chronique

Comme un besoin de poésie

C’est aujourd’hui, en ce 21 mars, la Journée mondiale de la poésie, proclamée par la Conférence générale de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture.

Je sais, ça vous fait une belle jambe. Des journées mondiales, c’est pas ça qui manque. Il y en a 393 par année. Oui, 393 ! Ça ratisse large. Le 13 janvier, c’est la Journée mondiale sans pantalon, le 28 janvier, c’est la Journée mondiale de la protection des données, le 2 février, c’est la Journée mondiale des zones humides, le 5 février, la Journée mondiale du Nutella, le 19 février, la Journée mondiale de la baleine, le 28 février, la Journée mondiale sans Facebook, le 1er mars, la Journée mondiale du compliment, le 11 mars, la Journée mondiale de la plomberie, le 25 mai, la Journée mondiale de la serviette, le 21 juin, la Journée mondiale du yoga, le 3 octobre, la Journée mondiale de l’urticaire, le 13 novembre, la Journée mondiale de la gentillesse, le 9 décembre, la Journée mondiale de la laïcité… Ça ne finit plus.

Juste aujourd’hui, c’est aussi la Journée mondiale de la discrimination raciale, la Journée mondiale de la marionnette, la Journée européenne de la musique ancienne, la Journée internationale de la forêt, la Journée mondiale du rangement de bureaux et la Journée mondiale de la trisomie 21. Ce sont toutes des nobles causes ou presque, mais je ne sais pas pourquoi, celle qui vient le plus me chercher, c’est la Journée mondiale de la poésie.

Je pense que ça correspond très bien au mandat d’une journée mondiale : souligner quelque chose d’important qu’on oublie quotidiennement. Et la poésie est importante, elle rythme nos sentiments. Elle traduit nos silences.

Si l’Unesco célèbre la Journée mondiale de la poésie, c’est parce qu’elle reconnaît à l’art poétique sa valeur de symbole de la créativité de l’esprit humain.

On veut rendre hommage à tous ces hommes et à toutes ces femmes qui s’évertuent à bâtir un monde meilleur avec, pour seul outil, une parole libre, qui imagine et qui agit.

La directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, a déclaré, avec justesse : « Les poètes accompagnent les mouvements civiques et savent alerter les consciences sur les injustices du monde autant qu’ils éveillent à ses beautés. »

Bon, c’est ben beau tous ces beaux mots, mais si on en lisait. Ça reste le plus bel hommage que l’on peut faire à un poète : le lire. Sortez vos vers, nous allons faire une dégustation.

D’abord, bien sûr, Baudelaire…

Mon enfant, ma sœur,

Songe à la douceur

D’aller là-bas vivre ensemble !

Aimer à loisir,

Aimer et mourir

Au pays qui te ressemble !

Les soleils mouillés

De ces ciels brouillés

Pour mon esprit ont les charmes

Si mystérieux

De tes traîtres yeux,

Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.

(L’invitation au voyage)

Puis Rimbaud…

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme : 

Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;

Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

(Le dormeur du val)

Éluard…

Et par le pouvoir d’un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaître

Pour te nommer

Liberté.

(Liberté)

Aragon…

Rien n’est jamais acquis à l’homme Ni sa force

Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit

Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix

Et quand il croit serrer son bonheur il le broie

Sa vie est un étrange et douloureux divorce

Il n’y a pas d’amour heureux

(Il n’y a pas d’amour heureux)

Miron…

mon corps est un dernier réseau de tics amoureux

avec à mes doigts les ficelles des souvenirs perdus

je n’attends pas à demain je t’attends

je n’attends pas la fin du monde je t’attends

dégagé de la fausse auréole de ma vie

(La marche à l’amour)

Prévert…

Des milliers et des milliers d’années

Ne sauraient suffire

Pour dire

La petite seconde d’éternité

Où tu m’as embrassé

Où je t’ai embrassée

Un matin dans la lumière de l’hiver

Au parc Montsouris à Paris

À Paris

Sur la terre

La terre qui est un astre.

(Le jardin)

Et puis Ronsard, et puis Nelligan, et puis Verlaine, et puis Mallarmé, et puis Breton, et puis DesRochers… Je vous laisse continuer de votre côté.

Bon printemps poétique !

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