Le sens caché des petites phrases du quotidien
« Et tu n’as rien senti venir ? »
Quiconque a été cocu dans sa vie s’est fait poser cette douloureuse question : tu ne t’en doutais pas ? Tu n’as rien vu venir ? « Ah oui, on appelait cela de la confiance, il faudrait à présent y voir de la naïveté, écrit Philippe Delerm. Comment ai-je pu à ce point manquer de clairvoyance ? Bien sûr, j’aurais dû sentir venir. Les autres sans doute le sentaient pour moi, pourquoi n’ont-ils alors rien dit ? »
« C’est pas pour nous. »
Une expression qu’on emploie pour afficher sa modestie – c’est trop cher, trop luxueux, trop extravagant –, mais aussi, implicitement, une déclaration un peu fière qui veut dire « On sait à quelle caste on appartient et on n’en a pas honte », selon l’auteur de La première gorgée de bière.
« Tu es content ? »
Quand quelqu’un nous pose cette question, c’est qu’il est fâché, ce n’est pas parce qu’il veut nous féliciter pour un bon coup.
« C’est pas pour dire mais… »
Philippe Delerm note qu’habituellement, quand on commence une phrase de cette manière, on ne va pas dire, on va médire…
« J’dis ça, j’dis rien… »
« Si on prenait l’expression au pied de la lettre, nous dit Philippe Delerm, on devrait y voir une proposition d’effacement : Faites comme si je n’avais rien dit, j’ai parfois de ces saillies qui me viennent sans réflexion, je vous ai peut-être choqué, passez l’éponge. C’est la partie revendiquée du message. Si j’ai quitté le mode de consensus, c’était sans intention agressive. Ça vient un peu comme un “pardon” après un renvoi ou une flatulence. »
« Pour être tout à fait honnête avec toi… »
Cette formule éveille la suspicion chez les plus méfiants. Quoi ? Notre interlocuteur n’a pas été honnête auparavant ? Pour Philippe Delerm, c’est une expression qui implique « beaucoup de choses en peu de mots ». « Cela suppose déjà que votre interlocuteur envisage l’honnêteté de manière peu frontale, écrit-il. Il y a des occasions où il ne la pratique guère. Il doit se faire une idée très personnelle de ce que serait la franchise, puisqu’il est capable de la moduler, de la nuancer, et très vraisemblablement de s’en abstenir. »
« Je le lis chez ma coiffeuse. »
L’équivalent de notre « Je l’ai lu chez le dentiste » et qui fait référence habituellement aux magazines à potins qu’on n’oserait pas avouer avoir lus, même sous la torture…
Et vous avez eu beau temps ? – La perfidie ordinaire des petites phrases
Philippe Delerm
Seuil
159 pages