Chronique

Apportez votre carapace (et une tasse de thé)

Manifestez-vous. N’ayez pas peur.

Malgré deux jours d’interrogatoire éprouvants, la première plaignante à témoigner dans le procès de l’ancien animateur-vedette de la CBC Jian Ghomeshi a tenu à livrer ce message rassurant aux victimes d’agression sexuelle, qui, dans la majorité des cas, ne portent pas plainte. Elle a tenu à leur dire que, même si le processus était difficile, elle ne regrettait rien. Au contraire, elle avait l’impression de s’être délivrée d’un fardeau.

Manifestez-vous. N’ayez pas peur… Disons que ce message frondeur n’allait pas de soi pour qui a suivi les deux premiers jours du procès. La virulence avec laquelle l’avocate de la défense s’est attaquée à la crédibilité de la plaignante envoyait un tout autre signal. Cela rappelait avant tout, pour qui l’ignore encore, qu’il faut aux victimes d’agression sexuelle une bonne dose de courage pour s’engager dans un processus judiciaire.

Manifestez-vous. N’ayez pas peur. OK, oui… Mais surtout, apportez votre carapace.

Je rappelle que Jian Ghomeshi, qui a plaidé non coupable, est accusé dans ce procès d’avoir agressé sexuellement trois femmes. Il est aussi accusé d’avoir vaincu la résistance de l’une d’elles par l’étouffement. S’il est reconnu coupable, il risque une peine maximale de 18 mois de prison pour chaque chef d’agression sexuelle et la prison à vie pour le quatrième chef.

Je rappelle tout ça car si on se fie au fil narratif tissé par le contre-interrogatoire, on pourrait presque oublier qui est l’accusé dans cette histoire.

Jamais il n’y a été question des coups violents que le célèbre animateur aurait assénés à la tête de la plaignante. La défense n’a évidemment aucun intérêt à s’étendre sur le sujet.

C’est la crédibilité de la plaignante qu’elle met à procès, courriels aux airs de flirt et photo en bikini à l’appui. La plaignante aura beau dire qu’il s’agissait là d’une façon d’appâter Ghomeshi pour pouvoir lui parler et essayer de comprendre pourquoi il avait agi ainsi avec elle, le doute est semé.

Le temps d’un contre-interrogatoire musclé, les rôles s’en trouvent ainsi inversés. La plaignante devient accusée. L’accusé devient victime. Et ce qui est troublant, c’est que cette inversion, loin de nous déstabiliser, vient conforter un mythe ancré dans l’inconscient collectif en matière d’agressions sexuelles : la victime ment. Car si c’était vrai, n’aurait-elle pas dit « non » d’emblée ? N’aurait-elle pas tenté de mieux résister à son agresseur ? N’aurait-elle pas porté plainte contre lui bien avant ? N’aurait-elle pas cessé à tout jamais de lui parler ? Si elle a tenté de le joindre encore, n’est-ce pas la preuve qu’elle était consentante ?

***

La notion de consentement sexuel, bien que peu abordée jusqu’à présent, est au cœur du procès Ghomeshi. C’est une notion souvent bien mal comprise, qui gagnerait à être enseignée dans nos écoles. Car là encore, des idées reçues, trop souvent pétries de stéréotypes sexistes, viennent brouiller notre lecture des choses.

Comment déterminer s’il y a consentement ou pas ? Mon explication préférée sur le sujet se trouve dans cette vidéo anglaise, devenue virale, où on a remplacé le mot « sexe » par le mot « thé ». « Si vous avez encore du mal avec le consentement, imaginez simplement qu’à la place d’entreprendre une relation sexuelle, vous préparez une tasse de thé. »

« Les gens inconscients ne veulent pas de thé », explique le court film d’animation, mettant en scène des bonshommes allumettes invités à prendre le thé. Que faire si les invités disent « oui » ? Que faire s’ils disent « peut-être » ? Que faire s’ils disent « oui », mais changent ensuite d’avis ? Que faire s’ils perdent connaissance ?

Avec humour, la vidéo, utilisée l’an dernier par des policiers anglais dans le cadre d’une campagne de prévention, explique ce qui devrait aller de soi : il est tout aussi absurde de forcer des gens à boire du thé que de les forcer à avoir une relation sexuelle.

La blogueuse Emmeline May, auteure du texte qui a inspiré la vidéo, a brandi cette analogie alors qu’elle discutait avec des amis d’une affaire d’agression sexuelle sur un campus. Ceux qui défendaient l’accusé soutenaient que la plaignante devait être consentante, car elle avait déjà eu une relation sexuelle avec lui. Et alors ?, se demandait la blogueuse. Elle repensait au thé qu’elle avait bu chez une amie la semaine précédente. Est-ce à dire que cette amie avait désormais le droit de débarquer chez elle quand bon lui semble pour la forcer à boire du thé ?

Compliquée, la notion de consentement ? Non. C’est tout simple, en fait, note la blogueuse. « Que ce soit du thé ou du sexe, le consentement est tout ce qui compte. Et, sur ce, je vais me faire une tasse de thé. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.