Troisième lien à Québec

Un pont qui pourrait coûter jusqu’à 6 milliards

QUÉBEC — Engagement phare du gouvernement Legault pour la région de Québec, le fameux « troisième lien » serait finalement un nouveau pont, dont la facture pourrait atteindre 6 milliards de dollars.

À deux occasions, l’opposition libérale a talonné François Legault et son ministre des Transports, François Bonnardel, sur l’engagement de la Coalition avenir Québec de débuter les travaux pour ce troisième lien, à l’intérieur d’un premier mandat. Mercredi soir, en réplique à Pierre Arcand, le chef du Parti libéral du Québec, M. Legault a indiqué que c’est un nouveau pont vers la Rive-Sud qui était dans les cartons du gouvernement.

« Le chef du Parti libéral est en train de nous dire que, pour le REM, on a été capables de commencer les travaux à l’intérieur d’une période de trois ans, mais qu’on ne sera pas capables pour un pont à Québec », a laissé tomber M. Legault. Officiellement, jamais le gouvernement n’avait jusqu’ici parlé d’un nouveau pont ; l’hypothèse d’un tunnel entre l’île d’Orléans et la Rive-Sud alimentait encore les spéculations.

Hier, le ministre des Transports a catégoriquement refusé de donner plus d’informations sur le projet. Mais, en commission parlementaire sur les crédits des Transports, le libéral de La Pinière Gaétan Barrette a rappelé que la facture d’un « bureau de projet » est historiquement de 5 % du coût global d’une infrastructure.

Avec un bureau de projet de 325 millions, selon les règles habituelles appliquées par Québec, le coût du troisième lien avoisinerait les 6 milliards, a-t-il lancé.

Le ministre Bonnardel n’a pas réfuté le calcul de l’ex-ministre de la Santé. Les coûts seront divulgués « en temps et lieu », a-t-il insisté. Québec est toujours à considérer le corridor qu’il choisira, a-t-il expliqué. À fin de comparaison, le pont Champlain, que vient de construire le gouvernement fédéral, représente une facture de 4,2 milliards. 

Dans le dossier du troisième lien, il faut inclure des travaux pour l’actuel pont de l’île d’Orléans, qui nécessite une réfection majeure. Aussi, si comme l’a laissé entendre M. Legault, le gouvernement a opté pour un pont supplémentaire, il faudra prévoir un ouvrage d’une hauteur spectaculaire, pour le passage des navires sur la voie maritime. Le maire Régis Labeaume, opposé au projet, a déjà soutenu qu’une telle aventure coûterait 10 milliards de fonds publics.

« Opportunité évidente »

Autre particularité du gigantesque projet : le gouvernement l’a envoyé tout de suite à l’étape de la planification sans se questionner sur l’opportunité du projet.

Un long entretien jeudi matin entre François Bonnardel et Gaétan Barrette a mis en lumière que le mégaprojet a été inscrit directement à l’étape de la planification au Plan québécois des infrastructures (PQI). Or, normalement, on doit s’interroger sur l’utilité, « l’opportunité » de réaliser un projet avant de l’inscrire au PQI.

La veille, aux côtés du premier ministre Legault, Yves Ouellet a laissé tomber que l’on ne pouvait se poser de questions sur l’à-propos du projet. 

« Pour certains projets, il y a différentes étapes à respecter. Ici, on passe rapidement à l’étape de la planification, c’est normal, il n’y a pas eu de dossier d’opportunité parce que l’opportunité est évidente. »

— Yves Ouellet, secrétaire général du gouvernement

Actuellement, Québec est à faire « les analyses [sur le plan] de l’évaluation de l’impact du projet, du design, des aspects techniques ».

Pour M. Bonnardel, le gouvernement respectait les règles édictées pour les grands projets. Une disposition prévoit que l’on peut débloquer des projets plus rapidement ; ce fut le cas par exemple pour la décision de remplacer le tablier du pont Laviolette à Trois-Rivières, une facture de 100 millions.

Pour le député Barrette, toutefois, les deux dossiers ne peuvent être comparés. Le pont de Trois-Rivières existe, il fallait le réparer, personne ne s’interroge sur cette nécessité. Le projet de troisième lien, en revanche, est controversé et il favorisera l’étalement urbain et les émissions de gaz à effet de serre. L’ancien ministre libéral n’a pas eu de réponse claire quand il a demandé si le Conseil des ministres avait agi en tablant sur un mémoire, comme c’est l’usage, avant de prioriser le projet. 

Restant vague, M. Bonnardel a soutenu que le gouvernement avait eu tous les documents nécessaires pour prendre sa décision. Il a attaqué le gouvernement Couillard, qui savait depuis trois ans que le pont de l’île d’Orléans nécessitait d’importants travaux d’entretien.

Garderies

Québec impuissant quant à ses nouvelles normes

Québec — Le gouvernement Legault ignore si les petites garderies en milieu familial non subventionnées, fréquentées par environ 19 000 enfants, respectent les nouvelles normes minimales de sécurité, et il reconnaît avoir du mal à les appliquer.

Ces normes ont été instaurées par le gouvernement Couillard l’an dernier, à la suite de l’adoption de la loi visant à « améliorer la qualité éducative des services de garde ».

Québec voulait assurer un minimum de contrôle auprès de petites garderies en milieu familial qui n’ont pas de permis du ministère de la Famille. Il est en effet légal pour une personne d’exploiter une garderie à la maison sans permis, pour autant qu’elle accueille au plus six enfants. Le gouvernement Couillard souhaitait abaisser ce nombre à quatre enfants au maximum pour forcer un plus grand nombre de ces garderies à détenir un permis et à respecter des obligations plus sévères, mais il avait finalement reculé sous la pression.

La Coalition avenir Québec s’était d’ailleurs opposée à cette mesure qui, selon elle, risquait de causer des fermetures et brimait la liberté de choix des parents.

Québec s’est finalement contenté d’imposer trois normes minimales aux responsables de ces garderies que l’on dit « non régies » : détenir une assurance responsabilité civile, suivre un cours de réanimation cardiorespiratoire et avoir une attestation d’absence d’empêchement, ce qui implique la vérification des antécédents judiciaires.

Les garderies visées ont jusqu’au 1er septembre pour s’y conformer.

Sous le radar

Or, Québec ne sait pas du tout si les nouvelles normes sont respectées. Ces garderies passent complètement sous son radar, malgré la nouvelle loi.

Le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, reconnaît qu’il n’a aucune liste de ces garderies, car celles-ci n’ont même pas à aviser le Ministère de leur existence. Elles n’ont donc pas davantage à lui prouver qu’elles respectent les nouvelles normes, aussi minimales soient-elles.

« Puisqu’on ne sait pas qu’elles existent, ce n’est pas possible pour nous d’être proactifs et de faire des inspections, par exemple. On agit alors quand on a une plainte. »

— Mathieu Lacombe, ministre de la Famille

Son cabinet a confirmé qu’« aucun recensement n’existe pour connaître l’emplacement » de ces garderies et qu’« il est difficile pour le gouvernement de faire appliquer les nouvelles règles ». On se fie donc à la « bonne foi » des gens, a dit le ministre.

Québec a chiffré dans le passé à près de 2800 le nombre de personnes exploitant un service de garde non régi, mais il ne sait pas précisément combien il y en a. L’État évalue aujourd’hui à environ 19 000 le nombre d’enfants fréquentant ces garderies, mais il s’agit d’une estimation « préliminaire », sur la base de renseignements venant de Revenu Québec en vertu d’une entente récente de partage d’informations avec le ministère de la Famille.

Il faut comprendre que ces petites garderies donnent aux parents un reçu pour leur permettre de toucher le crédit d’impôt pour frais de garde d’enfants. L’État subventionne donc indirectement ces garderies, tout en ne sachant pas si les normes minimales y sont respectées.

Intégrer le réseau

Des responsables de garderies non régies ont demandé au gouvernement de reporter la date limite du 1er septembre pour se conformer aux règles, a reconnu le ministre. « Mais je ne suis pas ouvert à ça. Les nouvelles normes sont un minimum, il ne faut pas reculer là-dessus. »

Mathieu Lacombe entend « inciter » ces personnes à intégrer le réseau « régi », donc à devenir des responsables de service de garde en milieu familial détenant un permis et offrant des places subventionnées. Elles seraient ainsi soumises à des normes plus strictes et feraient l’objet d’inspections. Le ministre fait valoir que l’on cherche des personnes pour offrir entre 8000 et 9000 places subventionnées en milieu familial à travers le Québec.

Il écarte l’idée de changer la loi pour forcer les services non régis à détenir un permis et à se soumettre aux contrôles de son ministère. Son intention est de trouver d’autres moyens pour les intégrer au réseau régi.

Pour la porte-parole du Parti québécois en matière de famille, Véronique Hivon, le gouvernement Legault nage en pleine contradiction. « J’aimerais comprendre au nom de quel principe le ministre juge qu’alors que son gouvernement fait de l’éducation une priorité, on peut maintenir des enfants dans des milieux où il n’y a ni inspection, ni programme éducatif, ni reddition de comptes », a-t-elle dit.

Assemblée nationale

Legault veut assouplir le code d’éthique

François Legault s’est dit ouvert à assouplir le Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale, hier, après que le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a été forcé de liquider à la hâte ses intérêts dans une entreprise liée au nouveau président d’Investissement Québec (IQ).

« Il va falloir se pencher sur ces règles, combien de temps on donne aux nouveaux députés ministres pour vendre des placements privés », a indiqué le premier ministre lors d’un débat avec le leader parlementaire du Parti libéral, Sébastien Proulx.

M. Fitzgibbon détenait jusqu’à tout récemment des parts de la société Move Protéine, propriété du fils de Guy LeBlanc, ont rapporté les médias de Québecor hier. M. LeBlanc, qui est officiellement devenu président d’IQ, était aussi actionnaire de l’entreprise.

À titre de ministre de l’Économie, M. Fitzgibbon est responsable de cette société d’État.

Pour éviter de se placer en situation de conflit d’intérêts, il s’est départi de son investissement. Mais, puisque Move Protéine n’est pas cotée en Bourse, M. Fitzgibbon a dû trouver un acheteur à la hâte.

Cette situation a placé le ministre dans une situation désavantageuse, a estimé M. Legault.

« Quand on détient un placement dans une entreprise privée, la loi dit : on doit vendre. Mais pour vendre, il faut trouver un acheteur. Puis, parfois, ça peut prendre un certain nombre de mois avant que ça arrive. »

— François Legault, premier ministre du Québec

« Souvent, la personne est obligée de faire des gros sacrifices sur le prix parce que ce n’est pas facile de trouver, pour une entreprise privée, des acheteurs qui vont payer le prix du marché », a-t-il ajouté.

Le premier ministre a fait valoir que M. Fitzgibbon avait étroitement consulté la commissaire à l’éthique Ariane Mignolet depuis son élection pour éviter de se placer en situation de conflit d’intérêts. Il a rappelé au passage que le chef par intérim libéral, Pierre Arcand, a lui aussi été critiqué dans le passé parce qu’il détenait des intérêts dans une entreprise alors qu’il siégeait au Conseil des ministres.

Au bureau de M. Legault, on a assuré ne pas vouloir rendre le code d’éthique moins exigeant envers les élus. Tout au plus souhaite-t-on en assouplir les modalités pour éviter de pénaliser les ministres qui détiennent certains types de placements. Le gouvernement entend consulter l’opposition avant de procéder.

« Double standard »

Le député libéral Gaétan Barrette a assuré qu’il ne met guère en doute la probité de M. Fitzgibbon. Mais il s’est dit « estomaqué » que le premier ministre jongle ainsi avec l’idée de modifier le code d’éthique.

« On a ici comme un double standard, a-t-il ironisé. C’est quoi la motivation première de M. Legault ? Ne pas avoir de conflit d’intérêts ou s’assurer que son collègue et ami personnel ne perde pas d’argent ? »

Le Parti québécois a demandé à la commissaire à l’éthique d’enquêter sur les transactions impliquant MM. Fitzgibbon et LeBlanc. Le leader parlementaire du parti, Martin Ouellet, s’est opposé à toute modification du code d’éthique pour accommoder le ministre. Selon lui, M. Fitzgibbon ne pouvait ignorer les exigences auxquelles il devait se soumettre lorsqu’il s’est engagé en politique.

« On trouve ça aberrant que M. Legault veuille amoindrir le code d’éthique pour rendre plus acceptable la décision de son ministre », a résumé M. Ouellet.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.