Chronique

Consommateurs, Ottawa piétine encore vos droits

Ni vu ni connu, Justin Trudeau s’apprête à piétiner allègrement les droits des consommateurs, comme l’avait fait le gouvernement Harper avant lui. Dans le projet de loi « mammouth » C-29, déposé au Parlement à la mi-octobre, le gouvernement fédéral a glissé en douce une modification majeure à la loi sur les banques.

Son objectif est de créer un régime « complet et exclusif » pour encadrer les relations entre les banques et leurs clients. En termes clairs, le fédéral veut rendre inapplicables les lois provinciales qui s’appliquent depuis belle lurette aux banques, notamment toutes les dispositions contenues dans la Loi sur la protection des consommateurs (LPC) au Québec.

Voilà le grand fantasme du lobby des banques qui devient réalité ! Et tant pis s’il faut niveler par le bas les droits des consommateurs et écraser la Constitution au passage.

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Pourtant, personne n’a vraiment remarqué cette modification importante, perdue qu’elle était à travers les 234 pages de dispositions rébarbatives visant l’exécution de certaines mesures du dernier budget.

Le projet est déjà passé en deuxième lecture. Il se retrouvera devant le Comité permanent des Finances la semaine prochaine. Le Bloc québécois lui a d’ailleurs présenté deux amendements réclamant le retrait des articles visant la création d’un régime complet et exclusif.

Mais il en faudra probablement plus pour bloquer le projet qui pourrait être adopté avant les Fêtes.

Pour l’instant, la ministre de la Justice du Québec, Stéphanie Vallée, ainsi que l’Office de la protection du consommateur (OPC) sont encore en train d’analyser les effets juridiques du projet de loi.

Mais de leur côté, les organismes de défense des consommateurs du Québec à qui j’ai parlé cette semaine sont en train de se mobiliser.

« On est farouchement contre », m’a certifié Willie Gagnon, coordonnateur du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC).

L’Union des consommateurs est du même avis. « Ça va avoir pour conséquence importante de faire perdre aux consommateurs des recours et une facilité d’accéder à la justice », déplore Yannick Labelle, avocate et analyste en protection du consommateur et pratiques commerciales.

« L’approche du fédéral est inacceptable, tonne aussi Alexandre Plourde, conseiller juridique d’Option consommateurs. Les consommateurs devraient pouvoir profiter des normes de protection les plus hautes. »

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Ce n’est pas la première fois qu’Ottawa essaie d’empiéter dans les champs de compétences des provinces. En 2012, les conservateurs avaient subtilement ajouté un préambule à la loi sur les banques prévoyant que le fédéral avait les compétences « exclusives » dans ce domaine.

Mais, en 2014, Ottawa s’est fait rappeler à l’ordre par la Cour suprême dans l’affaire Marcotte – une histoire de frais de change sur les cartes de crédit. Ce n’est pas parce que les banques sont de compétence fédérale qu’elles peuvent « éviter l’application de toutes les lois provinciales qui touchent de près ou de loin à leurs activités », a rappelé le plus haut tribunal du pays.

Quand un article de loi provincial va dans le sens contraire d’un article de loi fédérale, la loi fédérale aura préséance. Mais quand des articles fédéral et provincial vont dans le même sens, mais que l’article provincial va plus loin, l’article provincial peut s’appliquer sans problème. L’un n’empêche pas l’autre. Pas besoin de niveler par le bas.

Les banques l’ont encore en travers de la gorge !

Pour le plus grand bonheur du lobby bancaire, Ottawa revient donc à la charge. Et il va encore plus loin, s’aventurant dans des sables mouvants constitutionnels.

En regroupant toutes les mesures de protection des consommateurs éparpillées dans la loi sur les banques, il crée un nouveau régime dont l’objectif avoué est de « fournir une protection uniforme à l’échelle nationale et de permettre aux institutions d’exercer leurs opérations ».

Une protection uniforme, peut-être. Mais une protection à la baisse pour les clients. Car les provinces ont souvent été à l’avant-garde en matière de protection des consommateurs.

D’ailleurs, Québec planche présentement sur la modernisation des articles portant sur le crédit et l’endettement de la LPC. Espérons que l’offensive du fédéral ne fera pas dérailler ce projet qu’on attend depuis déjà trop longtemps.

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Mais attendez, je ne vous ai pas encore dit le pire.

Avec le projet de loi fédéral, les consommateurs qui ont maille à partir avec une banque ne pourraient plus les poursuivre devant les tribunaux. Pour plusieurs types de pratiques interdites, la loi fédérale ne prévoit pas de recours civil, déplore Me Labelle. La loi favorise plutôt le mode de résolution de conflits interne des banques.

Les clients lésés devraient donc s’adresser à l’ombudsman de leur banque ou, en dernier recours, à l’Ombudsman des services bancaires et d’investissement (OSBI) qui a déjà été édenté par le gouvernement conservateur. Certaines banques se sont même retirées de l’OSBI, confiant le rôle d’arbitre à un ombudsman externe qu’elles paient elles-mêmes, ce qui pose des questions d’impartialité évidentes.

« Il y aura une perte de recours très importante. C’est le plus gros enjeu », s’inquiète Me Labelle. En fait, si la loi va de l’avant, les banques pourraient se retrouver à l’abri des recours collectifs qui les ont souvent forcées à mettre de côté leurs pratiques déloyales.

Mais avant d’en arriver là, il faudra que la Cour suprême détermine si la nouvelle loi fédérale respecte la Constitution. Malheureusement, les consommateurs risquent d’attendre un autre 10 ans avant d’avoir le fin mot de l’histoire.

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