ANALYSE

Desjardins a raison

On a déchiré sa chemise depuis quelques jours au sujet de la fermeture de certains guichets automatiques dans des villages québécois. Et si Desjardins avait raison ? Avant d’accuser la coopérative de perdre son identité, comprenons l’environnement externe dans lequel Desjardins évolue. Surtout, les institutions financières ont toutes des réalités de fonctionnement similaires, la notion de coopérative n’y échappe pas.

La mission de Desjardins est entre autres de développer « un réseau coopératif intégré de services financiers sécuritaires et rentables, sur une base permanente, propriété des membres et administré par eux, et un réseau d’entreprises financières complémentaires, à rendement concurrentiel et contrôlé par eux ». En somme, il faut être rentable et assurer la pérennité du modèle d’affaires en maintenant des services dont la tarification est concurrentielle. Alors, Desjardins n’est pas un organisme à but non lucratif qui ne vise pas de surplus. Certains membres le croient, mais c’est une erreur de perception.

Maintenir la capitalisation

La population augmente, les taux d’intérêt sont bas et les maisons sont de plus en plus chères. Alors, si Desjardins veut maintenir la capacité à croître et servir ses membres, elle doit générer des excédents. Ceux-ci servent à maintenir les ratios de capital surveillés par les agences de notation, pour permettre à Desjardins de continuer de prêter à ses membres.

Si les résultats affichent 2,2 milliards d’excédent en 2017, pourquoi se limite-t-on à 320 millions en retour aux membres et à la collectivité ? La réponse ? Pour maintenir les ratios de capital qui permettent de rendre d’autres services aux membres. Pour pouvoir faire passer les prêts hypothécaires résidentiels de 107 milliards de dollars en 2016 à 113 milliards de dollars en 2017, il faut plus de capital pour maintenir minimalement la capitalisation en pourcentage de l’actif. Desjardins le souligne d’ailleurs dans ses résultats : « Le Mouvement Desjardins maintient une très bonne capitalisation en conformité avec les règles de Bâle III. Ses ratios de fonds propres de la catégorie 1A et du total des fonds propres sont respectivement de 18,0 % et de 18,4 % au 31 décembre 2017, alors qu’ils étaient de 17,3 % et de 17,9 % au 31 décembre 2016. »

Évolution des habitudes des membres

Connaissant cette réalité financière, si on regarde objectivement l’évolution des habitudes des membres, on peut constater que le guichet est de plus en plus délaissé. Par contre, la réduction du nombre de guichets se fait tout de même à un rythme plus lent que la baisse de leur utilisation par les membres. Entre 2012 et 2017, le nombre de guichets est passé de 2507 à 2049 (- 18 %). Pendant ce temps, l’utilisation des guichets pour les transactions a baissé de 30 % et l’utilisation d’AccèsD par internet et téléphone mobile a connu une hausse spectaculaire de 72 %.

Maintenant qu’il est temps de changer les guichets automatiques pour la dernière fois et pour une période qu’on peut estimer à potentiellement plus de 10 ans, serait-il logique de maintenir ce service partout au Québec, peu importe les données ?

Une structure lourde

Desjardins est une structure lente à orienter à cause de sa gestion partiellement décentralisée et démocratique. Avec la dématérialisation des institutions financières, Desjardins a cette qualité d’avoir une clairvoyance sur la vitesse avec laquelle elle peut bouger. C’est pour cela qu’elle doit amorcer ses changements à l’avance. Contrairement à la Banque Laurentienne où l’arrivée d’un nouveau président génère une réorientation stratégique draconienne, Desjardins fait preuve d’une plus grande inertie.

Maintenir un réseau de guichets en perte de vitesse jusqu’aux plus petits villages, c’est en quelque sorte demander à tous les membres de subventionner des transactions liquides.

Maintenir un service archaïque sur une trop longue période, c’est détruire de la valeur pour les membres. Mis à part pour la fraude fiscale, les paiements au comptant n’auront plus leur raison d’être dans quelques années.

La dématérialisation des succursales a poussé l’offre des autres institutions financières en région. Certains membres de Desjardins signent leurs prêts hypothécaires chez des concurrents, mais exigent de Desjardins de subventionner le réseau de guichets. N’est-ce pas incohérent ?

Les solutions de remplacement aux guichets

En 2018, on peut payer des factures et effectuer des virements par téléphone. On peut effectuer des transactions sous plusieurs formes : Interac, carte de crédit, retrait avec achat dans un commerce, dépôts et autres transactions par internet ou application mobile, etc. Penser qu’un guichet automatique est le dernier bastion de l’économie d’un village reflète une vision nostalgique de la réalité.

Face aux fintechs, aux monnaies virtuelles et à la concurrence des autres institutions financières, peut-on demander à Desjardins d’investir pour 10 ans dans une technologie en perte de vitesse ? Est-ce vraiment servir ses membres que de prendre cette décision ? Rappelons que la décision de fermer des points de service ou de retirer des guichets automatiques revient aux conseils d’administration des caisses. Évidemment, la Fédération a son pouvoir d’influence politique. Dans cette polémique, tout n’est pas noir ou blanc : on est dans une zone g… verte.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.