Chronique

L’angle mort de la réforme du droit de la famille

Après être restée trop longtemps sur la voie d’évitement, la grande réforme du droit de la famille est enfin sur les rails. Depuis un mois, Québec a mené des consultations dans 11 villes de la province.

Six ans après la fin du feuilleton d’Éric et Lola, il y avait déjà eu tant de rapports, de mémoires et de consultations sur le sujet – sans que Québec y donne suite – que je pensais bien qu’on avait retourné toutes les pierres.

Eh bien, non ! Un aspect crucial était dans l’angle mort. Et j’ai nommé : la fiscalité.

« Si on ignore les aspects fiscaux, cette réforme-là ne sera pas complète », prévient Geneviève Mottard, présidente de l’Ordre des comptables professionnels agréés (CPA) du Québec, qui a pondu un mémoire appuyé par la Chambre des notaires.

Le fait est qu’il y a un décalage important entre la réalité que vivent les familles d’aujourd’hui et notre système fiscal qui tarde à s’adapter.

« Les familles ont beaucoup changé depuis l’implantation de l’impôt sur le revenu et le temps semble venu d’entreprendre une refonte de la fiscalité des familles », a aussi conclu une étude exhaustive publiée par le cabinet comptable Raymond Chabot Grant Thornton, en septembre dernier.

Les auteurs constatent que notre système fiscal a toujours été à la remorque de l’évolution des familles.

Imaginez : il a fallu attendre jusqu’en 1993 pour que les conjoints de fait soient intégrés dans la loi de l’impôt. Ils formaient pourtant déjà 12 % de l’ensemble des couples à cette époque. Et ce n’est qu’en 1998 que les couples homosexuels ont été reconnus par le fisc. Ça fait seulement 20 ans.

Aujourd’hui, notre système fiscal doit faire un autre pas en avant pour rattraper l’évolution rapide du modèle familial. En ce moment, les règles sont incohérentes et inéquitables.

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Voici un exemple patent d’injustice.

Notre système fiscal permet de préserver le patrimoine familial à la suite de la mort d’un des conjoints. Ainsi, les actifs de celui qui meurt peuvent être roulés à l’abri de l’impôt au conjoint survivant.

En passant, je vous rappelle que pour bénéficier de cet avantage, il est crucial d’avoir fait votre testament. Sinon, l’héritage sera séparé entre le conjoint marié (1/3) et les enfants (2/3), selon le Code civil. Et si le couple n’était pas marié, catastrophe ! Le conjoint de fait ne recevra strictement rien. D’où l’importance de coucher vos dernières volontés sur papier.

Mais pour les couples séparés, il n’y a pas moyen de s’en sortir. Avec ou sans testament, le roulement à l’abri de l’impôt est impossible. Seuls les couples mariés et les conjoints de fait y ont droit.

Alors si un parent meurt après s’être séparé, son héritage ne pourra pas être roulé à l’abri de l’impôt à ses enfants, même s’ils sont mineurs. Cette injustice porte préjudice à quelque 2 millions de familles monoparentales ou recomposées.

« Les lois fiscales devraient être modifiées pour donner la possibilité de choisir entre un roulement au conjoint ou un roulement aux enfants à charge », estime l’Ordre des CPA.

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À l’époque des Tanguy, la définition d’un enfant à charge mériterait aussi d’être dépoussiérée. En ce moment, les règles fiscales font en sorte qu’un enfant n’est plus considéré comme à la charge de ses parents dès qu’il souffle 18 bougies.

Or, les jeunes qui font des études restent souvent à la maison beaucoup plus longtemps. En fait, 30 % des familles biparentales et 45 % des familles monoparentales ont un enfant de plus de 18 ans sous leur toit.

La jurisprudence impose d’ailleurs aux parents une obligation alimentaire qui s’étire souvent jusqu’à la fin des études. Pourtant, les parents ne peuvent plus réclamer de crédit pour enfant à charge ni recevoir de prestations pour enfant lorsque leur rejeton a atteint la majorité.

Illogique, n’est-ce pas ?

Et que dire des règles du régime d’accession à la propriété (RAP) que j’ai déjà dénoncées  ? Ce programme permet aux premiers acheteurs de puiser 35 000 $ dans leur régime enregistré d’épargne-retraite (REER) pour l’achat d’une maison.

Sauf qu’un quart de siècle après son lancement, le RAP n’est plus au diapason de la réalité des familles. Les couples se font, se défont et se refont. C’est la vie. À cause de règles archaïques, beaucoup de premiers acheteurs sont privés du RAP parce que leur conjoint a déjà été propriétaire. On parle alors de « contamination fiscale ».

Il serait temps de mettre fin à cette épidémie.

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Je conviens que Québec ne pourra pas régler seul tous les maux de notre système fiscal. Une bonne part des solutions doivent être concoctées de concert avec Ottawa. Mais Québec peut certainement attirer l’attention du fédéral sur ces enjeux. Il peut surtout éviter de créer de nouvelles iniquités fiscales en élaborant sa réforme du droit de la famille.

« J’ose espérer qu’avec un premier ministre qui est CPA, ça va aider un peu ! », lance la présidente de l’Ordre.

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