Chine

Xi Jinping, un président tout-puissant

Xi Jinping a acquis un degré de pouvoir inégalé depuis Mao, selon plusieurs observateurs. S’agit-il d’une stratégie pour mener à bien sa lutte contre la corruption et réformer l’économie sur un modèle libéral ? Rien n’est moins sûr, expliquait Elizabeth Economy, sinologue au Council of Foreign Relations à New York, dans la dernière livraison de la revue Foreign Affairs. En entrevue à La Presse, elle met en perspective la nouvelle insistance du régime sur le patriotisme, accompagnée par un isolement intellectuel croissant et des revendications territoriales toujours plus énergiques.

Comment Xi Jinping a-t-il centralisé le pouvoir ?

Traditionnellement, le premier ministre contrôle l’économie et le président s’occupe des politiques publiques de manière plus générale. Xi Jinping déroge à cette règle non écrite. Il a aussi exigé des professions d’allégeance inhabituelles de l’armée en échange d’une politique très agressive de revendications territoriales. Il a aussi réagi très rapidement pour éliminer les factions concurrentes au sein du Parti, par exemple en accusant pour corruption Zhou Yongkang, l’ancien responsable de la surveillance interne au Politburo. On assiste aussi à un resserrement des règles sur la contestation.

La répression est-elle réellement plus forte ?

Indubitablement. On voit une foule de preuves dans plusieurs domaines. Le gouvernement a annoncé que sept domaines étaient dorénavant interdits aux universitaires. Je ne me souviens pas d’une interdiction aussi explicite. Il y a aussi des attaques en apparence arbitraires : les livres d’un économiste octogénaire relativement modéré, Mao Yushia, ont récemment été bannis, même s’il est pour le libre marché. Les économistes se disent : si ça lui arrive à lui, personne n’est à l’abri.

Quel est le bilan de Xi Jinping sur le plan des réformes économiques ?

Généralement décevant. Le soutien aux grandes entreprises d’État se maintient, peu importe leur productivité. Le grand changement a été une offensive contre les entreprises étrangères sous plusieurs prétextes allant de la corruption à la sécurité des consommateurs. Lors d’un récent débat avec un représentant de la chambre européenne de commerce en Chine, qui affirmait qu’il s’agit de protectionnisme, un haut fonctionnaire chinois s’est limité à invoquer le « caractère chinois » des politiques antitrust du pays. Et il y a la question de la dette du secteur public. Le gouvernement chinois a lui-même admis qu’il s’agit d’un problème sérieux, mais depuis, il a lancé deux « mini-stimulus » qui ont aggravé la situation.

Vous écrivez qu’on décourage les collaborations internationales des universitaires chinois. Avez-vous des exemples ?

Il y a un exemple important dont je ne peux malheureusement pas donner les détails. Ce qui est public, c’est l’avertissement qu’a donné le gouvernement chinois à ses chercheurs de limiter leurs collaborations avec l’étranger. Un programme d’échanges important a été suspendu cette année pour la première fois depuis Tiananmen.

Xi Jinping pense-t-il réellement que la Chine peut devenir un pôle d’innovation en se coupant des réseaux universitaires mondiaux ?

Oui, c’est une idée qu’il avance notamment dans son récent livre sur la gouvernance. Il considère que l’innovation technologique nécessaire à la Chine ne nécessite pas de débats, qu’ils soient scientifiques ou politiques. Pour lui, toute critique du gouvernement ou du Parti est néfaste, qu’il s’agisse d’appels à la démocratie ou de condamnations de la corruption. À moins, évidemment, qu’il ne s’agisse de politiques officielles, comme la lutte qu’il mène contre la corruption.

Quel rôle joue la lutte à la corruption dans la stratégie de Xi Jinping ?

Elle est au cœur de son programme. Il aurait même demandé à ses proches, parmi les plus riches de l’élite du parti, de vendre leurs actifs pour éviter les apparences de conflits d’intérêts. Mais c’est le parti, et plus particulièrement l’élite dirigeante, qui doit mener cette lutte. Pas question de laisser les citoyens réclamer justice eux-mêmes. On a récemment traduit une directive interne du parti par « la règle du droit », mais en fait, la formulation chinoise est la « règle par le droit », et le droit, c’est le parti qui en décide.

Quel rôle joue le patriotisme dans la stratégie de Xi Jinping ?

Il a besoin de l’appui des Forces armées. Il espère que le public condamnera les opposants au gouvernement, en Chine, comme antipatriotiques. Récemment, lors d’une réunion avec des artistes, il leur a demandé d’être plus patriotes dans leurs œuvres.

Comment les artistes réagissent-ils à cet appel au patriotisme ?

[Rires] Ceux qui ont du succès ne sont certainement pas très dociles. Et je doute que ceux qui suivent son appel n’améliorent leur popularité auprès du public.

Pourquoi la Chine est-elle plus agressive dans ses revendications territoriales en mer de Chine ?

Avec la crise économique de 2008, les autorités chinoises ont eu l’impression que le début du déclin était enfin arrivé aux États-Unis. Le retrait des soldats américains d’Irak et les tergiversations de Barack Obama en Syrie et en Ukraine ont confirmé cette idée.

Xi Jinping va-t-il continuer à attiser les tensions ?

Avec la reprise de la croissance aux États-Unis et les appels à l’aide des voisins de la Chine, qui veulent un rapprochement avec les États-Unis, la stratégie d’affrontement de la Chine se révèle prématurée. On a vu des signaux conciliatoires dans la dernière semaine, notamment avec le Japon sur des îles contestées. Il met maintenant de l’avant la coopération internationale avec ses projets de banque de développement asiatique, et de routes de la soie maritime et ferroviaire. Je crois que Xi Jinping va se montrer plus gentil, pour des motifs tactiques.

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