LA VIRÉE DES GALERIES

Quelles sont les expositions à voir ce week-end ? Chaque jeudi, nos critiques en arts visuels proposent une tournée de galeries et de centres d’artistes. À vos cimaises !

KAPWANI KIWANGA

Colonialisme d’hier et d’aujourd’hui

Nouveau travail in situ réalisé par l’artiste visuelle Kapwani Kiwanga au Musée d’art de Joliette, Rayon de soleil au coin du feu est une recherche conceptuelle forte sur le colonialisme. Une réflexion très actuelle de la part d’une artiste canadienne en plein essor sur la scène internationale.

La force de la programmation du Musée d’art de Joliette découle de ses choix résolus pour des artistes contemporains totalement pertinents en 2018. Mais aussi d’une volonté récurrente de faire en sorte que ses expositions présentées en même temps se répondent et forment un déploiement cohérent. Pour asseoir cette optique, le musée met d’ailleurs en relief ce dialogue en l’explicitant sur un panneau à l’entrée des expositions de Kapwani Kiwanga et de Shannon Bool.

Comme pour l’exposition de Shannon Bool (dont nous avons publié une critique le 26 juillet), Kapwani Kiwanga ancre son travail dans la recherche et s’intéresse à la question de la colonisation en lien avec le territoire. Si Shannon Bool situait son propos autour des liens qu’entretenait Le Corbusier entre l’architecture et ses fantasmes pour la femme orientale, Kiwanga s’est intéressée à la domination d’une ex-puissance coloniale, l’Empire britannique.

Oralité

Les origines tanzaniennes de Kapwani Kiwanga et sa fascination pour l’anthropologie l’ont déjà conduite, notamment avec son corpus Maji Maji, en 2014, à réfléchir sur l’histoire coloniale en Afrique. Avec Rayon de soleil au coin du feu, elle élargit son propos en évoquant les situations d’exclusion et d’oppression sociales. En les illustrant par l’utilisation de matériaux tangibles (terre, cendres, toile d’ombrage), mais aussi impalpables tels que l’énergie de la lumière ou le partage oral de connaissances.

Pour ce projet, l’artiste a en effet souhaité s’imprégner des lieux et faire participer la communauté. Elle a organisé, une semaine avant le vernissage, en juin, une discussion informelle, autour d’un feu de camp, sur les enjeux du colonialisme et du post-colonialisme. Ce moment ni enregistré ni filmé est considéré par l’artiste comme une œuvre d’art en soi.

« Il s’inscrit dans sa volonté d’utiliser la transmission orale et la mémoire pour montrer que l’histoire ne se concrétise pas uniquement dans l’écrit, mais aussi dans le partage et dans l’oralité », dit la commissaire de l’exposition, Anne-Marie St-Jean Aubre.

Les cendres provenant du feu ont par la suite été utilisées pour créer le glaçage d’une œuvre de tuiles faites avec de l’argile locale par une potière de Joliette. Une œuvre minimaliste qui documente en partie la discussion sur le colonialisme.

Colonialisme contemporain 

Le colonialisme est aussi évoqué par l’installation que l’on remarque en entrant dans la salle d’exposition. Quelque 165 m2 de plafond ont été tapissés par l’artiste avec du tissu industriel à usage agricole qu’elle a déjà utilisé pour sa sculpture Shady présentée à Frieze, plus tôt cette année à New York, où elle a d’ailleurs reçu le premier Frieze Artist Award.

Ce tissu appelé toile d’ombrage, disposé de façon radiale, sert à atténuer l’intensité lumineuse pour certaines cultures de légumes ou de fruits non indigènes dans les grandes exploitations agricoles des pays où ils ne devraient pas normalement pousser compte tenu du climat local. Par exemple des pommes en Afrique ou du ginseng au Canada.

« Cela illustre une certaine forme de colonialisme puisqu’il n’y a pas de besoin réel à faire pousser des pommes en Afrique, sauf pour répondre aux besoins des Blancs qui y vivent ou qui veulent des pommes moins chères ici, dit Jean-François Bélisle, directeur du Musée d’art de Joliette. Kapwani Kiwanga est fascinée par l’utilisation du territoire à ces fins. »

Empire britannique

Les territoires colonisés sont aussi évoqués par sa vidéo Le soleil ne se couche jamais, dont le titre réfère à l’expression sur la grandeur passée du Royaume-Uni (« le soleil ne se couche jamais sur l’Empire britannique »). Elle a été réalisée en mettant bout à bout des images de couchers de soleil prises dans d’anciennes colonies anglaises (Canada, Nouvelle-Zélande, Australie, Inde, Tanzanie, etc.).

Dans la vidéo, le soleil semble se coucher, insinuant le déclin de l’Empire britannique dont le territoire et le potentiel d’influence diminuent. Mais chaque fois que le soleil va disparaître, on change de région du monde pour suggérer que ce qu’il reste de l’empire veut encore croire à son ascendance à l’échelle planétaire.

Terre de Joliette 

Pour prolonger cette idée d’appropriation réelle ou fantasmée du territoire, l’artiste a fait creuser un large trou rectangulaire sur la pelouse située devant le musée. La terre provenant de ce trou a été transportée dans la salle après avoir été stérilisée dans un four pendant une semaine pour éviter de nuire aux 8500 œuvres de la collection du musée ! Et enfin replacée au sol dans une disposition similaire là d’où elle provenait.

Kapwani Kiwanga invite les visiteurs à aller remettre un peu de cette terre dans le trou d’origine avec un seau. Une cicatrice que l’on tente d’effacer, mais dont il restera une trace pendant quelque temps puisque la terre « brûlée » ne contient plus de nutriments. Comme une terre dénaturée par l’homme quand il se l’approprie et l’épuise à des fins colonialistes…

À noter que le musée présente également des œuvres interactives de Jean-Paul Gauthier, une installation sculpturale de Mathieu Gaudet et une création évolutive de l’artiste polonaise Monika Grzymala.

Rayon de soleil au coin du feu, de Kapwani Kiwanga, au Musée d’art de Joliette (145, rue du Père-Wilfrid-Corbeil, Joliette), jusqu’au 9 septembre

LA VIRÉE DES GALERIES

Autres expositions

Meryl McMaster

La galerie Pierre-François Ouellette art contemporain présente, jusqu’au 25 août, Ancestral/Second-Self, une expo d’œuvres de l’artiste canadienne Meryl McMaster jamais exposées à Montréal. La série Ancestral examine la relation entre les fausses représentations historiques du patrimoine autochtone et la réalité actuelle des peuples autochtones. La série Second-Self se penche sur les questions de conscience de soi et d’autoreprésentation. Meryl McMaster a des racines européennes et amérindiennes.

Ancestral/Second-Self, de Meryl McMaster, à la galerie Pierre-François Ouellette art contemporain (963, rue Rachel Est, Montréal), jusqu’au 25 août

Maryam Ramezankhani

La galerie d’art Métèque, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, présente en ce moment une exposition d’art calligraphique avec les œuvres sur papier de Maryam Ramezankhani, une artiste de Téhéran, en Iran, venue passer quelque temps en résidence dans la galerie. La commissaire Hanieh Ziaei a rassemblé des créations alliant contemporanéité et tradition de la calligraphie, un art ancestral qui croise la littérature, les croyances et les sentiments.

Celle qui ne ressemble à personne – Une calligraphie poétique, de Maryam Ramezankhani, à la galerie d’art Métèque (5442, chemin de la Côte-Saint-Luc, Montréal), jusqu’au 14 août 

Festival inuit à Concordia

À partir d’aujourd’hui et jusqu’à dimanche se déroule à Concordia le festival inuit Tillitarniit avec des spectacles musicaux, des jeux, des films et une expo de petites poupées créées par l’artiste inuite Elisapee Inukpuk, décédée au printemps dernier à l’âge de 80 ans. Une occasion de se brancher sur l’art du récit inuit et de partager une culture qui fait aussi partie de Montréal. Une réception sera organisée à cette fin le 21 juillet à la galerie FOFA, de 13 h à 16 h. Entrée libre.

Festival inuit Tillitarniit, à la galerie FOFA (1515, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal), en fin de semaine. Exposition jusqu’au 17 août.

Johanne Bilodeau

Un combo vélo-Bilodeau à Sutton en fin de semaine ? Parce que le travail minutieux, original et humaniste de l’artiste multidisciplinaire et auteure Johanne Bilodeau vaut le déplacement dans les Cantons-de-l’Est. La fière sang-mêlé, forte d’un héritage autochtone et européen, présente à la galerie Arts Sutton L’invisible traversée, un nouveau corpus formé de 16 tableaux et d’une installation. Avec l’écologie sociale, les paysages du fjord du Saguenay et un hommage personnel au cœur de sa démarche…

L’invisible traversée, de Johanne Bilodeau, à la galerie Arts Sutton (7, rue Academy, Sutton), jusqu’au 2 septembre

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.