des Québécois qui adhèrent à la philosophie du Black Bloc ont combattu au sein des forces kurdes. Dans le passé, des manifestants inspirés par ce mouvement s’en sont pris aux policiers lors de manifestations au centre-ville de Montréal. Certains de ses adhérents sont désormais rompus aux tactiques de guérilla.

« Nous ne sommes pas une menace »

« Nous ne sommes pas une menace pour le Canada », proteste Çiya, un anarchiste montréalais, sympathique au Black Bloc, qui s’est enrôlé en quelques clics de souris, l’an dernier, au sein des Unités de protection du peuple (YPG), les milices kurdes qui contrôlent le nord de la Syrie.

L’informaticien de 29 ans, qui tient à être identifié sous son nom de guerre kurde, a lui-même contacté la Gendarmerie royale du Canada avant de s’envoler pour la Syrie. « Ils ne m’ont pas encouragé à y aller, mais ils m’ont assuré que je n’aurais pas de problèmes à mon retour. Ils sont débordés à surveiller les [islamistes radicaux] de l’autre bord. Nous, ils s’en foutent ; nous ne représentons aucun risque pour le Canada. »

Quelques heures après sa rencontre avec deux agents de la GRC, Çiya a reçu un appel de l’un d’eux. « Il m’a dit : “Je veux juste être sûr : es-tu conscient que tu peux mourir là-bas ?” J’ai dit oui, je sais dans quoi je m’embarque. C’est la guerre. »

Çiya était prêt à tout. Mourir pour l’avènement d’une société anarchiste aurait été pour lui « la plus belle des morts ».

Comme le lui avaient promis les agents de la GRC, Çiya n’a eu aucun tracas à son retour à Montréal, après quatre mois dans le nord de la Syrie, où il a été entraîné au maniement d’une kalachnikov. « À l’aéroport, le douanier m’a souhaité bon repos ! »

Aucun Canadien ayant combattu l’EI en Syrie ne semble avoir été inquiété par les autorités.

« Nous sommes du bon côté. Les pays qui fournissent de l’aide [aux forces kurdes] ne peuvent pas dire que nous sommes des terroristes », dit Şoreş (nom de guerre), un Montréalais membre des YPG.

Un phénomène ignoré

Les États-Unis jugent en effet que les forces kurdes sont leurs meilleures alliées pour vaincre l’EI en Syrie. Ils arment donc généreusement les YPG, bien que ces milices soient considérées comme la branche armée syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Or, le PKK est lui-même considéré comme un groupe terroriste par la Turquie et par de nombreux pays occidentaux, dont les États-Unis et le Canada.

Malgré les liens entre les deux groupes, les YPG ne figurent pas sur la liste des groupes terroristes interdits au Canada. Cela dit, des accusations pourraient être portées contre des citoyens qui commettent des actes terroristes « même si le groupe en question ne se trouve pas sur la liste », prévient Jean-Philippe Levert, porte-parole de Sécurité publique Canada.

Guillaume Corneau-Tremblay note « beaucoup d’improvisation » de la part du Canada et d’autres pays occidentaux à l’égard de « ce phénomène qui passe sous le radar ».

Quelques pays, comme le Royaume-Uni et l’Australie, ont légiféré pour interdire à leurs ressortissants de prendre les armes à l’étranger. Beaucoup d’autres ferment les yeux, préférant concentrer leurs ressources à traquer la menace islamiste.

Le Canada devrait empêcher ses citoyens de se rendre en Syrie, ne serait-ce que pour des raisons de « santé publique », estime le chercheur. « Ces gens-là reviennent traumatisés par la guerre et, contrairement aux soldats, ils n’ont droit à aucun soutien psychologique. »

S’ils constituent une menace, conclut-il, c’est avant tout pour eux-mêmes.

De 700 à 1000

Étrangers enrôlés par les forces kurdes pour combattre l’État islamique en Irak et en Syrie

40

Canadiens parmi les combattants étrangers

67

Âge du plus vieux combattant, Peter Douglas, de Vancouver. Le retraité est maintenant de retour au Canada.

19

Âge de la plus jeune combattante, Shaelynn Jabs, au moment où elle s’est enrôlée, en avril 2016. L’Albertaine est toujours au front.

2

Canadiens tués au front : 

John Gallagher, 32 ans, en novembre 2015

Nazzareno Tassone, 24 ans, décembre 2016

Source : Guillaume Corneau-Tremblay, Université Laval

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