OPINION

SANTÉ MENTALE Les mains tendues

Les histoires des suicides de Jean-François, d’Olivier et de Lili racontées par Patrick Lagacé et Rima Elkouri ont ému et choqué le Québec. Des vies précieuses qui auraient peut-être pu être sauvées – qui sait – si les mailles du filet qui les entouraient avaient été un peu plus serrées.

Les familles ont raconté à ces chroniqueurs leur détresse, leur peine immense, leur horrible sentiment d’impuissance. Aujourd’hui, nous voulons vous raconter une autre facette de ces histoires et mettre en lumière des pistes de solution. Nous voulons vous parler des mains tendues que le « réseau » ne considère que bien peu alors qu’elles sont disponibles et accessibles. Des mains expertes, prêtes et aptes à compléter efficacement le soutien, l’accompagnement et l’encadrement dont les personnes souffrant de problèmes de santé mentale ont tellement besoin.

Marie, Imane et Rosa

Commençons par Marie*, résidante du Y des femmes de Montréal, dont le psychiatre a récemment décidé d’arrêter la médication sans nous en aviser. Marie avait pourtant signé une autorisation écrite permettant l’échange d’informations sur son état de santé. Au fil des semaines, Marie allait de moins en moins bien sans que nous ne comprenions pourquoi. Un coup de fil du psychiatre à l’intervenante de Marie aurait pourtant suffi. Nous aurions pu lui faire part de nos observations sur l’état général de sa patiente et ainsi prévenir les nouveaux épisodes de délire dont elle a souffert.

Il y a aussi Imane, que nous avons dû envoyer à l’hôpital parce que son état psychologique se dégradait. Fidèles à nos habitudes, nous avons demandé à parler avec un membre de l’équipe traitante d’Imane avant qu’elle n’obtienne son congé, pour évaluer ensemble si notre hébergement était encore la meilleure ressource pour elle et si des soins particuliers devaient être mis en place.

Non seulement n’avons-nous jamais reçu d’appel, mais Imane a été « retournée » au Y des femmes en pleine nuit, seule, sans visage connu pour la rassurer ou l’accueillir. Un retour pour le moins éprouvant pour cette femme vulnérable et anxieuse, qui ne nous a pas permis de lui offrir l’accueil auquel elle avait pourtant droit et de rebâtir le lien de confiance entre elle et notre équipe.

Il y a quelques mois, Rosa nous a contactées pour obtenir une chambre à La Résidence. En lisant son dossier, l’équipe d’intervenantes a constaté que Rosa avait connu des défis de santé mentale. Par conséquent, nous lui avons demandé de s’engager à poursuivre son suivi avec son équipe traitante afin d’obtenir une place à La Résidence. Pour une raison que nous ne connaissons pas, le suivi de Rosa a été interrompu peu de temps après son admission. Son état s’est dégradé au point de rendre son séjour chez nous extrêmement difficile, pour elle et pour les autres femmes hébergées. Pourtant, un simple courriel aurait suffi pour que nous puissions recommander cette femme à une ressource répondant mieux à ses besoins.

Nous pourrions aussi vous parler de psychiatres partis à la retraite sans transférer leurs dossiers à un collègue, laissant ainsi des femmes vulnérables se dépêtre dans un réseau labyrinthique.

Ou de cet autre psychiatre à qui nous avons laissé des messages téléphoniques pendant trois semaines (!) sans jamais obtenir de retour d’appel. Notre objectif était de mieux préparer notre cliente à son prochain rendez-vous, qui l’angoissait.

Les mains tendues sont les mains des intervenantes du secteur communautaire. Ce sont les mains de professionnelles qualifiées, formées, cumulant un bagage d’expériences dont le réseau de la santé, débordé et craquant de partout, n’a pas les moyens de se passer. Nous constatons au quotidien que la condition globale des personnes que nous soutenons s’améliore plus rapidement quand les équipes qui les entourent travaillent ensemble, en incluant les principales intéressées.

Or, comme plusieurs partenaires du secteur communautaire, nous sommes confrontées à de nombreux obstacles dans nos relations avec le réseau de la santé. Plusieurs femmes de notre résidence vivent ou ont vécu des épisodes de détresse psychologique ou ont un suivi psychiatrique. Le réseau de la santé nous recommande même un certain nombre de femmes, preuve de la pertinence et de la nécessité des services que nous offrons. Mais voilà : une fois ces femmes hébergées chez nous et suivies par notre équipe, le dialogue avec le psychiatre traitant devient déficient, ou pis, inexistant.

Oui, le réseau de la santé est débordé, et nous ne doutons pas que derrière les multiples failles citées plus haut se cachent des professionnels compétents et bien intentionnés.

C’est précisément pour cette raison que nous leur tendons la main, une fois de plus. Ensemble, nous pouvons resserrer les mailles du filet entourant les personnes aux prises avec des défis en santé mentale. Ensemble, nous sommes plus forts. Cette force conjointe est essentielle pour éviter d’autres drames comme ceux de Jean-François, d’Olivier et de Lili.

* Afin de préserver l’anonymat des femmes, nous avons modifié leurs prénoms.

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