Chronique

Une fripouille qui tache

Permettez que je commence cette chronique sur une longue citation…

« Ceux qui ont accepté de M. [Jacques] Corriveau et de M. [Jean] Brault, au nom du PLCQ [Parti libéral du Canada – Québec], des contributions en liquide et d’autres avantages malhonnêtes se sont déshonorés et ont déshonoré le parti politique qu’ils étaient censés servir. C’est pour cette raison que l’on doit blâmer Michel Béliveau, Marc-Yvan Côté, Benoît Corbeil et Joseph Morselli, même s’ils n’ont pas personnellement tiré profit des sommes qui sont passées entre leurs mains. Ils ont agi au mépris des lois régissant les dons aux partis politiques et ont contribué à entretenir la perception, beaucoup trop répandue, que bon nombre des militants politiques qui participent à l’exercice démocratique sont malhonnêtes et suspects. »

C’est le juge John Gomery qui a écrit ces mots à la page 450 de son premier rapport, au terme de la commission sur le scandale des commandites, en 2005.

Il blâmait Marc-Yvan Côté – ministre libéral sous Robert Bourassa, organisateur électoral de génie – pour avoir accepté sans poser de questions une enveloppe de cash des mains du directeur du PLC-Québec. Cash qu’il distribua à des bénévoles et à des candidats libéraux pour les élections fédérales de 1997.

Plus précisément : 120 000 $ en cash (173 000 $ en dollars constants).

Une enveloppe qui faisait « trois pouces et demi d’épais », selon les propres mots de Marc-Yvan Côté devant le juge Gomery (voir la photo ci-dessus).

J’ai déjà écrit que la présence de Marc-Yvan Côté dans l’orbite de la famille libérale provinciale dans les années 2000 était un symptôme de la corruption morale qui régnait dans ce parti : même rendu radioactif par le juge Gomery, même banni à vie par le Parti libéral du Canada, Marc-Yvan Côté n’était pas suffisamment toxique pour être persona non grata sous Jean Charest !

J’ai aussi écrit que M. Côté était une fripouille. Je le pense encore. Si M. Côté n’est pas une fripouille en politique, alors il n’y a pas de fripouilles en politique.

Je vous parle de Marc-Yvan Côté parce qu’après avoir éclaboussé Nathalie Normandeau et Sam Hamad par sa seule présence dans leurs entourages, voilà qu’il éclabousse le premier ministre lui-même : Le Journal de Montréal a exhumé un courriel envoyé en 2012 par Philippe Couillard à M. Côté.

M. Couillard envoie ce courriel après que M. Côté a été mis à mal par l’émission Enquête pour une (autre !) affaire de financement illégal, au provincial cette fois. M. Couillard était en 2012 un simple citoyen, retiré de la vie politique. Je le cite :

« J’ai essayé de t’appeler par ton cell afin de discuter des médias etc… Enfin, si tu as le goût d’en parler avec un ami et de “brainstormer” ne te gêne pas. »

Réponse de M. Côté : « Merci pour la prise de contact et le renouvellement de ton amitié. »

Ce à quoi M. Couillard répond : « Anytime et si tu veux monter au lac pour relaxer, la porte est ouverte. »

M. Couillard a le droit d’avoir les amis qu’il souhaite et d’ouvrir la porte de sa maison du Lac-Saint-Jean à qui il le désire.

Il a le droit, comme il l’a déclaré hier, de « tendre la main » à un autre être humain.

Mon bogue, c’est qu’en 2012, pour M. Couillard, Marc-Yvan Côté n’est pas un ami d’antan qui a soutenu M. Couillard dans des moments personnels difficiles depuis des décennies, ce qui à mon sens lui vaudrait le genre d’amitié indéfectible qui survit aux dérives éthiques…

Non, M. Couillard a connu M. Côté quand il était ministre de la Santé, donc après 2003. M. Couillard l’a consulté, dit-on, parce que M. Côté avait été ministre de la Santé lui aussi, jadis, sous Robert Bourassa. Une amitié récente, quand M. Côté va s’incriminer chez le juge Gomery.

Et après 2005, quand il fut donc avéré que M. Côté avait agi comme plaque tournante pour de l’argent cash en politique – le cash est plus difficile à retracer que les chèques, vous comprenez… –, quand M. Côté fut blâmé par le juge Gomery pour avoir « agi au mépris des lois » et « déshonoré » le PLC, quand M. Côté fut banni à vie de ce PLC, ni le Parti libéral du Québec ni Philippe Couillard n’ont jugé bon de s’en distancer…

Et sept ans plus tard, en 2012, après un reportage qui incriminait (encore !) Marc-Yvan Côté pour une (autre !) affaire de financement politique illégal, qu’a fait Philippe Couillard ?

Il lui a « tendu la main ».

C’est son droit le plus strict.

Et ça ne fait pas de celui qui allait devenir premier ministre deux ans plus tard un homme croche. Je ne pense pas qu’il soit croche.

Mais quand on a choisi de tendre la main à des amis qui brassent de la marde, ça se peut que la nôtre, notre main, sente mauvais. Il faut assumer ses amitiés.

Actualités

Couillard défend ses liens avec Marc-Yvan Côté

Le premier ministre Philippe Couillard a dit hier « avoir tendu la main d’un être humain à un autre être humain », quand il a invité à sa maison Marc-Yvan Côté, cet ancien ministre et organisateur politique du Parti libéral accusé de fraude. Selon un échange de courriels datant de 2012 obtenu par Québecor, M. Couillard a invité chez lui M. Côté alors qu’il venait d’être éclaboussé par un reportage de l’émission Enquête de Radio-Canada. Or, lors d’un point de presse à la fin de mars dernier, questionné sur les « rapports » qu’il avait eus avec Marc-Yvan Côté, le premier ministre avait affirmé ne l’avoir rencontré qu’une seule fois lors d’un souper-bénéfice il y a déjà plusieurs années. Accusé par le chef péquiste Jean-François Lisée d’avoir « finassé avec la vérité », le premier ministre a soutenu que dans son esprit, il s’agissait de rencontres et non de rapports, donc il n’y avait eu que celle au souper-bénéfice.

— La Presse canadienne

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