société chronique

Accros au sexe

Certaines personnes ne vivent que pour le sexe. Ce sont des sexoliques. Leur obsession se compare au jeu compulsif. Incapables de mettre fin à leurs démons, elles ont besoin d’aide : thérapies, groupes de soutien. Notre chroniqueuse Michèle Ouimet lève le voile sur ce tabou puissant. Témoignages.

Chronique

La descente aux enfers

La période folle a duré six mois.

Six mois où Anne (nom fictif) ne vivait que pour le sexe.

« Je suis tombée dans un état obsessif, raconte-t-elle. Tous les jours, je visitais des sites pornos. J’allais chez des gars que je connaissais pas à 3 h du matin, des gars rencontrés sur des chatrooms. J’étais toujours sur internet. Je dormais pas gros, je callais souvent malade. »

Anne a toujours été tourmentée par sa libido. « Enfant, je me touchais tout le temps. »

L’internet a alimenté ses obsessions, une sorte de caverne d’Ali Baba du sexe où tout était possible.

« Internet ? Ouf ! c’était le bar ouvert, le buffet chinois avec des egg rolls pis toutte. »

Anne s’enfonçait dans la débauche. « Au début, je regardais des images ben ben soft, mais c’était jamais assez. J’avais besoin de perversion. Sur internet, tu peux voir n’importe quoi, de plus en plus hard, de plus en plus violent, de plus en plus dégradant. J’étais rendue dans le très, très hard. »

Elle ne pensait qu’au sexe, elle ne vivait que pour le sexe.

« Quand je voyais des amis, j’avais hâte de partir pour aller sur mon ordinateur. Je pouvais passer 20 heures par jour sur internet. »

Elle rencontrait des sexoliques, des hommes obsédés par le sexe, parfois deux, trois fois par jour.

« Vous avez couché avec combien d’hommes ?

— Je le sais pas. »

Anne sourit, incrédule devant sa folie. Elle était prise dans une spirale, le sexe contrôlait sa vie. Elle prenait des risques inouïs en rencontrant de parfaits inconnus obsédés par le sexe au milieu de la nuit.

J’ai rencontré Anne dans un centre communautaire de Laval. Depuis 10 ans, elle fait partie d’un groupe d’entraide, les Sexoliques anonymes. Elle est terrorisée à l’idée d’être reconnue, mais elle tient à donner une entrevue pour aider les femmes aux prises avec un problème de dépendance sexuelle.

Mi-cinquantaine, cheveux droits qui encadrent un joli visage, lunettes sur le bout du nez. Anne raconte calmement sa vie de femme accro au sexe, mais quand elle parle de sa rupture avec son mari, qui était incapable de la satisfaire, elle craque et se met à pleurer.

« Ben voyons, qu’est-ce qui me prend ? »

Elle attrape un kleenex, essuie ses yeux et attend que les larmes se tarissent avant de reprendre le fil de son récit.

« Un jour, j’ai attrapé l’herpès. J’ai eu peur en tabarnouche. C’était comme une bombe qui tombait dans ma vie. Ça m’a shakée. J’ai eu un moment de lucidité, je me mettais en danger, j’aurais pu être assassinée. J’ai été chanceuse. »

Elle soupire.

« Je souffrais beaucoup. C’était de la grande souffrance, de la grande détresse. »

— Anne

***

Anne a grandi dans un milieu familial toxique : père obsédé par le sexe, mère frustrée par un mari qui la trompait et lui refilait des maladies vénériennes.

« Il y avait tellement de chicanes chez nous. Je me faisais tout le temps dire que j’étais pas correcte, je me sentais pas aimée. »

Son père a abusé d’elle quand elle avait 3 ou 4 ans. « Quand il me touchait, je me sentais importante, aimée, belle. C’étaient des moments doux. C’est pas normal. »

« Je faisais ce que mon père me demandait. Je pensais que pour être aimée, il fallait que je sois soumise et qu’il y ait de la sexualité. Adulte, j’ai cru la même chose. »

Elle s’adonnait à des jeux sexuels avec son frère. À l’école primaire, elle allait dans le bois avec des garçons. Elle avait la réputation d’être « willing ».

« Toute ma vie, j’ai pensé que c’était ça, l’amour. »

Elle s’est mariée à 20 ans avec un homme de son âge. Ils ont eu deux enfants.

« Mon mari venait d’une famille saine. Il m’aimait, mais notre sexualité était jamais assez hard. J’avais plus envie de faire l’amour avec lui, il était trop sage, trop normal. Quand il s’endormait, je me masturbais. »

« J’avais une très mauvaise estime de moi. Quand j’ai quitté mon mari, je me suis sentie comme une moins que rien. C’est le plus grand regret de ma vie. La luxure a bousillé ma relation. »

***

La peur de mourir et d’être assassinée par un homme qui veut aller trop loin. La peur, l’herpès, le moment de lucidité. C’est à cet instant précis qu’elle a décidé de stopper sa descente aux enfers.

« J’ai consulté une thérapeute. Elle m’a parlé des dépendants affectifs et des Sexoliques anonymes. »

Le sevrage a été terrible.

« Ouf ! C’était long, je filais pas, oh ! que je filais pas. Quand je rechutais, je me sentais comme un lendemain de brosse, mal à la tête, mal au cœur, fatigue. Je suis tombée en dépression. »

Depuis 10 ans, elle assiste aux réunions des Sexoliques anonymes, qui ont emprunté le fonctionnement des Alcooliques anonymes avec les 12 étapes. Les débuts ont été éprouvants.

« J’étais une des rares femmes. Je parlais de sexe devant une gang d’hommes, ça me faisait rechuter. »

— Anne

« J’ai fait mon sevrage par étapes. J’ai d’abord arrêté de rencontrer des inconnus. Au moins, j’étais plus en danger de mort. »

Puis, il y a eu l’internet. « C’était difficile et ce l’est encore. L’obsession d’aller voir… Quand je rechute et que je vais sur des sites pornos, je suis pas bien. Je me dis : “Ark ! Arke ! C’est dégueu.” J’ai mal au cœur, mal à la tête. Je me sens coupable, j’ai honte. Surtout la honte. »

« Ça fait quatre ans que je n’ai pas eu de relation sexuelle. Zéro. Même pas embrasser quelqu’un. J’aimerais ça avoir un amoureux et une sexualité normale. J’aimerais tellement ça ! »

Les images pornos tournent toujours dans sa tête – elle ne peut pas les effacer –, mais ce n’est plus obsessif.

« Aujourd’hui, ce n’est plus la luxure qui contrôle ma vie. »

Chronique

La noyade intérieure

En apparence, ils étaient heureux : couple dans la mi-quarantaine, enfants sans problèmes, grosse maison au bord d’un lac. Sauf que les démons de Marc, qui s’agitaient sous le vernis de cette vie parfaite, ont tout détruit.

Marc (nom fictif) est un sexolique. Le sexe l’a toujours obsédé : salons de massage, maîtresses, prostituées, danseuses, magazines pornographiques, masturbation compulsive. Sa sexualité était sans fond.

Grand, svelte, épaules carrées. Marc consommait de façon obsessionnelle.

« C’était le symptôme d’un problème plus profond, je n’avais aucune estime de moi, explique-t-il. J’étais un dépendant affectif et un narcissique. Je compensais mon vide intérieur par la dépendance. J’ai beaucoup consommé, le sexe, l’alcool, les drogues.

— Des drogues dures ?

— Non, sinon je serais déjà mort », laisse-t-il tomber d’une voix amère.

Il se tait en fixant ses mains. Ému, il attrape un mouchoir. Il retient ses sanglots. Sa femme Sophie (nom fictif) est à côté de lui. C’est elle qui a insisté pour rencontrer La Presse. Lui hésitait, il avait peur d’être reconnu.

Leur chat, assis de l’autre côté de la porte-fenêtre, fait sa toilette en se léchant les pattes. Dehors, les arbres nus annoncent l’hiver. Concentrés sur leur malheur, Sophie et Marc ne voient rien de tout cela.

Le vide, répète Marc. Un vide qui ressemble à un gouffre.

« J’ai rempli mon vide avec le sexe », dit-il.

Sophie s’énerve. « C’était un vide impossible à remplir. J’avais beau donner, donner, donner, il n’y avait rien qui restait. Marc était une passoire. »

Un long silence plane dans la cuisine, entrecoupé par le bruit sec d’un kleenex qu’on arrache de la boîte.

« Plus tu en fais [du sexe], plus tu en consommes. Tu as honte et à cause de la honte, ton estime de toi est encore plus dans le trou. Tu as besoin de sexe encore et encore parce que le trou est de plus en plus grand. » — Marc

« C’est une noyade intérieure, poursuit Marc.

— Tu nous entraînais dans le tourbillon, réplique Sophie d’un ton coupant. On était tous en train de se noyer.

— Plus tu sombres, plus tu te perds, se justifie Marc. Tu te sens pas bien. Tu as un méchant trou en dedans de toi, un trou sans fond, c’est épeurant. »

Le couvercle est resté sur la marmite pendant 22 ans. Sophie avait des doutes, elle posait des questions, mais Marc se retranchait dans ses mensonges.

« Je mentais à cause de la honte », dit-il.

Sophie pousse un soupir exaspéré.

Un jour, le couvercle a sauté.

Marc n’en pouvait plus, il voyait bien qu’il était en train de tout détruire autour de lui. Il a souvent tenté de tourner le dos au sexe, en vain. « T’arrêtes, tu retombes, les années passent et tu continues. »

Sophie, elle, était en train de « péter au frette ».

« On avait une vie sexuelle de marde, Marc avait des éjaculations de plus en plus précoces et des problèmes érectiles. »

Malgré tout, ils n’en parlaient pas. La chape de plomb écrasait tout.

Un soir, ils décident d’aller au restaurant. Les enfants restent sagement à la maison, l’aîné garde les plus jeunes.

Au milieu du repas, Sophie décide de confronter Marc. Elle n’en peut plus, lui non plus. Il est au bout du rouleau, au bout de ses mensonges. Pour la première fois, Marc accepte d’entrouvrir la porte sur son monde rempli de sexe et de honte.

Sophie tombe de haut, la dégringolade est brutale. Elle pensait que Marc la trompait, qu’il avait des maîtresses, une ou deux, sans plus. Elle découvre les couches de mensonges, les secrets honteux.

Elle doit se battre non pas contre une banale infidélité, mais contre des démons qui tourmentent son mari depuis son plus jeune âge.

Ces révélations ont l’effet d’une « bombe nucléaire doublée d’un tsunami ». Tout vole en éclats. Plus rien ne sera pareil.

***

C’est l’enfance de Marc qui a creusé ce trou qu’il n’arrive pas à remplir. Son père était un maniaco-dépressif qui passait son temps à tromper sa femme. Un homme absent qui voyait peu ses enfants.

Sa mère était froide, toujours un reproche à la bouche. Elle était incapable de gérer sa famille profondément dysfonctionnelle.

« Sa mère nous faisait toujours sentir inadéquats, pas corrects », dit Sophie.

Marc avait un côté destructeur et colérique. Il lançait ses jouets et faisait des trous dans les murs. Il voulait être aimé.

« Aimé et vu », précise-t-il.

Il ne l’a pas été. Son estime de soi en a pris un coup.

C’est là que le vide a commencé à se creuser.

***

Au restaurant, quand Marc entrouvre la porte de son univers caché, la vie de Sophie éclate en mille morceaux. Ses certitudes s’effondrent.

« Tout ce que je me disais, c’est : “Sophie, tombe pas, Sophie, reste debout, Sophie, crie pas, crie pas.” Si j’avais pu le tuer, je l’aurais fait. La force de la rage était à ce point-là. Le choc, l’impuissance, la honte de n’avoir rien vu. Tout a explosé. »

À la maison, elle somme Marc de prendre ses affaires et de partir sur-le-champ. Elle ne veut plus le voir. Les enfants assistent à la scène.

« Votre père m’a trompée pendant 20 ans », leur dit-elle.

« Les enfants nous avaient vu partir au restaurant heureux. Quand on est revenus, c’était la fin du monde », soupire Sophie.

Marc ramasse rapidement quelques affaires, dont son ordinateur. Sophie le lui arrache des mains et le fracasse sur une roche. Pour elle, l’ordinateur, c’était les putes, la pornographie, les démons. Elle ne se souvient pas si elle a crié ou pleuré, elle se rappelle seulement ses mains ensanglantées.

Peu de temps après, ils vendent leur maison au bord du lac, « leur château empoisonné ».

Sophie est en choc post-traumatique. « J’ai perdu 40 lb en trois mois. J’avais l’air d’un chicot. Tu dors plus, tu manges plus, tu fonctionnes plus. Tu obsèdes, tu regardes toute ta vie, il n’y a plus rien de vrai. Tout est entaché par ça. Tu t’es mariée, mais la veille il te trompait, tu étais enceinte, il te trompait, tu venais d’accoucher, il te trompait, tu étais en voyage de noces, il te trompait. Je me retrouvais devant rien. J’avais marié une fraude. Ma vie était une fraude. Tout était faux. Tu ne sais plus qui tu es, tu questionnes tout. Je l’ai traité de trou du cul je ne sais pas combien de fois. C’était extrêmement agressif au début. »

Marc baisse les yeux et accuse le coup. Sophie est intarissable, elle est encore sous le choc même si deux ans se sont écoulés depuis que Marc a déballé ses démons. Il a avoué, mais à petites doses. Le déballage a duré un an.

« À chaque révélation, c’est comme si un élastique me ramenait au fond du trou. J’ai jamais pensé qu’il était dépendant. Le feeling que c’est toi la pas correcte, toi la folle, toi l’obsessive, que t’es pas assez sexy, pas assez belle, que tu fais pas assez bien l’amour, que t’es pas désirable, que t’es jamais assez. Il a eu 22 maîtresses.

— Pas de chiffres, coupe Marc.

— Ben voyons ! Autant d’années, autant de maîtresses ! Plus toutes les putes que t’as croisées dans les bars. Plus toutte ! »

Marc aussi est tombé de haut. Il se voyait comme un homme infidèle, sans plus.

Il décide rapidement de voir une psychologue.

« C’était quoi, ta motivation ? lui demande Sophie.

— Vous retrouver, toi et ma famille. »

Il voit une thérapeute depuis deux ans. Il a fouillé dans son enfance pour « travailler sur la source » du problème. Il a participé à des groupes d’entraide. Sophie consulte de son côté. Ils suivent aussi une thérapie de couple.

En deux ans, ils ont dépensé plus de 25 000 $ en thérapies.

Elles ont fait leur œuvre.

« Je ne suis pas retourné dans les salons de massage, affirme Marc. J’ai des désirs sexuels, mais je n’ai plus de compulsion et je n’ai plus d’intérêt pour la porno. »

Même s’ils ne vivent plus ensemble, ils forment un couple.

«  Les gens me disent : “Ben voyons ! Divorce, refais ta vie.” On est séparés à cause du mensonge, de la dépendance, de la trahison et parce que Marc a tout détruit, mais on s’aime encore et c’est pour ça que c’est si difficile. »

« Je l’aime autant que je l’haïs. Cette rage est aussi forte que l’amour. Je vis dans la terreur que ça recommence. »

Le choc et l’amertume sont toujours présents.

« Je lavais ses bobettes pleines de sperme pendant qu’il couchait avec d’autres femmes. Il partait en voyage avec ses maîtresses et il leur achetait des bagues et moi, j’étais celle qui ramassait !

— Vous lui faites de nouveau confiance ?, ai-je demandé.

— Non, pas encore. Ça prend un temps fou à reconstruire. Ma priorité, c’est moi. Je veux bien aller. La confiance, c’est le dernier de mes soucis. »

Chronique

La misère sexuelle

Robert (nom fictif) a toujours été obsédé par le sexe. Jeune, il assouvissait ses désirs en feuilletant les catalogues Sears. Il bâtissait ses fantasmes en scrutant les femmes en robes moulantes et en jupes courtes. C’était bien avant l’internet. Robert a 70 ans.

Il s’est marié à 25 ans. Il n’avait jamais fait l’amour, sa femme non plus. Pendant sa nuit de noces, il était gonflé à bloc. Il n’en pouvait plus, ses pulsions sexuelles le torturaient depuis des années. Ses attentes étaient démesurées.

« J’avais un scénario dans ma tête : je jouissais, ma femme aussi, c’était le feu d’artifice. »

La nuit a été un fiasco. Comme le reste de sa vie sexuelle.

Pourtant, il aimait sa femme, mais il était éternellement insatisfait. Il rôdait autour d’elle, toujours prêt à faire l’amour. Elle sentait sa libido agressive, son énergie sexuelle belliqueuse.

« Plus mon mariage avançait, plus je voulais vivre mes fantasmes, explique Robert. Je voulais faire l’amour tout le temps, au cimetière, à la plage, dans le bois, n’importe où, n’importe quand. Ma bien-aimée m’a dit que j’étais un pervers. Ça m’a choqué. J’ai été voir dans le dictionnaire et je me suis rendu compte qu’elle avait raison. »

L’obsession enflait, elle était omniprésente dans la tête de Robert.

Fervent catholique, il restait prisonnier de ses fantasmes, incapable d’avoir une maîtresse ou de fréquenter des prostituées. Il se masturbait et allait voir des danseuses. Ses compromis avec Dieu s’arrêtaient là.

Après 20 ans de mariage, sa femme l’a poussé à consulter une thérapeute. Il a enfin pu mettre un mot sur ses obsessions : il était sexolique.

« Quand j’ai dit ça à ma femme en revenant de ma thérapie, elle s’est effondrée, complètement démolie. Elle est tombée de très haut. Elle a vu toutes mes manipulations, mon contrôle. Elle s’est sentie sale. Je l’ai beaucoup blessée. Elle voulait un amour sain et véritable. »

Elle a écrit une lettre intitulée Mon histoire : « Le choc que j’ai eu, je ne peux pas le décrire. Mon monde s’écroulait. À mes yeux, tout ce que nous avions vécu et partagé était devenu un énorme mensonge. […] Si je ne me suis pas suicidée, c’est à cause des enfants. »

« J’ai abusé de ma bien-aimée, que j’appelle ma mal-aimée. Je lui ai avoué que je l’avais utilisée comme un objet sexuel. Elle m’a dit : “Je te laissais faire, mais en dedans de moi, c’était non.” Appelez ça comme vous voulez, c’était un viol. »

— Robert

« Un an après ma confession, son corps s’est fermé, je ne pouvais plus la pénétrer. C’était à cause du traumatisme. Je me servais quand même d’elle pour mes jeux sexuels. »

Quand Robert a pris sa retraite, sa libido s’est déchaînée. Il était avec sa femme 24 heures sur 24.

« L’obsession est revenue encore plus forte. Un matin, elle m’a dit : “Robert, lâche-moi le cul, tabarnac !” »

Elle menaçait de se suicider, Robert était aux abois.

« Je voulais pas me séparer. J’ai prié et j’ai demandé à Dieu : “C’est quoi, ta volonté ?” »

Ils ont finalement fait chambre à part.

Robert a renoncé au sexe. Il se souvient du jour où il s’est masturbé pour la dernière fois. C’était en décembre 1992 dans un hôtel en Ontario. Il y avait un couple qui faisait l’amour dans la chambre voisine.

« J’ai eu des idées de suicide. Si c’est ça, la vie sans sexe, je veux mourir. J’ai prié, puis c’est parti. »

Il fréquente les Sexoliques anonymes depuis 25 ans.

Sa femme est morte récemment. Tous les soirs, il se couche en serrant un toutou dans ses bras.

Le sexolisme expliqué

La Clinique des troubles sexuels à Québec s’occupe depuis cinq ans des gens accros au sexe qui n’ont pas été accusés de pédophilie, voyeurisme ou agressions. Elle est la seule au Québec à se pencher sur les problèmes de dépendance de monsieur et madame Tout-le-Monde. La clinique fait partie du réseau de la santé. Nous avons parlé à la sexologue Isabelle Proulx. Tour de la question.

Peut-on dire que le sexolisme est une maladie, comme l’alcoolisme ?

C’est controversé. On parle plutôt de dépendance comportementale, comme le jeu compulsif, car, avec le sexe, il n’y a pas de substance impliquée, drogue ou alcool. La personne voudrait s’abstenir, mais elle finit par succomber. Ces gens-là souffrent.

On ne parle pas de libido forte ?

Non, on est ailleurs.

Pourquoi une personne devient-elle sexolique ?

Elle n’arrive pas à gérer des émotions ou des événements difficiles. Elle fuit dans le sexe, comme d’autres se réfugient dans l’alcool. C’est ce qui caractérise la dépendance.

À quel point la dépendance est-elle forte ? Peut-on la comparer à la dépendance à la cocaïne, par exemple ?

C’est difficile de comparer, car, avec le sexe, il n’y a pas de substance.

Pourquoi le sexe et non l’alcool ?

Ce n’est pas un hasard si le dépendant se tourne vers le sexe. Dans l’histoire sexuelle d’un individu, il existe souvent des éléments qui expliquent sa dépendance. Certains ont vécu des abus sexuels, d’autres ont été sexualisés très tôt parce que leurs parents regardaient de la pornographie devant eux. Des événements ont fragilisé leur développement psychosexuel.

Est-ce que le sexolisme se « guérit » ?

Ce n’est pas une maladie, alors on ne guérit pas. Par contre, ça se traite en thérapie, mais les gens doivent être motivés. Ils le sont quand ils ont quelque chose à perdre, comme leur emploi parce qu’ils regardent de la pornographie au travail.

Quelle sorte de thérapie ?

Nous offrons une thérapie de groupe d’un an. Les gens apprennent à gérer leurs émotions autrement et à ne plus avoir recours à la sexualité pour faire face aux aléas de la vie.

Après une thérapie, les gens restent-ils fragiles ?

Oui, c’est comme l’alcool et la drogue. Si leur équilibre est bouleversé, s’ils vivent quelque chose de difficile, il y a un risque de rechute.

Doivent-ils éviter les salons de massage, l’internet, etc. ?

Au début, il y a des restrictions. Ils se mettent des balises, comme ne plus avoir accès à l’internet à la maison.

Est-ce que les sexoliques doivent être abstinents, comme les alcooliques, pour éviter les rechutes ?

Ils peuvent gérer leur dépendance sans être abstinents. Ils doivent développer un nouveau rapport à la sexualité.

Donc un dépendant peut avoir une sexualité après sa thérapie ?

Il le faut. On peut vivre sans drogue, mais pas sans sexualité.

Donc, être sobre et non abstinent ?

On n’utilise pas ces termes, on parle plutôt de sexualité saine. Un homme peut décider de ne plus aller dans les salons de massage, mais il peut regarder de temps en temps de la pornographie et se masturber à l’occasion. Réduire, mais ne pas arrêter totalement. Ce n’est pas comme l’alcool.

Vous ne croyez pas à l’abstinence totale ?

Non, car ça crée encore plus d’obsession. On croit aux objectifs de réduction et d’encadrement des comportements. Il faut s’occuper de la cause du problème.

Est-ce que la cause peut être uniquement physique et non psychologique ?

Non, le problème n’est pas que physique. Aucune étude ne prouve que la dépendance sexuelle est due à un taux élevé de testostérone.

Est-ce que l’internet a amplifié le problème de dépendance ?

La sexualité est plus accessible avec l’internet, mais il faut se rappeler qu’il y a d’abord une fragilité.

Les femmes dépendantes sont-elles nombreuses ?

C’est rare. Les hommes sont plus visuels : porno, escortes, salons de massage. Les femmes vont davantage vers le sexe en ligne. C’est la relation avec le gars de l’autre côté de l’écran qui compte. Quand il lui dit, par exemple, qu’elle est la plus hot. Il y a de plus en plus de filles qui regardent de la porno. On risque d’avoir davantage de femmes sexoliques dans 10 ans.

Et les groupes d’entraide, comme les Sexoliques anonymes qui utilisent la méthode des Alcooliques anonymes, vous y croyez ?

Ça répond à un besoin de support, mais ils ne font pas de thérapie. Pour moi, ça prend une thérapie. L’idéal, c’est de faire les deux.

Ces groupes prônent l’abstinence ou le sexe limité au conjoint. Vous croyez à ces restrictions ?

Il y a une nuance entre « je me retiens » et « je fais du cheminement sur moi ». Si je chemine, je peux avoir une sexualité saine sans rechute. L’abstinence, c’est très négatif, trop rigide. Ça alimente l’obsession. La personne est dans un combat perpétuel.

Les groupes d’entraide sont utiles ?

Oui, car ils permettent de briser les tabous et l’isolement.

Des groupes d’entraide

Il existe quelques groupes d’entraide qui fonctionnent comme les Alcooliques anonymes avec les 12 étapes :

SA – Sexoliques anonymes

DASA – Dépendants affectifs et sexuels anonymes

S-Anon Montreal (anglophone)

Groupe de soutien aux familles qui vivent avec un sexolique

Impossible de connaître le nombre de sexoliques au Québec, car il n’existe pas d’études sur la question. De plus, a précisé la porte-parole de la Clinique des troubles sexuels, Annie Ouellet, « les professionnels ne s’entendent pas sur une définition du trouble, qui est encore très tabou ».

Depuis cinq ans, la Clinique a traité une soixantaine d’hommes… et une femme.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.