Mi-février
« Je m’endors tout le temps. On dirait que mes yeux veulent toujours se fermer… Je ne me reconnais pas moi-même. »
Nous sommes le 14 février. Claire parle tranquillement. Ses paupières sont lourdes. « J’ai réalisé que ce n’est pas qu’une fatigue, dit-elle. C’est le commencement du travail qui se fait. »
Sa maladie – le syndrome myélodysplasique, qui provoque de l’anémie sévère – progresse.
« Mes yeux s’en vont, mes oreilles s’en vont, ma gorge… Ni plus ni moins, je m’aperçois que tout diminue en moi. »
— Claire
Au terme d’une réévaluation de son état, à la mi-janvier, l’équipe médicale a conclu qu’il valait mieux qu’elle reste à la maison de soins palliatifs en raison de son épuisement croissant et de sa confusion, désormais soignée par des médicaments.
Claire, qui craignait d’être transférée dans une autre ressource, a remercié Dieu. « Je voulais continuer ce que j’avais commencé », dit-elle après nous avoir offert un chocolat de Saint-Valentin.
Claire dort beaucoup, est plus étourdie, cherche ses mots. Le matin, ses reins endoloris la clouent au lit. Même ses gencives et son estomac sont fatigués, dit-elle : ses repas sont ajustés en conséquence.
La semaine suivante, lors de notre rencontre, elle s’éveille à 11 h. Ce matin-là, elle se sent plus triste. « Quand tu vois et entends quasiment rien, qu’est-ce qu’il te reste ? Plus grand-chose… »
« Je trouve ça difficile, oui, confie sa fille Louise à la fin du mois de février. Je trouve ça long, je trouve ça triste. »
« Ce n’est pas drôle, s’en aller tranquillement. C’est long, tu vois tout ça se passer… Ce n’est pas évident. »
— Louise
Mi-mars
Le 15 mars, Claire s’éveille à l’heure du midi, encore perdue dans ce rêve où elle dormait dans une maison de millionnaires. Une infirmière lui donne ses médicaments dans du yogourt. Une bénévole l’aide ensuite à manger son bol de Rice Krispies.
Elle nous demande d’aller chercher une enveloppe sur le bureau, où sont rangées les photos de sa fête de 92 ans, le 2 mars. Elle souligne à quel point elle a été gâtée par sa famille et par le personnel.
« Je regarde les photos, mais j’ai rien que l’ombrage », dit-elle. Elle boit tranquillement son verre d’eau, parle peu. Ses yeux se ferment. « Si vous venez en après-midi, la semaine prochaine, je serai plus en forme. »
Mais la semaine suivante, ce ne sera pas le cas. Au téléphone, sa fille Louise nous prévient : sa mère ne marche plus du tout et mélange des choses qu’elle a vécues avant. Comme elle est anxieuse quand elle s’éveille, on lui administre désormais, avec son accord, un anxiolytique en plus de sa faible dose de morphine.
Louise nous cite une phrase que sa mère a prononcée : « Le party est fini. C’est du sérieux. »
Fin du mois de mars
Claire prend le bras de l’infirmière Annick Paquette. « Louise ? », demande-t-elle. Sa fille, à ses côtés, lui prend l’autre main. « Je vous aime fort, fort », souffle Claire.
Ce jour-là, le personnel a remis à Louise une petite éponge et de la glycérine pour humidifier la bouche de Claire, qui mange et boit peu.
Une nièce, Sylvie Côté, lui rend visite. Elle lui donne des nouvelles de sa mère en Floride, lui rappelle des souvenirs de son enfance sur le bord de l’eau et lui propose de lui faire un massage.
Claire est émue aux larmes. « Je suis contente, mais je ne suis pas capable de parler », dit-elle, avant de couvrir ses yeux. Sa fille et sa nièce l’enlacent. « Ça va être assez pour me remonter le moral », dit-elle.
À notre départ, Claire nous fait une longue étreinte, sentant peut-être, quelque part, que ce pourrait être la dernière fois. « Vous allez me faire revivre », nous dit-elle, en évoquant sans doute le reportage à venir.
La semaine suivante, Claire dormira lors de notre passage. Ce sera notre dernière rencontre. Sa fille Louise a demandé de vivre les derniers moments dans l’intimité.
Avril
Claire s’est éteinte le 26 avril, vers 23 h 30, entre deux visites rapprochées des infirmières. Sa fille, qui avait passé une grande partie de la journée à ses côtés, est venue la rejoindre à son chevet quelques minutes plus tard.
Une heure ou deux avant sa mort, le personnel avait noté que sa respiration s’était légèrement accélérée. Claire ne s’était pas réveillée depuis une bonne semaine, note la Dre Elisa Pucella, directrice médicale de la Maison de soins palliatifs de Laval.
Dans les semaines précédant sa mort, ses périodes d’éveil étaient courtes, le temps de prendre quelques bouchées de yogourt. De son lit, elle a tout de même pu assister au début du concert donné par des élèves du collège Laval, dans le grand salon.
La perte de contact avec la réalité était plus présente. Certains moments ont été plus difficiles, convient sa fille, qui se faisait parfois chicaner par sa mère. « C’est le bout que j’ai trouvé le plus dur », confie Louise, qui a aussi passé de beaux moments avec elle.
Claire est restée consciente de son déclin, réceptive aux signes d’affection et reconnaissante envers le personnel, note la Dre Pucella. « Elle a conservé cette résilience – un mot utilisé à toutes les sauces, mais qui était particulièrement bien utilisé dans son cas. »