Livre

Réactions au manifeste

Quatre féministes québécoises ont accepté de réagir pour nous aux suggestions proposées.

L’intérêt de l’exercice ?

Tout le monde s’entend : tous les parents veulent « le meilleur » pour leur enfant, sans trop savoir par où commencer. « Ce qui me réjouit, c’est que je remarque que pour de plus en plus de parents, des valeurs féministes comme l’égalité font partie de “ce meilleur” », note l’auteure et chroniqueuse Marianne Prairie. Un bémol tout de même : « il aurait été bien que ce livre ne soit pas seulement consacré à l’éducation des filles. Les garçons doivent également être informés, fait valoir Léa Clermont-Dion, étudiante au doctorat en sciences politiques. Quoi qu’il en soit, il est fondamental d’éduquer le plus tôt possible les enfants aux inégalités sexuelles et raciales ».

La suggestion la plus intéressante ?

Pour Véronique Grenier, philosophe et blogueuse, c’est la question de la langue qui prime. « Les mots ne sont pas “que des mots”, dit-elle. Une petite fille n’a pas à être “daddy’s little girl” […], elle n’a pas à être, de par son genre, ni la possession originelle de quelqu’un ni la fragilité et la vulnérabilité incarnées. » L’auteure Martine Delvaux préfère quant à elle la question de la biologie. « Simone de Beauvoir disait : on ne naît pas femme, on le devient, souligne-t-elle. Il s’agit de défaire le système qui opposent hommes et femmes comme s’ils et elles étaient intrinsèquement différents. » Léa Clermont-Dion préconise la question de la sexualité, la plus « concrète » et « parlante » à son avis. Quant à Marianne Prairie, elle se félicite de la 4e : « Être féministe juste quand ça nous arrange, ce n’est pas une position valable à mes yeux. »

La plus originale ?

Pour Marianne Prairie, c’est la question de l’apparence qui détonne ici le plus, en présentant « la féminité comme un lieu d’exploration, de liberté et de plaisir. Le vrai danger, dit-elle, c’est quand on tente de restreindre ce à quoi une femme devrait avoir l’air à quelques normes ». Martine Delvaux apprécie quant à elle la proposition de l’amour « dans les deux sens » parce que « les femmes sont en général élevées dans l’apprentissage du don, du “care”, dans le sacrifice et l’oubli de soi ». Pour Véronique Grenier, enfin, le fait d’inclure l’oppression permet ici aux parents de considérer « l’aspect politique et social de l’éducation ».

Celle dont on pourrait se passer ?

À différents degrés, elles ont toutes leur importance, répondent-elles. La question de l’oppression manque toutefois de nuance, croit Léa Clermont-Dion. Même son de cloche de la part de Martine Delvaux, qui craint qu’en précisant qu’il ne faut pas dresser les femmes en « saintes », on « apporte de l’eau au moulin de l’antiféminisme », dit-elle. « Comme si le féminisme avait nécessairement comme écueil de victimiser et/ou de sanctifier les femmes. Ce qui est faux. »

Celle qui manque ?

« Érige et cultive tes limites, répond la philosophe Véronique Grenier. Et si on les écrase, tes limites, sache que tu auras alors le plein droit d’être en colère et de crier sans être une hystérique pour autant. La colère est légitime. » Pour Marianne Prairie, le manque est plutôt du côté de « l’amitié ou la solidarité entre femmes. Parce que seule, on ne va pas aussi loin et que c’est bien moins le fun ». Martine Delvaux souligne quant à elle la question d’« où on se trouve sur l’échiquier social. Le féminisme a à voir avec la conscience de la place qu’on occupe », dit-elle. Pour Léa Clermont-Dion, il aurait été intéressant de parler davantage de violence.

Quelle différence peuvent-elles faire ?

Tout ! « L’éducation est fondamentale pour la construction d’un monde plus égalitaire », résume Léa Clermont-Dion. « Si on les appliquait, enchaîne Martine Delvaux, les filles seraient amenées à avoir une autre image d’elles-mêmes. Elles sauraient qu’elles ont le droit (même le devoir) de prendre leur place dans ce monde. Et les garçons […] apprendraient peut-être à en prendre un peu moins, au sens où ils sauraient que la place ne leur revient pas d’emblée. » En un mot, ajoute Véronique Grenier : « Ces règles impliquent que le modèle traditionnel éclate, qu’on s’assure dès la petite enfance un travail sur l’égalité, l’image positive de soi, l’image politique de soi. » Marianne Prairie ne le cache pas, elle « souhaiterai[t] que toute une génération reçoive ce type d’éducation égalitaire pour voir des changements en profondeur dans la société ».

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