Opinion

Luttons contre la violence systémique envers les femmes

Mercredi dernier débutaient les 12 jours d’action contre les violences envers les femmes. Partout au Québec, les groupes féministes se mobilisent pour réfléchir à ce fléau et aux solutions pour l’éradiquer. Notre constat est unanime : les violences envers les femmes sont systémiques et encore plus virulentes envers celles d’entre nous qui se trouvent à la croisée de plusieurs discriminations.

Pourquoi qualifions-nous ces violences de systémiques ?

L’actualité récente a illustré de manière dramatique qu’on ne peut mesurer l’ampleur d’un phénomène social comme celui de la culture du viol si on continue à traiter les agressions sexuelles comme des cas isolés.

Ainsi, il y a 600 000 agressions sexuelles par année au Canada, dont les hommes sont les agresseurs dans 96,8 % des cas, et les femmes victimes dans 78,1 % des cas. En moyenne, une femme sur deux sera agressée au moins une fois au courant de sa vie. Ce taux est bien plus élevé pour les femmes en situation de handicap.

À peine 5 % des femmes agressées portent plainte et le système judiciaire continue de produire des obstacles. Les survivantes savent que leur parole sera mise en doute, surtout si elles sont à la marge de la société, comme les femmes autochtones, les femmes trans ou les femmes qui sont dans l’industrie du sexe. Parmi les agressions déclarées, 3 sur 1000 seulement se soldent par une condamnation.

Les survivantes n’ont pas toutes accès à des ressources psychologiques, médicales et financières. Situation aggravée par les politiques d’austérité qui tarissent les ressources de nos organismes.

Récemment, nous avons réalisé l’ampleur de ce manque avec la campagne #moiaussi qui a fait déborder nos services auprès des victimes.

La pointe de l’iceberg

C’est pourquoi le caractère systémique des violences sexuelles doit être au cœur de nos réflexions. Or, les violences sexuelles ne sont que la pointe de l’iceberg. Bien d’autres demeurent invisibles.

Quelles sont ces violences invisibles que nous dénonçons ?

Parmi celles-ci, il y a les politiques d’austérité. En 2015, une étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques a révélé que les mesures d’austérité ayant affecté les femmes s’élevaient à 13 milliards de dollars, contre 9,9 milliards pour les mesures touchant les hommes. Ces politiques font des ravages sur les femmes déjà affectées par différentes inégalités systémiques (racisme, transphobie et colonialisme, par exemple).

Il y a les inégalités qui touchent les femmes sur le marché de l’emploi, autant en matière de salaire que d’accès à l’emploi. Les chiffres démontrent que les inégalités se creusent particulièrement pour les femmes racisées, les femmes autochtones, les femmes en situation de handicap, les personnes dont le genre n’est ni « homme » ni « femme ». Force est de constater que les violences à l’égard des femmes ne sont pas que physiques, elles prennent plusieurs formes et se manifestent à tous les niveaux. Elles s’imbriquent, se renforcent mutuellement et sont par ce fait systémiques.

Trop de femmes aujourd’hui sont encore marginalisées par notre société et nos institutions. Ces dernières devraient, selon nous, s’adapter à la réalité de celles qui sont le plus en marge.

Imaginez la galère d’une victime d’agression sexuelle sourde lorsque les services sont offerts sans interprétation en langue des signes québécoise ou d’une victime autochtone qui n’a pas accès aux services de traduction dans sa langue ! 

Comment quitter un employeur abusif quand le marché de l’emploi ne reconnaît pas nos compétences ou nous maintient dans un emploi à temps partiel et sous-payé ? Comment dénoncer un propriétaire qui nous harcèle sexuellement quand on a un statut précaire ou que – en tant que femme trans migrante – nos papiers ne correspondent pas à notre identité de genre ? Comment se soigner lorsque, d’expérience, on sait qu’on sera confrontée à des stéréotypes capacitistes ou racistes ? Comment quitter un conjoint violent quand les maisons d’hébergement manquent de place ou ne peuvent offrir des services accessibles à toutes, faute de moyens ?

Pour ces femmes, la société devient une véritable course à obstacles et nous, travailleuses communautaires et intervenantes, en sommes témoins tous les jours.

Une question de survie

Comment lutter contre les violences quand nos organismes luttent pour leur survie ?

Cette dernière décennie, aucune somme d’argent importante et récurrente n’a été injectée dans les ressources et les services pour les femmes victimes de violences. Il y a une absence de services pour les victimes d’agressions sexuelles dans certains quartiers de Montréal tels que Montréal-Nord, dans plusieurs villes au Québec et dans certaines régions comme le Nord-du-Québec ou le Saguenay–Lac-Saint-Jean. Il y a un sous-financement chronique des maisons d’aide et d’hébergement pour femmes autochtones. Les organismes de défense des droits des femmes sont de moins en moins financés, et le soutien financier à la mission globale se raréfie au profit du soutien financier par projets, qui détourne nos organismes de leurs missions.

Les politiques publiques sont trop souvent élaborées sans concertation avec les femmes qui travaillent sur le terrain. Ce sont pourtant nous qui avons réussi à mettre en place ces services de soutien directs aux femmes, avec et pour elles.

Au cours de ces #12joursdaction, luttons contre la #violencesystémique à l’égard des femmes et réclamons que le gouvernement nous consulte, reconnaisse nos expertises et nous dote des moyens nécessaires pour poursuivre notre mission.

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