L’avis du nutritionniste

Entre la haute gastronomie et l’invisibilité

Il est temps de nous y faire : les insectes font désormais partie de notre environnement alimentaire. L’engouement pour ceux-ci s’est développé dans un contexte de population mondiale grandissante et de changements climatiques. Quand on sait que l’élevage des animaux est associé à des émissions de gaz à effet de serre aussi importantes que celles de l’industrie du transport, les bestioles à six pattes se présentent comme une solution de rechange. 

Or, le « problème » avec les insectes, c’est qu’on les trouve dégoûtants. Au Québec, on les considère comme des vermines, pas comme des aliments. Alors, comment transformer leur image afin de convaincre les consommateurs du contraire ?

Les arguments logiques sont insuffisants

La production d’insectes demande moins de ressources et génère moins de pollution que l’élevage d’animaux comme le bœuf, le porc ou le poulet.

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, lorsqu’on compare la production de grillons à celle du bétail, elle ne demande qu’une fraction de superficie au sol, d’eau et de nourriture.

Les insectes représentent donc une source de protéines beaucoup plus « verte » que les autres animaux.

D’un point de vue nutritionnel, ajouter des insectes au menu permet de diversifier davantage notre alimentation. Et s’il existe une constante en nutrition, c’est que la variété est une des meilleures façons de manger tout ce dont on a besoin. Il est donc clair que ces derniers peuvent être bénéfiques pour notre santé.

Mais manger n’est pas un acte mené par la logique. Savoir que c’est bon pour nous ou la planète s’avère sans contredit intéressant, mais pour qu’on croque l’aliment, on doit le trouver appétissant. Et c’est le gros défi auquel doit s’attaquer l’industrie agroalimentaire si elle veut que les consommateurs adhèrent à la tendance.

Recherche de pointe

La semaine dernière, dans le cadre de Montréal en lumière, j’ai assisté à une conférence de Michael Bom Frøst, directeur du Nordic Food Lab situé à Copenhague. L’organisme s’intéresse en grande partie à rendre délicieuses de nouvelles sources potentielles d’aliments, comme les insectes. Selon lui, c’est par les goûts, les saveurs et la présentation que se passera cette révolution. En alliant la méthode scientifique à la haute gastronomie, le laboratoire a notamment étudié les larves d’abeilles et les fourmis, des ressources locales récoltées à la main.

Ainsi, comme elles repoussent les limites de la gastronomie et s’inspirent des œuvres de grands chefs, les créations du Nordic Food Lab trouvent davantage leur place aux tables luxueuses. À titre d’exemple, l’organisme a développé l’Anty Gin, un spiritueux infusé à la fourmi, produit en quantité très limitée et vendu à 250 euros la bouteille.

Or, à mon sens, si on veut vraiment qu’une source alimentaire puisse être considérée comme un remplacement durable de la viande, elle doit être accessible à un maximum de gens. Ainsi, si nous faisons preuve de réalisme, ce n’est pas en passant par la haute gastronomie que la plupart d’entre nous seront exposés à cette « nouvelle » denrée. À mon avis, la révolution passera plutôt par les supermarchés.

La production grand public

Si on veut surmonter la barrière psychologique et faire manger des insectes aux consommateurs, deux options s’offrent à nous : on peut mettre les insectes de l’avant et les rendre appétissants, comme le fait le Nordic Food Lab, ou les rendre invisibles. Quand on ne les voit pas, l’aliment devient soudainement plus acceptable. C’est la stratégie qu’emploient des entreprises québécoises comme Naak, Tottem Nutrition et UkA Protéine qui intègrent la poudre de grillons ou d’autres insectes à des aliments transformés comme des barres protéinées ou des pâtes.

Deux jours après cette conférence, en faisant mon épicerie, je suis tombé sur un petit sac de poudre de grillons de la marque Le Choix du Président. Le produit ressemble à un supplément de protéines, que l’entreprise suggère d’ajouter aux smoothies, aux soupes, aux chilis et aux produits de boulangerie. Rien de trop déstabilisant !

L’arrivée de ce nouveau produit sur les tablettes d’épicerie constitue, pour moi, la preuve que les insectes sont désormais grand public. Quand une grosse entreprise comme Loblaw mise sur eux, c’est que la tendance est bien installée. Par contre, pour nous, consommateurs, il sera toujours nécessaire de se questionner sur la valeur de l’aliment dans lequel les insectes sont intégrés. Après tout, rien n’empêchera l’industrie agroalimentaire de développer une gamme de produits ultra-transformés intégrant les insectes en mettant de l’avant leurs bénéfices nutritionnels et environnementaux. Si Betty Crocker développait un mélange à gâteau contenant de la poudre de grillons, le dessert ne deviendrait pas pour autant soudainement « bon pour la santé ». Ce sont les aliments frais et peu transformés qui doivent constituer la majorité de notre alimentation. Et les insectes n’y font pas exception !

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