OPINION

Bien manger, c’est faire preuve de bon sens

La riposte populaire a le droit de questionner les faits, mais elle ne peut pas se priver d’être intelligente

Beurre ou ordinaire ?

C’était le slogan d’une pub française vantant les mérites du beurre contre l’ordinaire de la margarine. La campagne promotionnelle s’avérerait plutôt réussie. Le cholestérol avait beau exister, c’est l’amour-propre qui s’imposerait à table, et le beurre dans le petit pot à beurre.

Ailleurs, comme ici, la question nutritionnelle occupe l’espace public plus que n’importe quel autre sujet de santé des populations. Les tonnes de livres de recettes, santé ou non, chiffrés en termes d’équilibre et d’énergie, ne sont que le petit lait de nos immenses préoccupations par rapport à l’alimentation.

Notre cerveau, notre cœur, nos intestins, nos os sont tributaires du bien et du mal – manger en termes de goût et de santé. À travers le temps, les grandes famines, les interdits alimentaires et les concours de tourtières ont coexisté avec des enjeux plus prosaïques comme les guides alimentaires, les aliments fonctionnels et les interactions aliments-médicaments. Ces dernières années, la biodiversité, la génomique nutritionnelle et le kilométrage alimentaire ont apporté leurs nouveaux défis. Entre les sciences de la nutrition, les religions et les gastronomies, nous nous construisons sur l’avalé, l’avalable et le dur à avaler.

Nous nous forgeons aussi sur des idées reçues, inoffensives ou maudites, nouvelles ou indécrottables, parfois juste insignifiantes.

La secousse créée par le pharmacien Olivier Bernard à Tout le monde en parle devrait achever de nous convaincre.

Éreinter brillamment, et en pleine télé, les jus dits détox, la nourriture bio et le rôle des artichauts sur les foies supposément engorgés aura valu au pharmacien, connu pour être « le pharmachien », l’admiration des uns, l’opprobre, voire l’insulte des autres. Sur les réseaux sociaux, des confrères médecins et nutritionnistes se porteraient à son secours, mais l’obscurantisme poursuivrait sa cabale. On n’a pas idée de la puissance de la niaiserie.

« Son approche est celle des pharmaciens faisant partie de grosses multinationales riches à craquer, qui veulent faire de l’argent le plus possible en éloignant les gens des médecines douces. »

« Pédant personnage d’une condescendance sans nom. »

« Tête enflée. »

Capotant, tout ce que j’ai pu lire contre le pharmachien. Les climatoseptiques, les adeptes de la diète paléolithique, les entéropathiques du dimanche, les dénialistes et les crédules de tout acabit, je les connais bien, pourtant. Je connais leur répertoire par cœur : « Les médecins ne connaissent rien à la nutrition. » Je les soigne même, à condition qu’ils se laissent faire, et je sais comment : « Avec les antibiotiques, vous donnez du yogourt grec. » Quand ils ne sont pas anti-lait, ils raffolent du yogourt grec. Je vais même jusqu’à les aimer, mes négationnistes, en pratiquant des mises en situation : « Je ferais comment, moi, si Madame Bovary troquait ses médicaments antituberculeux pour de l’échinacée ? »

Mais je reste toujours pantois devant la grandiosité des distorsions cognitives allergiques au moindre cordial de pensée critique.

Un pharmacien expert s’adresse à vous. Il a une expérience pratique. Il a épluché toute une littérature pour séparer le bon grain de l’ivraie. Il sait qu’une étude ne veut rien dire, alors il explore des séries de recherches pour pister la tendance, les leçons de choses à en tirer, pour rendre service, pour vous faire économiser. Il a trouvé une façon de dire. Vous pouvez aimer, ou pas, sa manière iconoclaste, ce n’est pas la question. Il a un talent pas possible pour communiquer, pour se commettre en action publique. Il a de l’humour, en plus, et vous le trouvez indigne d’avoir vomi sur vos jus verts ?

Sur le bûcher des vanités, je brûlerais n’importe quand aux côtés d’Olivier Bernard.

Mais quoi, l’homéopathie n’est-elle pas une insulte à l’intelligence ? Les sirops contre la toux auraient-ils déjà fonctionné ? De quel nutriment inconnu des dieux les détracteurs du pharmachien se seraient-ils privés pour continuer de croire au lien entre vaccination et autisme ?

Le vaniteux, le vrai, n’est-il pas celui qui fait l’intéressant pour mieux se soigner lui-même en donnant aux autres l’impression de les soigner eux ?

Concours de circonstances, tandis qu’Olivier Bernard vilipende les jus, hypersucrés et privés de fibres, bien qu’avalisés par Santé Canada comme des portions équivalentes de fruits et légumes, l’autoproclamé « naturopathe des stars » Martin Allard, tout en encourageant lui aussi la consommation de végétaux frais, se commet ces dernières semaines dans son nouveau livre, Alimentation parents/enfants : un guide pour aider vos enfants à bien s’alimenter, avec au moins cinq pages racoleuses sur les jus, sans se gêner pour nommer et illustrer les marques du commerce qu’il recommande comme de bons choix.

Misère !

L’orgueilleux naturopathe de l’heure appelle SA méthode un ramassis insipide de lapalissades alimentaires au mieux truffées de confusions et de semi-vérités. Pourquoi ajouter au menu des enfants des suppléments protéiques comme si grandir était faire du fitness ? Pourquoi les priver du gras du lait pour nourrir leur cerveau ? Et, vieille rengaine, leur interdire le sucre et les colorants alimentaires pour soigner leur TDAH ?

La rumeur voudrait nous faire adhérer à l’idée d’une science dure et fermée opposée à un courant alternatif n’offrant aucune vraie alternative, mais qui serait, plus que la raison, garant des besoins et des désirs du peuple. Mais depuis quand décrète-t-on que le peuple est bête ?

De l’hypothèse à l’assiettée, la nutrition aura malheureusement eu ses ratés, c’est vrai ; c’est le désolant sort d’une jeune science quand on la veut vite ou mal appliquée.

Par exemple, cardiologues et nutritionnistes ont longtemps monnayé notre consommation d’œufs en taxant le cholestérol du commun des mortels. Personne n’en est sorti gagnant. Sinon, l’industrie du produit allégé en gras et, des années plus tard, le marketing des régimes à cinq cennes qui, je résume, exploiteraient l’implosion de l’obésité de populations s’étant vengées sur le sucré.

Oui, la riposte populaire a le droit d’être virulente, de questionner les faits, de défier ses experts. Mais elle ne peut pas se priver d’être intelligente. Elle ne peut pas se perdre sur le chemin de n’importe qui. Elle ne peut pas incendier ses meilleurs serviteurs.

Bien manger, c’est avant tout faire preuve de bon sens, à commencer par la couleur de la margarine.

Jaune ou ordinaire ?

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