Vieillissement

GUÉRIR LA VIEILLESSE

Les canaux se noient sous la pluie d’Amsterdam, mais le Dre Henne Holstege nous accueille d’un sourire radieux dans l’unité de recherche qu’elle a créée, au Centre médical de l’université Vrije. Elle vient de faire une découverte majeure dans le domaine de la longévité.

Brune ravissante de 38 ans, cette généticienne affronte un des monstres de nos sociétés vieillissantes, la maladie d’Alzheimer, et comprend l’angoisse qu’elle suscite : « Ma mère est terrifiée par cette éventualité. » Elle précise que la dégénérescence cérébrale n’a rien d’une fatalité, même à des âges très avancés. La chercheuse a développé une approche novatrice quand elle travaillait sur le cancer du sein : « Plutôt que d’étudier la seule pathologie, je souhaite percer les secrets de la santé, sinon, comment savoir ce qui déraille ? » Son protocole, 100-plus, se penche sur des centenaires qui ont conservé toute leur tête. Surtout des dames, lancées sur les traces de notre Jeanne Calment nationale, décédée à 122 ans, un record inégalé à ce jour.

Leur secret de jouvence, les principales intéressées l’ignorent : au pays des polders, on est plutôt bière et charcuterie que thé vert et tofu, comme les grands vieillards japonais d’Okinawa. Hennie, la « cobaye » la plus passionnante du Dre Holstege, recommandait en riant un hareng saur par jour. Elle s’est éteinte à 115 ans. À sa naissance, pourtant, personne n’aurait parié un florin sur la survie de cette grande prématurée. Persuadée qu’elle est condamnée, sa mère la délaisse. Hennie la souffreteuse avance à reculons, finit par tomber amoureuse et se marier, à 49 ans. La santé la rattrape, jusqu’à un cancer du sein. Mais à 100 printemps, et dont elle guérira. 

Les neurones, eux, ne baissent pas la garde. Son ADN va livrer des pépites à la généticienne : « Ses globules sanguins présentaient plus de 450 mutations génétiques acquises au cours de sa vie, mais qui n’avaient pas causé la moindre pathologie. Autre surprise : ils ne dérivaient plus que de deux cellules souches. A la naissance, nous en possédons 20 000. » 

FIN DU CANCER POUR 2030 ?

Parallèlement aux travaux du Dre Holstege, une équipe de Stanford, en Californie, redonnait mémoire et agilité cérébrale à des souris âgées en leur transfusant tout bêtement du sang jeune. La méthode est actuellement testée sur des humains. La médecine connaît une révolution qui pourrait bientôt remiser la vieillesse au rayon des antiquités. Le tout sous l’enseigne des NBIC, pour nanotechnologies, biotechnologies, intelligence artificielle et sciences cognitives. Ces quatre domaines se fertilisent mutuellement à une vitesse exponentielle grâce à la loi de Moore : la puissance de calcul des ordinateurs double tous les 18 mois. Le premier séquençage d’un génome humain, achevé en 2003, a duré 13 ans et coûté 3 milliards de dollars. Aujourd’hui, le test s’accomplit en quatre heures pour 1 000 dollars. « Et bientôt pour le prix d’une paire de baskets en solde », annonce le Dr Laurent Alexandre, 54 ans. Nous retrouvons ce médecin aussi brillant qu’étourdi à l’Apple Store parisien. Arrivé de Bruxelles, où il a créé la société de séquençage DNA Vision, il a failli manquer le Thalys et oublié le cordon d’alimentation de son Smartphone. « Vous allez me trouver ridicule, dit-il, tant pis, c’est une bonne leçon d’humilité. » 

Comme beaucoup de passionnés des NBIC, son CV joue à saute-frontières entre les disciplines : chirurgien urologue (23 ans au CHU du Kremlin-Bicêtre), il est aussi chercheur en neurosciences et fondateur du site Doctissimo, vendu à Lagardère. À son diplôme de médecine s’ajoutent ceux de Sciences po, HEC et l’ENA. Auteur d’un livre-choc, La mort de la mort, il vient d’en publier un deuxième, La défaite du cancer (éd. J.-C. Lattès). « Il s’agit toujours d’une pathologie de l’ADN », souligne l’auteur. 

On peut hériter de mauvais gènes, cas le plus rare. Les autres tumeurs sont dues à des erreurs de recopiage du génome au cours de la vie, lors des milliards de reproductions cellulaires qui permettent à l’organisme de se régénérer. Les mutations, de plus en plus nombreuses avec l’âge, peuvent créer des cellules cancéreuses. Les plus malignes d’entre elles échappent au radar de la police biologique, chargée de les éradiquer, se multiplient sans frein et continuent de muter tous azimuts. « Mais on commence à les séquencer, dit Laurent Alexandre, notamment à l’Institut Gustave-Roussy, à Villejuif, très en pointe. Et les chercheurs du monde entier communiquent entre eux leurs données. Les progrès des nanotechnologies, qui agissent à un milliardième de mètre, permettront de réparer l’ADN à l’horizon 2020. Et de contrôler le cancer, comme on le fait aujourd’hui pour le sida, en 2030. »

Ces mini-particules pourront bientôt se promener dans notre corps pour détecter les signes avant-coureurs des maladies à l’échelle moléculaire et envoyer l’alerte à des équipements numériques, comme notre téléphone portable. Google X, le laboratoire secret du moteur de recherche, vient d’annoncer qu’il pense y parvenir dans les cinq ans. Que fait la firme informatique dans cette histoire ? Au sein d’un univers médical révolutionné par les NBIC, les médecins de demain seront surtout des ingénieurs. D’où l’importance qu’a prise la Silicon Valley, près de San Francisco. Une ruée vers l’or version 2.0, où les pionniers rêvent de conquérir l’ultime frontière, celle de la mort. 

AVOIR 20 ANS TOUTE SA VIE

Beaucoup de dirigeants de majors et de start-up appartiennent à la mouvance transhumaniste. Ce lobby, très puissant outre-Atlantique, veut non seulement réparer les humains, mais en augmenter les capacités physiques et psychiques en fusionnant le corps et les machines. Un projet dantesque dont se démarque totalement le Dre Holstege. Aux États-Unis, une des stars transhumanistes, Ray Kurzweil, dirige l’ingénierie de Google depuis 2012. À 64 ans, il envisage très sérieusement de télécharger les cerveaux sur un support informatique dans les prochaines décennies. Ce chercheur ingurgite 250 suppléments alimentaires par jour pour tenir jusqu’au jour J. 

La région compte aussi Craig Venter : inventeur de la première cellule synthétique, il a créé Human Longevity Inc avec Peter Diamandis, médecin et patron d’une entreprise de vol en apesanteur. La Silicon Valley fourmille ainsi d’excentriques surdoués dont les propos scandalisent une partie de la communauté scientifique. Parmi eux, Aubrey de Grey, 52 ans, remporte la médaille d’or. D’autant que sa barbe et ses cheveux XXL lui donnent des airs de Raspoutine ou de happy hippie, c’est selon. 

Contrairement aux Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon), qui se piquent de médecine aujourd’hui, ce biogérontologue britannique ne rêve pas de convertir les progrès du big data en big business. Il a consacré l’essentiel de sa fortune – un héritage de 17 millions de dollars – à sa fondation à but non lucratif, Sens (Stratégies pour l’ingénierie d’une sénescence négligeable), qui pilote des programmes de recherche. Il veut tout bonnement « guérir le vieillissement ». 

« On pourra conserver les gens au stade 20-25 ans. »

— Aubrey de Grey

À ses yeux, la vie est une maladie mortelle, car le métabolisme entraîne des dommages collatéraux qui finissent par déborder nos services de nettoyage. Comme les péchés, de Grey les a classés en sept catégories, dont les déchets accumulés, les cellules qui se divisent trop, ou trop peu… « Il faut développer une médecine régénérative, dit-il, en réparant les dégâts au fur et à mesure. On fera de la maintenance, comme avec une voiture, et on pourra même rajeunir les gens, en les conservant, biologiquement, au stade 20-25 ans. »

PAS DE TABOUS

Nous rencontrons ce drôle de sorcier la veille de Halloween, dans ses locaux de béton, proches du siège de Google, à Mountain View. Silhouette dégingandée et tee-shirt rose vif, le quinquagénaire fait gentiment l’article de son univers de geek : ordinateurs, schémas enchevêtrés, labo. Mais ce futuriste n’a jamais possédé de téléphone portable : « La pire des abominations. On est sans cesse dérangé. » Si le ton reste flegmatique, à l’anglaise, les yeux bleus brillent d’une lueur fiévreuse. L’urgence habite de Grey depuis que, jeune ingénieur en informatique, il est tombé amoureux d’une généticienne de dix-huit ans son aînée, qu’il a épousée. « Je les questionnais, elle et ses collègues, sur la biologie du vieillissement, mais ça ne les intéressait pas. Or, quoi de plus important ? Moi, depuis l’enfance, je voulais changer le monde. » 

Il est tombé tout petit dans la marmite de la science, gavé d’algèbre et de jeux d’échecs par une mère artiste et célibataire, qui souhaitait compenser l’ambiance artistique de la maisonnée.L’ingénieur amoureux décide de préparer un doctorat de biogérontologie à l’université de Cambridge. Mais en autodidacte, pour gagner du temps. Il élabore son cursus, choisit conférences et lectures. Mission accomplie quand il fait une trouvaille sur le rôle des mitochondries, de microscopiques « usines énergétiques » au sein de chaque cellule. Sans avoir jamais mis les pieds dans un labo, il a trouvé des conclusions inédites aux études d’autres chercheurs. Bref, notre homme pense hors des clous et ne s’embarrasse pas de tabous. 

Le risque de contribuer à une surpopulation planétaire ? « La vieillesse tue 100 000 personnes par jour, un vrai massacre. Je ne vais pas m’interdire de leur porter secours, voilà qui serait immoral. À l’avenir, on avisera, je suppose qu’on fera moins d’enfants. » Et si la mort rattrape le docteur, elle n’aura pas forcément le dernier mot. De Grey se fera cryogéniser. « Juste la tête, précise-t-il. Ceux qui la ressusciteront sauront forcément greffer le cerveau sur un nouveau corps. » En attendant, il fouette ses neurones et croque la vie. Tout en sifflant moult bières Maximus Ale, extraites du tiroir de son bureau, le quinquagénaire compte, outre son épouse de 70 ans qu’il retrouve régulièrement à Cambridge, une maîtresse de 27 ans en Californie et une autre de 47 ans en Floride. Son âme brûlera-t-elle en enfer tandis que son cerveau reposera par – 196 °C dans le nitrogène en Arizona ?

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