Opinion  Éducation

Éliminons le bulletin chiffré au primaire

Le Québec devrait s’inspirer de la Finlande, où les élèves n’ont aucune évaluation chiffrée avant l’âge de 13 ans

« Les enfants passent trop de temps à se préparer aux examens et pas assez à apprendre. » Cette affirmation pleine de sens a été dite en novembre dernier par notre ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx.

M. Proulx envisage de s’inspirer de nos voisins ontariens pour diminuer le nombre d’évaluations au primaire et au secondaire. Il y a donc de l’espoir. 

D’ailleurs, si notre ministre souhaite aller au bout de son raisonnement, il peut également regarder du côté de la Finlande, où il n’y a pas de bulletin chiffré avant l’âge de 13 ans, donc pas avant le secondaire. Pourquoi ? Parce que l’un des objectifs centraux du système éducatif finlandais consiste à respecter le rythme d’apprentissage de l’élève, et non à lui imposer des évaluations à date fixe (et des bulletins chiffrés) comme c’est malheureusement le cas au Québec. 

L’idée qu’un élève épanoui et libre de se développer à son rythme acquerra plus aisément les savoirs fondamentaux n’a rien d’une utopie de pédagogue illuminé. En revanche, stigmatiser nos élèves en difficulté, comme nous le faisons au Québec, relève de pratiques archaïques qui soulèvent des questions simples d’un point de vue éthique.

Combien parmi nous continueraient à pratiquer un sport ou un instrument de musique si, dès l’âge de 6 ans, on nous avait accordé un D ou une note de 52 % sur un bout de papier ?

Qui continuerait à vouloir pratiquer ce sport ou à jouer de cet instrument de musique l’année suivante ? C’est pourtant ce que notre système d’éducation demande à nos jeunes élèves !

Enseigner plutôt qu’évaluer

Qui plus est, la batterie d’examens et d’évaluations qui sévit dans nos écoles primaires conduit les enseignants à passer des heures interminables à légitimer la note dans le bulletin des élèves. En Finlande, on utilise plutôt ce temps pour enseigner, tout en ayant à l’esprit la progression des apprentissages de chacun des élèves. Pas étonnant que les petits Finlandais de 7 à 13 ans ne passent que 500 heures par année en classe, alors que les élèves québécois sont à l’école 900 heures. Pourtant, les élèves finlandais figurent parmi les meilleurs au monde. 

Mieux encore : il n’y a pas d’évaluation nationale avant l’âge de 16 ans en Finlande. Ici, on provoque une période de stress inutilement intense dès la quatrième année du primaire, donc entre 9 et 10 ans. Pourquoi ? Pour qui, surtout ? Maintient-on vraiment ces pratiques obsolètes sans s’interroger sur l’impact dévastateur chez nos élèves ? D’ailleurs, se pourrait-il que les 20 % d’élèves qui n’obtiennent pas de diplôme une fois adulte soient ceux qu’on stigmatise à coup de notes dès l’âge de 6 ans ? 

Ici, dès la première année, on stresse avec la fluidité, soit la vitesse à laquelle l’enfant lit des mots. Ne pourrions-nous pas simplement cultiver le goût de la lecture ?

Ne pourrions-nous pas simplement les exposer à mille et un livres de littérature jeunesse afin d’enrichir leur univers ?

Mettre fin à l’angoisse

Qu’on n’invoque pas ce sophisme frivole de la défavorisation ou de la multiethnicité pour expliquer nos résultats décevants, cela friserait la malhonnêteté. En Finlande, les résultats sont comparables dans tous les milieux socio-économiques... Les causes sont ailleurs. Jusqu’à 9 ans, les élèves ne sont pas notés en Finlande. Entre 9 et 13 ans, ils sont évalués sans bulletin chiffré. L’apprentissage peut donc se faire sans stress ni stigmatisation. Les élèves sont aussi épargnés de vivre avec ce sentiment d’incompétence qui paralyse et rend l’école si rébarbative à leurs yeux d’enfants. L’objectif de l’évaluation perd ainsi son caractère compétitif, punitif et, par ricochet, angoissant. 

Au début des années 60, Paul Gérin-Lajoie, alors ministre de l’Éducation sous Jean Lesage, avait été le chef d’orchestre d’un magnifique idéal qui consistait à démocratiser l’éducation pour l’ensemble des jeunes Québécois. Plus de 50 années après avoir réussi ce chantier, ne pourrions-nous pas réfléchir à une réforme qui s’attaque à cette dimension toxique qu’est le bulletin chiffré ?

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