RITES ET CÉLÉBRATIONS
Célébrer l’arrivée de son enfant en 2014
Collaboration spéciale
Si la religion a perdu de son influence, la célébration de l’arrivée d’un enfant est toujours aussi populaire, que ce soit avant ou après la naissance. S’il n’y a pas de baptême ou de cérémonie de bienvenue, c’est le « shower » organisé avant la naissance qui les remplace. « C’est la constante, on a besoin de marquer l’arrivée d’un enfant, on a conservé la fête autour de l’événement. On recycle à partir des rites qu’on connaît, il est rare d’en avoir de nouveaux », explique Martine Roberge, professeure au département des sciences historiques de l’Université Laval.
Si, au Québec, le taux de baptêmes n’a pas connu la même chute que la pratique religieuse après la Révolution tranquille, c’est en l’an 2000 qu’il a amorcé une baisse marquée. Depuis 2012, la proportion de baptêmes est même tombée en bas de 50 %.
« Jusqu’en 2000, les Québécois baptisaient à hauteur de 75 %. C’était énorme. C’est après que la chute est intervenue. En 2009, le chiffre est tombé à 55 %, une baisse très forte », souligne É.-Martin Meunier, professeur au département de sociologie et d’anthropologie de l’Université d’Ottawa.
Cette chute s’explique par le fait que les parents sont maintenant nés après la Révolution tranquille et que les grands-parents de ces bébés que l’on ne baptise plus se sont affranchis de l’Église catholique. « On voit que la nouvelle génération qui a commencé à avoir des enfants s’inscrit moins dans la religion et l’obligation au baptême. La pression des grands-parents semble diminuer, eux-mêmes ne sont plus attachés à l’Église », explique le professeur Meunier.
Années Nombre de baptêmes Nombre de naissances
2013 40 500 88 600
2012 42 336 88 700
2011 45 602 88 618
2004 50 102 74 068
2000 58 153 72 010
1991 79 082 97 348
— Sources : Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ) et Institut de la statistique du Québec
Si la majorité des parents ne font plus baptiser leur enfant, plusieurs le font encore. Trois raisons principales les motivent : le désir d’inscrire l’enfant dans une communauté qui n’a pas de rapport avec la croyance religieuse, pour qu’il puisse accéder aux autres sacrements de l’Église et, ne l'oublions pas, la foi. « Cette dernière raison est la plus rare, souligne le professeur Meunier. Le désir de s’inscrire dans la même filiation est le plus commun. »
Il y a aussi la pression des familles qui continuent d’influencer les parents.
« C’est un automatisme social. On baptise l’enfant par tradition, pour plaire aux grands-parents, et on se dit que l’enfant décidera plus tard. »
— Martine Roberge, professeure au département des sciences historiques de l’Université Laval
Le prêtre de la paroisse Saint-Germain d’Outremont, Alain Faubert, reconnaît qu’il y a moins de demandes de baptêmes et que les parents qui entreprennent la démarche sont moins pratiquants. Mais il remarque que les parents tiennent aux symboles de la célébration du baptême.
Si les parents font moins baptiser leurs enfants, de nouveaux rites sont apparus pour combler le vide puisque le baptême civil n’existe pas, contrairement au mariage civil. « Dans nos sociétés, les rituels d’entrée dans la vie ne sont pas nombreux, car les parents doivent tout organiser. Plusieurs hésitent, car c’est lourd de porter la mise en scène. Il n’y a pas d’alternative », explique É.-Martin Meunier.
C’est donc l’imagination des parents qui prend le relais. « Il y a une personnalisation des rites pour se démarquer, les formules sont diverses. C’est la diversification dans l’homogénéité, lance Martine Roberge. Mais il y a souvent une industrie qui s’en empare. »
En effet, tout leur est permis ou presque, et les offres sur la manière de préparer les fêtes, les suggestions de cadeaux et de décoration fusent de toutes parts. Outre cet aspect commercial, les parents tiennent à personnaliser la célébration. On mélange plusieurs rituels religieux, on organise une cérémonie de bienvenue personnalisée, etc.
« Les parents cherchent un rituel qui leur ressemble et qui leur permet de marier leurs cultures. Ils jouent avec les règles et font preuve de beaucoup d’imagination, même ceux qui font baptiser leurs enfants. »
— Denise Lemieux, sociologue et professeure à l’Institut national de la recherche scientifique, centre Urbanisation, culture et société
Une personnalisation qui n’était pas offerte avec le baptême. « L’Église prenait tout en charge, tout a profondément changé, la ritualité contemporaine est permissive, ouverte et malléable. La limite est la créativité », ajoute Martine Roberge.
Le curé Faubert rappelle que l’Église permet une personnalisation du baptême et que chaque prêtre peut accommoder les parents à l’intérieur de certaines balises. « J’ai permis à un couple de commencer et de terminer la cérémonie du baptême dans sa cour. On a marché jusqu’à l’église, qui n’était pas loin, pour le sacrement. »
Bien avant que les cérémonies de bienvenue ne soient à la mode, la spécialiste en communications Chantal Dauray a publié plusieurs livres sur les fêtes et rituels, dont , pour accompagner les parents dans ce nouveau modèle qu’elle appelle Fête de bienvenue à la vie.
« Puisque les parents doivent prendre l’organisation en main, j’ai monté un outil pour leur faciliter la vie. J’ai un chapitre sur le sens de la célébration, comme prendre une décision éclairée et confronter les croyances. On doit se poser des questions sur ce qu’on veut vraiment », souligne-t-elle.
Cette dernière agit même comme célébrante lorsqu’on le lui demande. Les parents peuvent aussi choisir d’être les maîtres de cérémonie. En fait, n’importe qui peut célébrer une cérémonie hors de l’église.
Chantal Dauray met d’ailleurs en application ce qu’elle a écrit : elle a organisé une cérémonie de bienvenue lors de la naissance de son fils. « J’ai invité des gens importants dans ma vie qui pourraient être des éclaireurs de vie si mon fils était dans le noir. Je leur ai demandé de formuler des vœux et des conseils de vie qu’ils ont écrits dans un livre. Ils peuvent le faire aussi à la caméra. »
Cependant, certaines personnes sont mal à l’aise avec le fait d’organiser une deuxième fête après le « shower » et ne célèbrent pas la naissance de l’enfant. « J’avais eu beaucoup de cadeaux à mon “shower” et je ne voulais pas refaire une fête et recevoir d’autres cadeaux. Même quand on demande de ne rien apporter, les invités se sentent obligés d’offrir un présent », raconte la notaire Josée Dubé.
Si on ne fait plus baptiser, la nomination de parrains et marraines est un héritage de la religion que les parents conservent. « C’est la poursuite d’un rôle qu’on aimait bien. Je suis le parrain d’un enfant non baptisé », souligne É.-Martin Meunier.
Certains enfants les choisissent eux-mêmes. Par exemple, Héloïse, la fille de Sophie Cazenave, n’est pas baptisée. À l’âge de 5 ans, elle voulait une marraine et a choisi celle de sa mère, avec qui elle entretient un rapport privilégié. « C’était sa demande, elle était très sérieuse. J’ai demandé à ma marraine, qui a accepté avec plaisir », raconte la jeune maman.
Chantal Dauray reconnaît qu’on choisit souvent des parrains et marraines dans les cérémonies civiles, car on veut reproduire ce que l’on connaît avec les baptêmes. Elle ne l’a pas fait pour son fils. « Je peux comprendre qu’on veuille nommer des gens, mais je suis mal à l’aise avec ça, car il n’y a pas de référence culturelle. »
Sauf que cette nomination n’a rien de légal, contrairement à ce que pensent certains parents. Même si les enfants sont baptisés. Pour que des parrains et marraines soient officiellement reconnus comme tuteurs de l’enfant si les parents meurent, il faut l’officialiser auprès d’un notaire ou du curateur public.
La notaire Josée Dubé explique que les parents doivent faire un testament et y nommer les tuteurs. Il est aussi important de faire un mandat d’inaptitude, mais il est préférable de le faire en complément du testament, pas seul. « Si un parent meurt dans un accident et que l’autre parent est dans le coma, quelqu’un doit s’occuper des enfants. »