Des organismes lancent un cri du cœur aux gouvernements
Des organismes communautaires ont accompagné des milliers de réfugiés haïtiens depuis l’été dernier. Ils ont travaillé jusqu’à quatre fois plus sans grand budget supplémentaire. Car, à part pour l’aide au logement, les gouvernements les ont très peu soutenus. Voici le cri du cœur de trois dirigeantes.
Marjorie Villefranche
Directrice générale à La Maison d’Haïti
« À partir de mai 2017, on a vu les gens arriver. Ils nous racontaient leurs histoires et on voyait qu’ils vivaient un drame. Au début, on en recevait cinq par semaine. Ensuite, cinq par jour. Après ça, 10 par jour. En juillet et août, c’était 100 par jour.
« On a écrit au ministère québécois de l’Immigration. On voulait savoir si l’infrastructure qui avait été mise en place pour les réfugiés syriens allait être réactivée pour l’accueil des Haïtiens. Et on a offert notre aide pour collaborer. Nous n’avons pas reçu de réponse.
« Les nouveaux arrivants passaient d’abord par le Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA, financé par Québec et Ottawa). Mais il y avait trop de monde. Alors, on s’est substitué aux gouvernements pour faciliter l’accueil, le soutien et l’intégration des demandeurs d’asile.
« C’est une grande surcharge de travail qui s’est ajoutée. Pour notre mission première, on a un petit financement pour offrir nos services réguliers, mais pas pour accompagner des demandeurs d’asile.
« Tout nous est tombé sur le dos, sans aucune aide des gouvernements. C’est comme si on nous disait : “C’est votre communauté, alors débrouillez-vous.” Parce que, de toute façon, ils savaient que nous n’aurions jamais laissé tomber nos compatriotes.
« On est très déçus du peu de reconnaissance qu’on a eu de la part des gouvernements. Pour le budget, il nous a été suggéré de faire des demandes aux ministères qui financent nos missions. Dans le dossier des demandeurs d’asile, personne n’a rien eu. »
Ninette Piou
Directrice du Centre N A Rive
« Les gouvernements sont empathiques, mais il n’y a pas eu de reconnaissance ni d’actions concrètes à l’égard de nos organisations qui se sont jetées à corps perdu dans cette entreprise gigantesque. Et on n’a pas le financement nécessaire pour nous permettre de faire face à nos obligations.
« Pourtant, il a fallu se transformer pour faire autre chose. On est allés au-delà de nos activités régulières pour pouvoir aider et répondre aux besoins. C’était toute une logistique. Il fallait des vêtements, des meubles, des logements, du travail. Il fallait faire les jumelages.
« On a organisé un salon de l’emploi (La Maison d’Haïti aussi), on a offert et on continue d’offrir des ateliers de francisation, de préparation de CV, sur le milieu du travail au Québec. Les gens ont trouvé des emplois (fabrication, alimentation, services ménagers, etc.). Ils veulent travailler.
« Présentement, on fait le double du travail normal. C’était le triple et le quadruple pendant l’arrivée massive. Au cours de l’été, il y avait urgence. Présentement, ça se stabilise. Mais il y a plus de 7000 personnes en attente dans le système pour savoir si leurs demandes d’asile seront acceptées ou pas.
« Si leurs demandes d’asile sont refusées, ils peuvent faire appel. Ça peut prendre encore deux ou trois ans. Maintenant, les gens nous connaissent. Ils auront besoin de nos services tant et aussi longtemps que leur situation ne sera pas stabilisée. On sera là pour les soutenir.
« Et il faut penser à l’avenir. En considérant la situation actuelle, quand on voit la façon de se comporter de nos voisins du Sud, les différents ministères n’auront pas le choix de se réorganiser pour faire les ajustements nécessaires. Parce que les mouvements de population vont continuer. »
Ruth Pierre-Paul
Directrice, Bureau de la communauté haïtienne de Montréal (BCHM)
« Il incombait aux trois paliers de gouvernement (municipal, provincial et fédéral) de proposer leur support aux aidants de première ligne. Mais ils ne l’ont pas fait. Les organismes se sont donc retrouvés dans l’obligation d’aller frapper à leurs portes.
« Des montants ont été injectés dans l’appareil gouvernemental, mais il y en a eu très peu pour les organismes de première ligne. Pourtant, ce sont eux qui ont porté à bout de bras l’accompagnement des demandeurs d’asile. Ce faisant, ils ont épuisé leurs maigres ressources financières ainsi que leur personnel.
« Le BCHM a obtenu environ 35 % du financement requis pour soutenir les demandeurs d’asile. Les besoins de ces derniers ne se limitaient pas uniquement à la recherche de logement. L’accompagnement se faisait aussi pour l’inscription des enfants à l’école ou à la garderie et pour les aider à remplir les formulaires pour l’obtention de leur permis de travail.
« Il s’agissait, majoritairement, de personnes de 20 à 35 ans, avec de jeunes familles. Ils vivaient de grandes inquiétudes face à leur avenir. Le support de nos intervenants sociaux leur a été d’une grande utilité.
Pendant cette période, le BCHM a vu sa clientèle dans son service “immigration” croître de plus de 250 %. Les ressources humaines ont été surutilisées. Le personnel travaillait de 8 h à 22 h. Il n’était pas question de refuser nos services aux demandeurs d’asile. Honnêtement, jusqu’à quel point peut-on demander aux employés de faire du bénévolat ? »