Vers 1640, les colons s’approvisionnent dans les marchés publics installés dans le cœur des villes, une ou deux fois par semaine. À Québec, ça se passe à la place Royale. À Montréal, on se réunit en bordure du fleuve, sur la place Jacques-Cartier et au marché Bonsecours. Des halles seront éventuellement ajoutées pour abriter les bouchers et autres vendeurs. Ces endroits deviendront vite d’importants lieux de rassemblement pour la population.
À compter de 1850, le développement rural amène la création de magasins généraux, tenus par des familles dans leur maison. On y vend de tout : chaussures, tabac, maquillage, semences, épices, outils, cercueils. « On ne fréquente pas le magasin seulement pour faire des achats […] Les hommes aiment s’y arrêter : ils parlent de leur ouvrage, commentent la dernière nouvelle ou rumeur, se racontent des peurs, des histoires ou des blagues », relate Claudine Marcoux. La moitié des magasins ne survit pas cinq ans.
Le concept de grand magasin émerge vers 1880. Chaque rayon, dirigé par son propre gérant, se spécialise dans un type de produit. Les prix défient toute concurrence étant donné les importants volumes d’achat. En 1891, Morgan ose construire un immense magasin dans la rue Sainte-Catherine (aujourd’hui La Baie), en plein quartier résidentiel. L’élite se moque de l’idée, car tout le commerce s’effectue en bas de la côte, près du fleuve. Parallèlement, les artères commerciales se développent.
C’est l’époque victorienne, et « le goût du superflu attise la passion de la consommation », puisque magasiner permet d’exhiber son « standing », résume Claudine Marcoux. Les hommes d’affaires veulent profiter de l’engouement pour les grands magasins. À Montréal, ils ouvrent Scoggie, Goodwins, Murphy, Ogilvy et Dupuis Frères. Québec accueille Pollack, Paquet et Syndicat de Québec, tandis que Setlakwe s’installe à Thetford Mines.
Les détaillants ajoutent des services à leur offre, comme la livraison des achats à domicile, d’abord au moyen de voitures tirées par des chevaux. Recevoir un lustre de cristal ou un meuble par une voiture d’Ogilvy permet d’afficher sa richesse, ce qui est apprécié de la bourgeoisie. Plus tard, les véhicules à moteur accéléreront le processus. Éventuellement, les commerces – Carsley et Eaton – imprimeront des catalogues et les envois s’effectueront par courrier, preuve qu’Amazon n’a rien inventé !
L’offre se diversifie grâce à la multiplication des commerces spécialisés. Tandis qu’Omer DeSerres et J. Pascal vendent de la quincaillerie, d’autres offrent de la machinerie agricole, du tissu, des horloges, des instruments de musique (Archambault), des meubles, des jouets ou des livres… On assiste aussi à l’ouverture des premières épiceries. Le concept de pharmacie tel qu’on le connaît fait aussi son apparition.
À la campagne, les « peddlers » se promènent de maison en maison pour y vendre leur marchandise utilitaire : savon, allumettes, jouets, livres. Leur réputation est plus ou moins enviable et les magasins généraux y voient une concurrence déloyale. On dit des colporteurs qu’ils sortent l’argent de la paroisse. Mais les fermiers isolés apprécient leur venue. Des représentants d’entreprise font aussi du porte-à-porte pour y vendre de la viande, du pain, des produits Atkins ou des tissus.
Les plus âgés d’entre nous n’ont pas oublié les 5-10-15 de leur enfance, qui ressemblaient aux Dollarama d’aujourd’hui. Le premier, Woolworth (venu des États-Unis), est arrivé au Québec peu après 1910. Rien n’y coûtait plus de 15 cents, soit l’équivalent d’environ 3 $ aujourd’hui. Les autres 5-10-15 s’appelleront Kresge, Economy, Federal, United, Variety, People’s, Steel et Metropolitain Stores.
Dans les années 20, le concept de supermarché émerge avec l’arrivée des Dominion Stores, Stop and Shop, Thrift, The Great Atlantic and Pacific Tea Company (A & P) et Steinberg. L’intérêt qu’ils suscitent chez les consommateurs accélère le déclin des marchés publics. Le succès de Steinberg sera foudroyant grâce à ses prix inférieurs à ceux de la concurrence (pas de crédit, pas de livraison, libre-service) et son service en français.
Devant le succès des supermarchés, les temps sont durs pour les petites épiceries de quartier. Plusieurs se transforment en dépanneur, une forme de commerce née d’une loi québécoise adoptée en 1970. Le nom dépanneur est créé par Paul-Émile Maheu, un épicier du quartier Rosemont, qui fonde la chaîne POP. En 1974, Provigo lance l’enseigne Provi-Soir, dont le logo est un hibou… celui qui orne aujourd’hui des centaines de Couche-Tard.
Au centre-ville de Montréal, une première galerie marchande souterraine comptant 70 boutiques, 7 restaurants et 2 salles de cinéma est inaugurée sous la Place Ville Marie (en 1962). Le réseau sous terre se développe, tandis que les premiers grands centres commerciaux sont construits près des autoroutes : Galeries d’Anjou (en 1968), Carrefour Laval (1974), Promenades St-Bruno (1978). La Place Laurier, inaugurée en 1961, devient un lieu de rassemblement où on célèbre même la messe de minuit.
La construction d’immenses centres commerciaux permet à de nombreux entrepreneurs québécois de faire croître rapidement leur chaîne de magasins. Les boutiques Tristan, Jacob, Marie-Claire, Aldo, Taylor et San Francisco, entre autres, profitent de la disponibilité de l’espace. Provigo achète Distribution aux consommateurs (en 1987), une enseigne qui marque l’imaginaire avec son concept unique. Club Price, arrivée au Québec l’année précédente, obtient une telle cote d’amour que certains utilisent encore ce nom aujourd’hui pour parler de Costco.
Les années 90 sont marquées par la multiplication des grandes surfaces telles que Walmart (d’abord dans les ex-locaux de Woolco), Bureau en Gros, Rona L’Entrepôt, Réno-Dépôt, Club Biz (détaillant de fournitures de bureau racheté par Bureau en Gros), Toys R Us, etc. Les experts prédisent alors l’arrivée au Québec des mégacentres. En outre, ils craignent le déclin des grands magasins Simpson et Eaton, qui fermeront effectivement leurs portes. En 1992, Québec change sa loi pour permettre l’ouverture des commerces le dimanche.
Après le bogue du millénaire qui n’a pas eu lieu, l’internet se développe à une vitesse foudroyante. Amazon et eBay bouleversent l’industrie avec leur technologie aiguisée et leur efficacité incomparable. Désormais, l’offre est illimitée, on peut acheter 24 heures par jour, dans le confort de son foyer (ou dans le bus avec son iPhone)… et dénicher facilement le meilleur prix sur terre. Les détaillants en briques et mortier n’ont plus choix d’avoir un site, car le lèche-vitrine s’effectue en ligne.
En manque de temps, le consommateur a besoin d’une bonne raison pour se déplacer en magasin, sinon il achète en ligne. Et pour éviter les délais de la livraison, il préfère de plus en plus le ramassage de ses achats en magasin ( !). Des points de cueillette, comme celui d’IKEA à Québec, voient le jour. Les détaillants virtuels (Frank & Oak, Amazon) ouvrent des points de vente. Le téléphone intelligent permet de régler ses achats…bientôt livrés par drone.