CONSTRUCTION ÉCOLOGIQUE

Un matériau prometteur qui attend son heure

Longtemps associé à la nourriture grano ou même aux substances illicites, le chanvre est de plus en plus lié… au monde de la construction.

Néanmoins, ce n’est pas demain matin qu’on assistera à un changement radical, même si cette méthode pourrait révolutionner les façons de faire, croient les deux principaux artisans du chanvre au Québec.

Depuis une douzaine d’années, Anthony Néron, d’Art du chanvre, et Gabriel Gauthier, d’ArtCan, ont chacun une centaine de maisons à leur actif. Celles-ci ont été rénovées ou construites complètement en chanvre.

Cette technique, qui consiste à isoler les murs et les plafonds en chanvre avant de les finir à la chaux, Gabriel Gauthier estime l’avoir amenée ici après avoir suivi une formation de trois ans en France.

Nos cousins d’outre-Atlantique sont effectivement beaucoup plus avancés que nous en ce qui a trait à la construction en chanvre. Au Québec, la première vraie maison isolée avec de la chènevotte – la partie de la plante utilisée dans la construction – a vu le jour en 2004, relève Gabriel Gauthier.

Pourtant, la culture du chanvre, elle, ne date pas d’hier. Selon Anthony Néron, cette plante – cousine de la marijuana, mais avec une concentration beaucoup moins grande en THC – a été cultivée par les colons en Amérique dès leur arrivée. Ils l’utilisaient notamment pour le tissage des vêtements et les cordages des bateaux.

Chez nous, la culture du chanvre a surtout une fonction alimentaire, poursuit M. Néron. Pour cette raison, il doit s’approvisionner en France pour obtenir de la chènevotte, située à l’intérieur de la tige de la plante.

Un mur régulateur d’humidité

Le chanvre ne se démarque pas particulièrement par sa valeur isolante : pour un mur d’épaisseur standard, sa valeur est de R25, alors que le Code du bâtiment exige une valeur de R24.

Si on le choisit, c’est beaucoup pour sa masse thermique qui, elle, s’avère très intéressante. Plus précisément, on vante sa capacité à emmagasiner la température, chaude ou fraîche, puis à l’irradier.

Le chanvre aide aussi à gérer l’humidité. « Alors que la seule fonction du mur ordinaire est une barrière, le chanvre va davantage régulariser la température et gérer l’humidité », remarque Anthony Néron.

« Toute l’année, la maison est très stable. Elle va se maintenir à 21 °C sans être énergivore. »

— Anthony Néron, d’Art du chanvre

Le chanvre jouit d’un autre intérêt de taille, selon l’architecte André Bourassa, ancien président de l’Ordre des architectes du Québec. « Le chanvre est issu du renouvelable et non de la pétrochimie. Et ça, c’est vraiment important », note celui qui en connaît un rayon au sujet des écomatériaux. Il donnera d’ailleurs une conférence à ce sujet dans le cadre d’un colloque France-Québec qui se déroulera lundi et mardi à Asbestos.

Gabriel Gauthier va même plus loin en faisant valoir l’importance d’être entouré de produits sains. « Le confort est ressenti au-delà des degrés Celsius », croit-il.

Effectivement, cette dimension a son importance quand on sait que certains isolants traditionnels peuvent s’avérer chimiques. « En général, les matériaux naturels sont plus sains à respirer », note Chantal Cornu, architecte pour L’Œuf, une firme spécialisée dans le développement durable.

En quête de vitesse

Dans l’optique d’augmenter la rapidité de production, Art du chanvre a lancé une campagne Kickstarter – qui se termine demain – en vue d’acheter une machine qui pourra produire les blocs de béton de chanvre en série. « Pour le moment, les blocs sont faits à la main de façon artisanale, explique Anthony Néron. Ce dont on a besoin, c’est une presse automatisée pour améliorer la productivité. »

Selon lui, grâce à cette machine, la production passera de 10 blocs à l’heure à… 200 !

Mais les blocs ne sont pas l’unique façon de construire avec ce matériau ; Gabriel Gauthier, d’ArtCan, travaille beaucoup avec du chanvre coffré. « On coule la maison d’une seule pièce monolithique. Il n’y a pas de joints », précise-t-il.

Il travaille actuellement sur la rénovation de la Trinity Church, à Saint-Jean-sur-Richelieu, en collaboration avec André Bourassa. Dans le cas de cette église, la solution retenue est le chanvre coffré.

Même si la construction en chanvre semble avoir le vent dans les voiles, elle attend toujours son heure de gloire. Mais selon Gabriel Gauthier et Anthony Néron, celle-ci ne saurait tarder. « Dans quelques années, ça va être la norme. Ça va même devenir la locomotive de la filière chanvre, prédit Gabriel Gauthier. C’est une matière qui est de haute qualité, très durable, et qui stocke du carbone. »

Selon Chantal Cornu, de L’Œuf, il reste encore beaucoup de chemin à faire au Québec – et ce chemin doit se parcourir dans la tête des gens avant même d’entrer dans leur chaumière. « On va devoir construire plus de maisons avec ces produits naturels avant que ce soit adopté par le plus grand nombre, avance-t-elle. Il faut continuer à pousser ces choses-là pour qu’elles puissent être acceptées par tout le monde. »

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