Fuite à la NSA

Reality Winner, héroïne ou traîtresse ?

Pour ses partisans, elle est une lanceuse d’alerte héroïque de la trempe de Chelsea Manning ou Edward Snowden. Pour ses détracteurs, elle n’est qu’une traîtresse méritant la prison, rien de moins. Qui est Reality Winner, la spécialiste en langues étrangères qui a dévoilé cette semaine un rapport secret américain sur le piratage russe ?

Le débat fait rage depuis l’annonce de l’arrestation de Reality Winner, spécialiste en langues étrangères de 25 ans accusée d’avoir transmis un document confidentiel de la National Security Agency (NSA) sur les pratiques de piratage russe au site The Intercept.

Ses partisans la décrivent comme une émule des lanceurs d’alerte Chelsea Manning ou Edward Snowden, alors que ses détracteurs parlent plutôt d’une traîtresse méritant une lourde peine de prison.

La jeune femme a été appréhendée samedi dernier à sa résidence d’Augusta, en Géorgie, à l’issue d’une enquête éclair du FBI ayant abouti avant même que l’article détaillant le contenu du document dérobé ne paraisse.

Dans une déclaration sous serment préparée à l’appui de son arrestation, la police fédérale relève que Reality Winner travaillait depuis le mois de février pour un sous-traitant privé, Pluribus, offrant des services à la NSA.

L’ex-militaire, qui a décodé pendant plusieurs années des messages interceptés par les services de renseignement américains, aurait utilisé son accès privilégié pour obtenir un rapport inédit sur le piratage russe et l’aurait fait imprimer avant de le relayer, par la poste, à The Intercept.

Le FBI a été alerté de la situation par la NSA après qu’un journaliste eut contacté l’organisation pour obtenir ses commentaires avant de publier le document.

Les enquêteurs affirment qu’un examen de la copie transmise aux autorités suggérait que les pages du document original avaient été pliées et qu’il avait en conséquence été transmis en format papier par l’auteur de la fuite.

Après avoir identifié une demi-douzaine de personnes qui l’avaient récemment imprimé à la NSA, ils ont fouillé leurs ordinateurs et découvert la présence de courriels transmis à The Intercept dans celui de Reality Winner.

Des experts cités par différents médias américains affirment par ailleurs que de discrets points de couleur caractéristiques de l’imprimante utilisée auraient aussi pu être utilisés pour faire aboutir l’enquête.

« Terrorisée »

La police fédérale soutient que la jeune femme a reconnu lors de son arrestation avoir imprimé et transmis le document même si elle savait qu’elle n’en avait pas le droit.

La mère de la jeune femme, Billy Winner-Davis, a cependant indiqué en entrevue à CNN qu’elle était « terrorisée » au moment de l’arrestation et aurait dit ce que voulaient entendre les policiers parce qu’elle craignait de « disparaître ». The Intercept affirme de son côté n’avoir aucune idée de l’identité de sa source.

Reality Winner n’avait à ce jour jamais eu d’ennuis avec la justice. En marge de son travail, elle enseignait le yoga et manifestait un intérêt marqué pour la défense des animaux et la protection de l’environnement.

Dans les mois précédant le début de son travail pour la NSA, elle a multiplié les critiques en ligne à l’endroit de l’administration de Donald Trump, allant jusqu’à qualifier le nouveau président de « fasciste orange ».

Haro sur les lanceurs d’alerte

Le reportage de The Intercept est survenu alors que le gouvernement américain promettait de pourchasser sans relâche les responsables de fuite au sein des services de renseignements.

La mère de l’accusée, qui fait face à dix ans de prison, craint qu’il ne soit difficile pour elle d’obtenir un procès équitable dans ce contexte.

Edward Snowden, qui vit en exil en Russie, s’est porté à la défense de la jeune femme dans une lettre ouverte. Il a déploré que le gouvernement évoque, pour l’accuser, une loi sur l’espionnage qui ne fait pas de distinction entre une personne cherchant à servir l’intérêt public et une autre qui veut nuire aux intérêts nationaux américains.

Mark Zaid, avocat spécialisé dans la gestion d’informations confidentielles, note de son côté dans le Washington Post que le geste de Reality Winner ne fait pas automatiquement d’elle une « lanceuse d’alerte ».

Les informations divulguées par l’ancienne militaire portaient sur le piratage russe et ne révélaient pas d’actions illégales de la part de l’administration américaine. « Si elle était effectivement la source du reportage de The Intercept, elle n’a sonné l’alarme sur rien », écrit-il.

Des révélations sur le piratage

Les services de renseignement américains sont convaincus depuis des mois que la Russie a sciemment tenté d’influencer l’élection présidentielle de novembre, mais ils demeurent avares de détails à ce sujet. Le document divulgué par The Intercept avec l’aide alléguée de Reality Winner affirme que les services de renseignements militaires russes ont cherché, par une campagne d’hameçonnage, à manipuler les systèmes électroniques utilisés pour enregistrer les électeurs américains. L’analyse de la NSA ne précise pas si la tentative de piratage a eu un effet sur le scrutin et convient que « beaucoup d’inconnues demeurent » relativement à ce que ses auteurs ont pu accomplir. Le président russe Vladimir Poutine a toujours nié que son gouvernement ait tenté d’influencer le résultat du scrutin.

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