Lecture  Essais

Les intellos du Québec

Qui sont les intellectuels québécois ? D’Henri Bourassa à Charles Taylor, en passant par Simonne Monet-Chartrand et France Théorêt, le Dictionnaire des intellectuel.les au Québec dresse une liste intéressante, quoiqu’incomplète, de ceux et celles qui ont fait leur marque dans le monde des idées. Entrevue avec Michel Lacroix, professeur au département d’études littéraires de l’UQAM, qui a codirigé l’ouvrage.

Pourquoi un dictionnaire des intellectuels ?

C’est un peu la synthèse de la carrière d’Yvan Lamonde qui est un pionnier de l’histoire des intellectuels au Québec (et qui fera l’objet d’un colloque à Edmonton l’automne prochain). Il est à la retraite depuis deux ou trois ans, mais encore très actif et il nous a embrigadés dans ce projet (rires).

L’intellectuel québécois a-t-il changé au fil du temps ?

Oui, beaucoup. Premièrement, il y a des femmes intellectuelles aujourd’hui, alors qu’avant, il n’y en avait pas. La structure en place ne permettait pas aux femmes de s’exprimer intellectuellement. D’où notre titre masculin-féminin (qui a été l’objet de débats entre nous) qui veut reconnaître cette évolution. L’intellectuel québécois a en outre moins tendance à renier sa québécitude. La tension entre la culture populaire et le français normatif utilisé par les intellectuels dans les années 50-60, et qui a sans doute alimenté une certaine forme d’anti-intellectualisme... Cette tension a disparu. Et plus l’éducation universitaire se généralise, plus l’anti-intellectualisme tend à disparaître. Mais il y en a encore, le maire de Saguenay en est la preuve.

Quels ont été les critères pour choisir ceux et celles qui allaient se retrouver dans votre dictionnaire ?

Cela partait d’abord d’une contrainte éditoriale : une limite d’espace. On voulait un seul volume et on ne voulait pas qu’il fasse 700 pages. On a fait chacun nos listes, puis on a discuté, débattu. On a voulu faire un livre accessible qui donnerait envie aux gens de découvrir qui se cache derrière des noms connus qui font partie de leur environnement (comme la station de métro Henri-Bourassa ou le cégep André-Laurendeau).

Il y a des incontournables, mais on retrouve aussi des jeunes, comme Mathieu Bock-Côté, Gabriel Nadeau-Dubois ou Aurélie Lanctôt. Comment le choix s’est-il fait ?

Pour les plus jeunes, on s’est attardés à la manière dont ils font bouger les choses au Québec. Dans le cas de Mathieu Bock-Côté, par exemple, c’est indéniable qu’il est une figure de proue du néoconservatisme. Ses positions marquent une évolution du discours nationaliste au Québec. Dans le cas d’Aurélie Lanctôt, elle est une figure représentative d’un nouveau féminisme. Dans cette catégorie, on avait l’embarras du choix. Gabriel Nadeau-Dubois représente quant à lui l’évolution de la pensée anarchiste. On l’associe à la gauche, à la démocratie participative.

Vos intellectuels sont très blancs. Où sont les autochtones ? Les individus issus des communautés victimes de racisation ?

Honnêtement, il n’y a pas encore eu d’essais majeurs de leur part au Québec. Je crois qu’ils sont encore à l’école, qu’il y a des plumes importantes qui sont sur le point de produire. Et il y en a un certain nombre du côté de la création – le spoken word, la poésie, etc. Ils n’ont pas encore pris la parole comme intellectuels.

Au Québec, les intellectuels sont surtout issus du milieu universitaire. Or plutôt que de participer au débat public, ils ont tendance à fuir les médias. Pourquoi, selon vous ?

C’est mal vu dans le milieu universitaire d’être trop présent dans les médias. On va vous le reprocher. Le mérite des professeurs est évalué sur leurs subventions de recherche, leurs publications scientifiques, pas sur une participation médiatique qui risque de réduire leur pensée et où ils auront très peu de temps pour s’exprimer. C’est le gros problème du milieu universitaire québécois, on forme des spécialistes, pas des intellectuels. Or je crois qu’il ne faut pas avoir peur de se mettre en danger dans l’espace public.

Les Français le font et semblent jouir d’un plus grand respect dans la population. La France serait-elle le paradis des intellectuels ?

La formation française, qui est entièrement axée sur l’agrégation, et donc, sur les examens oraux, explique l’aisance oratoire des Français. Ils sont prédisposés à intervenir sur tout alors qu’ici, les universitaires apprennent à écrire des articles savants. C’est tout simplement une différence de formation, mais pour le reste, nous n’avons rien à envier aux intellectuels français.

Dictionnaire des intellectuel.les au Québec

Sous la direction d’Yvan Lamonde, Marie-Andrée Bergeron, Michel Lacroix et Jonathan Livernois

Les Presses de l’Université de Montréal

343 pages

Comment élever une féministe

Une amie d’enfance qui venait de donner naissance à une fille a demandé à Chimamanda Ngozi Adichie de la conseiller : comment devrais-je élever ma fille pour qu’elle soit féministe ? L’auteure de We Should All Be Feminists a répondu à sa copine dans une lettre en 15 points qu’elle publie ici sous forme de manifeste. On reconnaît dans ce court texte le style direct et sans prétention de l’auteure d’Americanah qui revient aux notions de base du féminisme : l’éducation, la liberté, les rapports homme-femme, le droit de choisir. Si certains conseils prodigués à son amie peuvent paraître un peu surprenants de notre point de vue d’Occidentales privilégiées, le texte nous permet de réaliser – si c’est encore nécessaire – que tout est loin d‘être gagné partout sur la planète. Donner son nom de famille à son enfant, par exemple, est loin d‘être acquis au Niger, où les enfants « appartiennent » aux hommes même si ce sont surtout les femmes qui les élèvent. Le livre de Chimamanda Ngozi Adichie est simple, ses propos, limpides, et il constitue un excellent point de départ pour qui veut se familiariser avec le b.a.-ba du féminisme. — Nathalie Collard, La Presse

Dear Ijeawele, or A Feminist Manifesto In Fifteen Suggestions

Chimamanda Ngozi Adichie

Knopf Canada

80 pages

L’éthique de la viande

Le débat autour de la consommation de viande ne tarit pas depuis quelques années, au Québec comme ailleurs en Occident. Certains refusent d’en manger pour des raisons de santé, mais chez les plus jeunes, de plus en plus attirés par le végétarisme et le végétalisme, c’est souvent pour des motifs éthiques. Mais l’argument éthique, souvent utilisé, est rarement expliqué. C’est ce que fait ici avec brio la philosophe Florence Burgat, directeur de recherche à l’INRA, qui s’est donné comme objectif d’expliquer et de remonter aux sources de l’humanité carnivore afin de comprendre à quel moment et, surtout, pour quelles raisons l’humain s’est un jour approprié le droit de tuer d’autres espèces vivantes pour s’alimenter. Le jour où le spécisme sera tout aussi répréhensible que le racisme ou le sexisme n’est pas si loin, se dit-on en lisant Florence Burgat, qui fait la magistrale démonstration que notre rapport aux animaux d’élevage est tout aussi horrible que si on se décidait un bon matin à consommer de la chair humaine. Bref, difficile de ne pas se rendre à ses arguments. À lire, qu’on soit carnivore soft ou végétarien hard. — Nathalie Collard, La Presse

L’humanité carnivore

Florence Burgat

Seuil

466 pages

Une fenêtre sur Gaza

Depuis qu’elle est en âge de s’exprimer, la journaliste gazaouie Asmaa Alghoul n’a jamais eu la langue dans sa poche. Cette jeune femme « trop forte », militante et blogueuse, a entrepris de raconter sa vie par la plume du journaliste franco-libanais Sélim Nassib, elle s’exprimant en arabe et lui écrivant en français au fil de leurs rencontres. Ainsi revient-elle sur son enfance associée à l’uniforme kaki des soldats, son refus de porter le voile, ses deux divorces avant l’âge de 30 ans, ses voyages à l’étranger… Celle qui se dit aussi rebelle que Gaza ne tait rien et ne cesse de dénoncer, avec le soutien de ses parents, le Fatah, le Hamas, la double occupation subie par les Gazaouis – au risque de sa vie et même si l’un de ses oncles est directement impliqué dans le pouvoir en place. Le récit s’éparpille par moments – Asmaa Alghoul veut tout exprimer, ses impressions, ses états d’âme –, mais demeure une lecture passionnante. Son histoire est une rare incursion dans le quotidien des résidants de l’enclave palestinienne, et le porte-voix d’une femme qui refuse de se taire, envers et contre tous, dans une société où l’on n’attend d’elle que la soumission. — Laila Maalouf, La Presse

L’insoumise de Gaza

Asmaa Alghoul et Sélim Nassib

Calmann-Lévy

240 pages

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