20e anniversaire de la création des cpe

Oups ! On a oublié les enfants…

Quel bilan faire du programme universel de services de garde qui fête ses 20 ans aujourd’hui ?

D’abord, les fleurs. L’accès à des services de garde à coût modique a donné des ailes à bien des femmes. Il a contribué à faire grimper de façon appréciable le taux d’activité des mères ayant de jeunes enfants. Il a permis de faire diminuer la pauvreté dans les foyers dirigés par une femme monoparentale. Il a contribué à augmenter les revenus des familles. Bref, sous cet angle, on ne peut qu’applaudir l’adoption d’une mesure aussi importante de conciliation travail-famille. On ne peut que saluer ce legs important de Pauline Marois.

Ensuite, le pot… Vingt ans plus tard, force est de constater que ce fabuleux projet demeure plus beau sur papier qu’en réalité. Car chemin faisant, on semble avoir oublié la mission éducative qui devait être au cœur du programme.

Rappelons que le programme universel de services de garde à la petite enfance, lors de sa création, avait deux grands objectifs : conciliation travail-famille et égalité des chances par l’éducation. Malheureusement, seul le premier objectif a été mis de l’avant. Le deuxième s’est perdu très tôt dans la rhétorique, constate Camil Bouchard, auteur du fameux rapport Un Québec fou de ses enfants, qui a mené à la création des centres de la petite enfance. « La rhétorique s’est définitivement branchée du côté de la conciliation travail-famille pour toutes sortes de raisons. D’un point de vue électoral, ça se vendait bien. Du point de vue des retombées économiques, on pouvait faire la démonstration assez rapidement. On répondait à une demande populaire d’enrichissement du revenu familial. Il s’agissait non seulement de sortir les gens de la pauvreté, mais d’enrichir aussi les goussets des familles en général. »

Ces arguments sont passés comme une lettre à la poste. « Mais l’idée que nous avions désormais des services éducatifs n’est pas passée. »

Si on a fini par ajouter le mot « éducatif » dans les textes de loi, aucun ministre n’a jamais misé sur cet aspect. Les services de garde sont encore et toujours vus comme de simples « garderies ».

Le développement des enfants, et plus particulièrement celui des enfants de milieux défavorisés qui bénéficieraient le plus de services éducatifs de qualité en bas âge, a été relégué au second plan. Tant et si bien que l’on accepte aujourd’hui l’inacceptable : une majorité d’enfants au Québec fréquentent un service de garde de qualité médiocre.

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« Minimale ». C’est le mot qu’emploie Christa Japel, professeure au département d’éducation et formation spécialisées de l’UQAM, pour décrire, de façon générale, la qualité des services de garde à la petite enfance au Québec.

« Minimale, cela veut dire qu’il n’y a pas de risques pour la santé et la sécurité des enfants. Mais la composante éducative est réduite au minimum. C’est du gardiennage. Alors que l’on sait que, surtout pour les enfants en milieu défavorisé, il faut que ce soit plus élevé au niveau des interventions éducatives. »

La grande enquête longitudinale sur le sujet (ELDEQ) date de 2003. Mais rien ne permet de croire que la situation s’est améliorée avec le temps. « Un projet d’amélioration continue de la qualité a montré par la suite que le niveau de qualité initial n’avait pas augmenté. Avec toutes les coupes qui ont affecté les services de garde à partir de 2003, ce n’est pas étonnant. »

Si le ministre Sébastien Proulx a présenté en juin dernier un projet de loi visant à améliorer la qualité éducative des services de garde, il faudra voir si les moyens mis en place seront suffisants pour renverser la vapeur. Après des compressions estimées à 400 millions en 10 ans, il faudra plus que quelques investissements saupoudrés çà et là pour y arriver.

Ce qui est très inquiétant, c’est la privatisation du réseau, note Christa Japel. « Pour les garderies à but lucratif qui ne sont pas subventionnées, il y a un crédit d’impôt depuis 2009. Cela fait en sorte que les parents qui cherchent une place, plutôt que de se tourner vers les CPE qui ont une longue liste d’attente, vont prendre une place au privé. »

4806

Nombre de places en garderie privée non subventionnée en 1997

61 400

Nombre de places en garderie privée non subventionnée en 2017

Sources : ministère de la Famille, Institut de la statistique du Québec, Haeck, Lefebvre et Merrigan, 2016

Financièrement, cela peut être avantageux pour les parents. Mais pour ce qui est de la qualité des services éducatifs offerts, surtout en milieu défavorisé, cela demeure inquiétant. Les études montrent que les garderies privées ou en milieu familial sont, de façon générale, de moins bonne qualité que les CPE. Or, la majorité des enfants au Québec fréquentent une garderie à but lucratif ou en milieu familial. « Donc, on ne peut pas dire que l’on a réussi à créer un réseau qui est de qualité », observe Christa Japel. Et les grands laissés-pour-compte sont les enfants vulnérables de milieux défavorisés, fortement sous-représentés dans les services de garde de meilleure qualité.

232 000

Places en service de garde subventionné en 2017, réparties ainsi :

93 932

Places en CPE

91 604

Places en milieu familial

46 498

Places en garderies privées à but lucratif

Source : ministère de la Famille

Dans le reste du Canada, on envie notre programme universel de services de garde à la petite enfance, note la chercheuse. « On dit : “Vous, au Québec, vous avez des places !” Je leur dis : “Oui, on a des places. C’est bon pour les parents. Mais est-ce bon pour les enfants ?” »

« Un enfant, une place », c’est merveilleux. Mais « un enfant, une place médiocre », ce l’est beaucoup moins.

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