Daniel Grenier

Ne pas mourir

À de longues années-lumière de son premier roman peuplé de gars, Daniel Grenier a écrit, avec Françoise en dernier, son premier road novel de filles. Une fugue américaine, un élan de liberté où une adolescente habite les accidents de sa vie.

Partir. Qui n’a pas eu envie de tout quitter pour se trouver soi-même ? Françoise, qui a 17 ans en 1997, le fait sans arrière-pensée, sans planification non plus. Elle fonce.

Elle vivra mille aventures, se fera une amie au long cours, mais poursuivra sa route en ayant surtout en tête un reportage du Life Magazine de 1963 racontant un écrasement d’avion auquel ont survécu le pilote Ralph Flores et sa passagère Helen Klaben, une histoire vraie d’ailleurs.

« Françoise a envie que quelque chose lui arrive comme tous les adolescents, explique le romancier. Les choses arrivent sans qu’elle le veuille. Elle a une obsession pour l’histoire d’Helen Klaben, au fait que cette femme a survécu alors qu’elle aurait dû mourir. Françoise s’en veut presque de ne pas avoir vécu d’accident d’avion. »

Daniel Grenier est entré en contact avec la vraie Helen Klaben. Pas pour qu’elle raconte sa vie, ce que l’Américaine a déjà fait de toute façon dans Hey ! I’m Alive. C’est la signature de l’écrivain : entretenir un lien avec la réalité, confondre le lecteur en se promenant dans ce récit particulier entre solitude et liberté, le banal et l’extraordinaire, petites peurs et grande fébrilité.

« Au début, ce n’était pas un choix de faire un road novel, poursuit-il, mais l’histoire de Françoise s’est développée comme ça. Le fait qu’elle parte sans le dire à ses parents, c’est une semi-fugue, parce que dans les années 90, on partait tous dans l’Ouest aller planter des arbres. J’ai imaginé les choses que je n’ai pas faites quand j’étais jeune. »

Vivre par procuration

Le romancier avoue être plutôt straight dans la vie, mais il ajoute, du coup, adorer vivre par procuration. L’autofiction, connaît pas ! Comme lui, Françoise a une éducation de bonne famille, « mais elle a la petite étincelle qui, à [lui], [lui] manquait quand [il avait] son âge ».

Il a d’ailleurs dédié son livre à des amies du secondaire. Nostalgique aussi, donc. Ce roman de route en est un d’apprentissage. Celui de l’amitié avec Sam, une Américaine un peu fourbe, beaucoup délinquante. Françoise la suivra longtemps avant d’être larguée par elle.

« Ça, c’est plus proche de moi. Françoise n’est pas une vraie délinquante. J’ai fait du tag quand j’étais jeune. On m’a arrêté et j’ai fait des travaux communautaires. À un moment, on se rend compte si on l’a dans le sang ou non. »

— Daniel Grenier

L'auteur dit surtout posséder un fort esprit de contradiction, « comme tous les artistes », bien davantage qu’un véritable esprit rebelle. « C’est en lien avec la pulsion créatrice, sans aucun doute. »

Style

Ou celle de vivre sa vie. Entre le premier et le deuxième roman, une chose ne change pas, le style. Daniel Grenier écrit des phrases qu’il dit « boiteuses » et qui peuvent paraître vides de sens, tout en étant très éloquentes sur la psychologie des personnages. 

« L’idée, c’était de focaliser sur un seul personnage, mais ce qui rapproche Françoise de L’année la plus longue, c’est la prose et le rapport à la phrase. J’ai eu l’idée de changer de style pour mon deuxième roman, mais c’est presque impossible. Mon essai, par contre, La solitude de l’écrivain de fond, comporte un style plus journalistique. »

Dans cette fascinante aventure, le lecteur partage parfois les pensées de Françoise et sort complètement de sa tête à d’autres moments. Lecture difficile ? Plutôt enlevante. Accessible, mais déséquilibrante aussi. Daniel Grenier aime jouer avec nous.

« Je fais comme si le lecteur posait des questions au personnage principal. La narration parle à la place du personnage. On en vient à ne plus savoir qui pense quoi. »

Dans ce roman « très écrit », le romancier réussit à explorer le littéraire sans tomber dans l’intellectuel. Le lecteur qui aime lire y trouvera son compte s’il sait être disponible et attentif.

Traducteur aguerri, Daniel Grenier a travaillé à la version française de deux romans chacun de Dimitri Nasrallah et de Guillaume Morissette et en prépare une autre pour Mémoire d’encrier, un grand roman afro-américain des années 30. L’Amérique, il l’aime. 

« J’utilise une prose très cinématographique, imagée. Ça fait partie de mes influences américaines et anglo-saxonnes. Cependant, comme il n’y a pas eu beaucoup de romans de la route féminins, je m’y suis lancé. Ça, c’est nouveau ! »

Françoise en dernier

Daniel Grenier

Le Quartanier

224 pages 

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.