Rentrée télé 

La fiction au temps de la parité

Les récents scandales d’inconduites sexuelles qui ont frappé le milieu de la télé au Québec ne devraient pas porter ombrage à une victoire qui est en train de se concrétiser : la parité a été atteinte chez les auteurs de fiction. Cette rentrée télé en est le reflet. Un dossier de Chantal Guy

La rentrée télé des auteures

Fiction québécoise

Les nouveautés

En tout cas (Rafaële Germain)

À TVA dès le lundi 8 janvier à 19 h 30

Fugueuse (Michelle Allen)

À TVA dès le lundi 8 janvier à 21 h

Cheval-Serpent (Danielle Trottier)

À ICI Radio-Canada Télé dès le mercredi 10 janvier à 21 h

Les magnifiques (collectif)

À ICI Radio-Canada Télé dès le vendredi 12 janvier à 21 h 30

Les retours

Le chalet (Kadidja Haïdara, Kristine Metz, Sarah-Maude Beauchesne et Annabelle Poisson)

À VRAK dès le mardi 2 janvier à 17 h 30

Lâcher prise (Isabelle Langlois)

À ICI Radio-Canada Télé dès le lundi 8 janvier à 19 h 30

L’échappée (Michelle Allen)

À TVA dès le lundi 8 janvier à 20 h

Ruptures (Daniel Thibault, Isabelle Pelletier, François Camirand)

À ICI Radio-Canada Télé dès le lundi 8 janvier à 20 h

O’ (Sylvain Charbonnau, Anita Rowan, création de la regrettée José Fréchette)

À TVA dès le mardi 9 janvier à 20 h

Unité 9 (Danielle Trottier)

À ICI Radio-Canada Télé dès le mardi 9 janvier à 20 h

L’heure bleue (Anne Boyer et Michel d’Astous)

À TVA dès le mardi 9 janvier à 21 h

Au secours de Béatrice (Francine Tougas)

À TVA dès le mercredi 17 janvier à 20 h

Victor Lessard, saison 2 (Martin Michaud, Frédéric Ouellet, Michelle Allen)

Sur Club illico au printemps

— Chantal Guy, La Presse

Rentrée télé 

Femmes fortes au petit écran

Sur les 22 fictions qui arriveront au petit écran cet hiver, au moins 13 ont comme auteurs des femmes, qu’elles soient les auteures uniques ou qu’elles fassent partie d’un tandem ou d’un groupe de scénaristes.

Et en 2017-2018, nombreuses sont les séries qui tournent autour de personnages principaux féminins : Unité 9, bien sûr, mais aussi Les magnifiques, En tout cas, Les Simone, Lâcher prise, Au secours de Béatrice, Ruptures, L’échappée

Des esprits chagrins ou réac pourraient se plaindre que la télé québécoise se « matantise », on pourrait même avoir l’impression d’une domination des femmes, mais cette impression relève d’un biais, puisque la situation est le reflet d’une parité presque atteinte, et non d’une domination. (D’ailleurs, cette parité est loin d’être une réalité à la réalisation et dans certains métiers techniques.)

N’empêche, l’impact est majeur pour l’imaginaire collectif et pour les rôles offerts aux comédiennes. « Ces données-là sont emballantes », avoue Julie Ravary-Pilon, stagiaire postdoctorale à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM.

« Pour l’imaginaire collectif, c’est énorme, ce sont des modèles. Le slogan du Geena Davis Institute, en Californie, qui est le plus grand institut pour la parité, est : “Si elle le voit, elle peut l’être.” [If she sees it, she can be it.] Quand on peut voir des modèles à l’écran, c’est très fort. J’ai un peu le goût de féliciter les coalitions et les organismes comme Réalisatrices équitables, qui veillent au grain, qui veillent à des parités culturelles. Le cinéma, qui est un peu en retard, devrait tirer une leçon de ça. »

« Je dirais que la télé est en ce moment plus importante dans l’imaginaire québécois que le cinéma. Et si la télé se porte si bien, c’est peut-être en lien avec la parité hommes-femmes. »

— Julie Ravary-Pilon, stagiaire postdoctorale à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM

Un cas d’école est certainement Unité 9, qui rassemble une distribution de haut niveau et de tous les âges, présentée de façon crédible. Avec des cotes d’écoute impressionnantes à la clé.

« J’ai vu le changement depuis une dizaine d’années, note l’auteure Danielle Trottier. Quand j’ai proposé cette histoire-là, centrée sur des femmes, on avait des doutes à l’époque. Je pense qu’aujourd’hui, ça ne ferait plus peur à personne. Un show de femmes peut bien marcher, les hommes le regardent aussi, ça ne devrait plus être un handicap pour les décideurs. Si le public avait réagi négativement, je ne serais pas en train d’écrire la septième saison. »

Des héritières

Comme le rappelle notre chroniqueuse Nathalie Petrowski (voir sa chronique en écran 5), les femmes scénaristes sont arrivées dès les débuts de la télévision québécoise, avec Germaine Guèvremont. Les Janette Bertrand, Lise Payette et Fabienne Larouche ont continué le travail et marqué le petit écran.

« Je trouve que vous mettez le doigt dessus, dit Danielle Trottier. De tout temps, il y a eu une auteure qui a osé, qui a affronté des tabous. Je suis héritière de tout le travail qui a été fait avant moi. »

« La porte est ouverte pour les jeunes femmes qui ont le goût d’aller plus loin, dans cette lignée de femmes auteures, qui étaient courageuses et avant-gardistes. »

— Danielle Trottier, auteure

« Je pense qu’au Québec, pour vrai, dans les rôles de femmes à l’écran, on a une télé qui est hyper saine », estime Rafaële Germain, qui signe sa première série avec En tout cas.

« Je pense aussi que la télé québécoise est une télé très familiale, et la famille, c’est souvent la femme, poursuit la scénariste. On fait une télé rassembleuse parce qu’on n’a pas le choix de faire de la cote d’écoute : nous sommes un petit milieu et je pense que, sans vouloir être trop “genrée”, la femme est, en règle générale, plus rassembleuse que l’homme. Nos téléromans, nos fictions, on peut regarder ça en gang, contrairement au cinéma qui se consomme plus en solitaire ou en couple, et il me semble que ça a toujours été les femmes qui ont rassemblé le monde au Québec. »

Des rôles principaux et forts

La parité chez les auteurs de séries télé n’apporte pas simplement plus de rôles aux comédiennes, cela apporte des rôles principaux et des personnages qui ont de la profondeur. Disons que beaucoup de nos séries passent le test de Bechdel, inventé aux États-Unis pour évaluer la présence de personnages féminins forts au cinéma. Pour passer le test, il faut deux personnages féminins identifiables, qui se parlent et qui se parlent d’autre chose que d’un homme. Faites le calcul…

Julie Ravary-Pilon tient cependant à rappeler que ce n’est pas seulement la responsabilité des femmes de créer de grands personnages féminins à l’écran. « Ce n’est pas parce que c’est une femme qui écrit ou qui réalise qu’elle doit parler de l’imaginaire féminin ; elle doit avoir une liberté créatrice. Et des hommes peuvent créer des personnages féminins magnifiques. Pensons à Big Little Lies, réalisé par Jean-Marc Vallée, ou à Serge Boucher ici, avec les séries Aveux, Apparences et Feux. On veut que des femmes réalisent de grands récits d’hommes et que des hommes réalisent de grands récits de femmes aussi. »

La femme forte au petit écran québécois est pratiquement devenue une tradition. Pensons aux Filles de Caleb et à Blanche. « On vient de là, croit Anne-Élisabeth Bossé, qui joue dans la nouvelle mouture des Pays d’en haut, où les personnages féminins sont “kick-ass” et loin de la Donalda d’origine, disons. C’est un franc-parler, une femme capable de mettre ses culottes, qui a de l’audace et qui ne se prend pas pour une autre en même temps. »

« Dans Les pays d’en haut, on ne met pas des chapeaux pis des gants : il fallait être capable de défricher une terre et de traire des vaches ! C’est peut-être dans notre ADN d’avoir des femmes hyper solides. »

— La comédienne Anne-Élisabeth Bossé

Guylaine Tremblay, qui reconnaît sans problème avoir été une comédienne choyée par la télévision québécoise, profite du fait que les rôles attribués aux femmes de 40 ans et plus se multiplient.

« C’est quand même incroyable, ça aurait été inimaginable avant, croit-elle. À 40 ans, on aurait tricoté des pantoufles dans le coin d’une cuisine. C’est formidable que les femmes de 40, 50 et 60 ans aient des personnages très riches, forts et profonds. On parle pour toutes les années où l’on n’a pas parlé, je pense. Ça me fascine, toutes ces femmes-là qui auraient pu parler et qui n’ont pas pu le faire à un moment donné. On parle pour elles. Il reste juste le cinéma à comprendre, parce que pour être très franche, les filles de mon âge, on ne se fait pas offrir beaucoup de trucs au cinéma. »

L’écoute des hommes

Le public des fictions québécoises est majoritairement féminin, confirme André Béraud, directeur des émissions dramatiques à la télévision de Radio-Canada. Normal que la télé reflète leurs intérêts. « Historiquement, c’est le principal public, même pour des séries comme 19-2, dit-il. Les hommes regardent les séries avec les femmes ; c’est très rare que des séries ne sont regardées que par des hommes. » Selon Julie Racine, chef de la promotion télévision à Radio-Canada, « la parité n’existe pas pour l’écoute de la télévision en général, toutes stations confondues : les hommes comptent pour 45 % de l’écoute télévisuelle des Québécois francophones adultes ». Et pour les séries diffusées à Radio-Canada, ce sont Les pêcheurs qui arrivent en tête chez les auditeurs, suivis du Siège et de Faits divers. « Mais il reste qu’en nombre absolu d’auditeurs, Unité 9 et District 31 touchent un plus grand nombre d’hommes, même si leur proportion dans l’auditoire adulte est moindre », précise-t-elle.

Rentrée télé

Prochain combat : la diversité

La télé québécoise vit peut-être un âge d’or pour les rôles féminins intéressants, mais rares sont les rôles principaux tenus par des femmes racisées depuis le Jasmine de Jean-Claude Lord, en 1996.

« Je regarde ce qui se fait ailleurs et notre télé est encore très blanche et très hétérosexuelle, souligne Julie Ravary-Pilon, stagiaire postdoctorale à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM. Ça va bien, mais ça pourrait aller mieux. Il nous faut plus de femmes racisées, LGBTQ, etc. »

« Je suis emballée par la télé pour les jeunes, une série comme L’Académie de Sarah-Maude Beauchesne, par exemple. J’ai adoré le personnage de Wendy. Continuez d’écrire comme ça ! J’ai vraiment l’impression que la télé ado et jeunes adultes est plus ouverte sur ces enjeux-là. Il faudrait aussi plus de diversité économique parce que nous avons beaucoup de professionnelles en moyen à l’écran. Là-dessus, Unité 9 est dans une classe à part, quand on pense au personnage de Danielle Proulx, par exemple, qui a connu l’itinérance. »

À la recherche de comédiennes

Plus de diversité, cela fait partie des intentions de Danielle Trottier, qui vient d’introduire à Lietteville un personnage autochtone joué par Natasha Kanapé Fontaine, qui, dès son apparition, a bouleversé le public.

« C’est encore quelque chose de très difficile, explique-t-elle. Quand j’ai pensé à ce personnage, la responsable du casting me cherchait une comédienne avant même qu’il soit écrit. On manque de comédiennes de toutes les nationalités pour pouvoir aller plus loin, et ce n’est pas vrai qu’on s’improvise scénariste, actrice, réalisatrice. Ce sont de vrais métiers. Il faut oser aller dans les écoles et sortir avec des savoir-faire. Je demande juste ça ! »

Et quand on voit ce que les efforts faits pour atteindre la parité commencent à donner, il est permis d’espérer.

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