Médias

Sue Montgomery, journaliste sans journal

Le 28 février dernier, la journaliste Sue Montgomery a annoncé aux lecteurs de la Montreal Gazette qu’elle quittait le quotidien dans lequel elle écrivait depuis 20 ans.

« Après 20 ans à couvrir les nouvelles dans cette ville à la fois dynamique, exaspérante et imprévisible, je quitte la Gazette, précise-t-elle dans un texte très personnel partagé des dizaines et des dizaines de fois dans les réseaux sociaux au cours de la dernière semaine. Je pars volontairement, oui, mais le cœur gros. »

À 54 ans, Sue Montgomery est loin de l’âge de la retraite. Elle aurait pu rester encore quelques années.

« J’ai failli partir il y a trois ans. Mes patrons m’en avaient empêchée. Cette fois, ils ne m’ont pas retenue. »

— Sue Montgomery

Sue Montgomery n’est pas la seule à quitter le navire. Une autre signature bien connue des lecteurs, la chroniqueuse municipale Peggy Curran, est partie au même moment. La critique de théâtre Pat Donnelly aussi.

Ce n’est un secret pour personne que les journaux du groupe Postmedia, comme bien des quotidiens en Amérique du Nord, traversent des moments difficiles. Mais la situation semble encore plus dramatique à Montréal, où la Montreal Gazette, fondée en 1778, est le seul quotidien de langue anglaise. « C’est une perte pour la communauté », a souligné Mike Finnerty, animateur de l’émission Daybreak sur les ondes de CBC, lorsqu’il a interviewé Mme Montgomery.

« C’est certain que c’est triste de voir partir ces journalistes qui ont apporté une telle contribution, reconnaît Lucinda Chodan, rédactrice en chef de la Montreal Gazette. Mais en même temps, je ne leur jette pas la pierre. Et leur départ permettra de faire de nouvelles embauches. Nous cherchons des voix de la relève. »

DE MOINS EN MOINS DE RESSOURCES

Au cours des dernières années, en plus de faire de nombreuses coupes, Postmedia a concentré ses opérations éditoriales à Hamilton, où les textes de tous les journaux du groupe sont relus par un pupitre centralisé. Le nombre d’employés dans la salle de rédaction de la Montreal Gazette serait passé de 120 à environ 70, selon une source syndicale. Un chiffre qui n’a pu être confirmé par la patronne du journal, Lucinda Chodan, qui affirme qu’il s’agit d’une information confidentielle.

Chose certaine, il y a des bureaux vides, ce qui chagrine Sue Montgomery. « Il y a d’excellents journalistes et d’excellents patrons à la Gazette, assure-t-elle. Ceux qui sont actuellement dans la salle sont sans doute les meilleurs que j’aie jamais eus, mais ils doivent faire des miracles avec de moins en moins de ressources. »

UNE GRANDE GUEULE

L’annonce du départ de Sue Montgomery – et de ses collègues – n’est pas passée inaperçue au sein de la communauté anglophone. Nombreux sont les lecteurs de la Gazette qui ont exprimé leur chagrin de voir partir ces journalistes de métier. Même si Sue Montgomery n’était pas chroniqueuse, elle était tout de même l’une des têtes d’affiche du quotidien. La reporter a laissé sa marque avec de nombreux reportages, dont ceux sur le séisme en Haïti et sur les sévices sexuels et les gestes pédophiles des frères de Sainte-Croix. Elle était également reconnue pour son franc-parler et ses accrochages avec les grands patrons du journal, que ce soit les Asper, qui l’ont déjà suspendue, ou Paul Godfrey, à qui elle n’avait pas hésité à écrire, au cours des dernières années.

Mais la notoriété de la journaliste a bondi, l’an dernier, lorsqu’elle a lancé, avec l’ex-journaliste du Toronto Star Antonia Zerbisias, le mot-clic #BeenRapedNeverReported dans la foulée de l’affaire Ghomeshi. Le mot-clic (qui a été traduit en français par #AgressionNonDénoncée, en français) a fait le tour du monde, et, aux dernières nouvelles, avait été utilisé environ 10 millions de fois. La journaliste, habituée à raconter les histoires des autres, s’est donc retrouvée au beau milieu d’un tourbillon médiatique. On l’a vue à l’émission Tout le monde en parle sur les ondes de Radio-Canada, et elle a donné des entrevues partout à travers le monde, tout en couvrant le procès Magnotta.

« J’ai l’impression d’avoir fait bouger plus de choses avec 140 caractères qu’avec tous les textes que j’ai écrits en 20 ans. »

— Sue Montgomery au sujet de la création du mot-clic #BeenRapedNeverReported

Aujourd’hui, Sue Montgomery se retrouve avec une certaine responsabilité sur les épaules. Que compte-t-elle en faire ?

« Il est question d’un film, je ne sais pas encore, répond-elle. Je suis finaliste pour la bourse Atkinson, qui accorde un an à un journaliste pour creuser un sujet. J’ai proposé les agressions sexuelles au Canada. J’aurai une réponse à la fin du mois. Il est certain que je veux continuer à écrire et à faire du journalisme, mais je dispose d’un peu de temps pour y penser. »

« Mais je pourrais aussi travailler avec une de mes bonnes amies qui vit à Hudson et qui fait du pain, ajoute la journaliste, sourire en coin. J’adore faire du pain. »

WORLD PRESS PHOTO : TROILO PERD SON PRIX

C’est officiel, le photographe Giovanni Troilo, qui avait remporté la première place au concours World Press Photo (WPP), a perdu son prix. On le lui a retiré à la suite d’une enquête qui a conclu qu’il avait notamment retouché des photos présentées au jury. Troilo avait utilisé un flash et mis en scène plusieurs clichés, ce qui contrevient aux règlements du WPP, qui avait déjà éliminé 20 % des photos reçues. L’incident a relancé le débat entourant la photo de presse et les nouvelles technologies, très accessibles, qui permettent de retravailler les photos.

INFOS CRYPTÉES AU GLOBE AND MAIL

Le Globe and Mail a eu droit aux félicitations du journaliste américain Glenn Greenwald sur Twitter parce qu’il est le premier média canadien à crypter les informations contenues dans les échanges entre ses journalistes et leurs sources. Ce système, mis à la disposition des médias par la Freedom of the Press Foundation, est utilisé par plusieurs médias américains, notamment afin d’assurer la sécurité des lanceurs d’alertes.

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