La famille de la boxe ébranlée

Adonis Stevenson a été plongé dans un coma artificiel à la suite de la mise hors de combat dont il a été victime samedi soir.

Québec — Adonis Stevenson a souvent été critiqué par ses détracteurs. Mais hier, alors qu’il luttait pour sa vie dans un hôpital de Québec après une défaite brutale, la petite famille de la boxe a serré les coudes.

« Adonis fait partie de la famille de la boxe. Ceux qui le jugent et le critiquent en ce moment, je trouve ça dégueulasse », s’est emporté hier l’entraîneur François Duguay.

Duguay était au Centre Vidéotron samedi soir quand Stevenson a perdu son titre de champion du monde par K.-O. au 11e round contre l’Ukrainien Oleksandr Gvozdyk. À l’issue d’un combat serré, le Québécois a reçu une rafale de 10 coups au visage. Il n’avait plus la force de se protéger quand une solide droite a fini de l’achever.

De retour au vestiaire, Stevenson était conscient. Mais rapidement, son état s’est dégradé. Il a été conduit à l’hôpital de l’Enfant-Jésus, le lieu de référence en neurotraumatologie à Québec, situé à seulement deux kilomètres du Centre Vidéotron.

Là, Stevenson a été placé dans un coma artificiel pour permettre à son cerveau de guérir. Au moment de publier hier soir, l’état de santé de l’athlète de 41 ans était stable. Mais il était toujours inconscient, selon ce qu’a révélé son promoteur.

« L’état d’Adonis est passé de critique à une évolution vers la stabilité, ce qui est, dans les circonstances, une bonne nouvelle, a indiqué Yvon Michel. Il reprend ses forces en sédation contrôlée. »

Pour François Duguay, l’hospitalisation et le coma de Stevenson ont ravivé des souvenirs difficiles.

L’entraîneur était dans le coin du boxeur de Québec David Whittom lorsque celui-ci a livré son dernier combat, le 27 mai 2017. Ce soir-là, son poulain a subi une défaite par K.-O. Il était conscient après sa défaite. Puis il s’est mis à transpirer intensément dans la douche.

Admis à l’hôpital, Whittom a été placé dans un coma artificiel. Il n’est jamais ressorti de l’établissement. Il est mort 10 mois plus tard, foudroyé par une pneumonie alors qu’il était dans un état neurovégétatif.

« Oui, c’est à peu près la même situation. David répondait après son knock-down. Puis il a pris sa douche. Adonis, ça s’est passé dans la chambre, ils ont tout de suite su que ça ne se passait pas bien », raconte Duguay.

« Mais la différence, c’est que je pense qu’Adonis a été pris en charge plus rapidement. L’Enfant-Jésus est spécialisé dans les traumatismes crâniens. Par contre, on ne connaît pas les dommages », dit-il.

« Quand ça se passe dans le cerveau, on est pas mal tous dans le néant. »

— François Duguay, entraîneur de boxe

François Duguay s’est dit profondément troublé par plusieurs commentaires méchants sur les réseaux sociaux. Stevenson avait plusieurs détracteurs, à cause de son passé criminel ou de sa propension à ne pas affronter ses aspirants obligatoires.

« Il y a tellement de commentaires dégueulasses sur les réseaux sociaux, a déploré Duguay. Le gars a droit au pardon. Ça suffit, là. »

Deux morts en neuf mois

L’hospitalisation de Stevenson survient alors que deux boxeurs sont morts des suites d’un combat en l’espace de neuf mois au Canada. David Whittom est mort en mars dernier au Nouveau-Brunswick. Tim Hague a connu un sort similaire en Alberta en juin 2017. Après un combat qui a mal tourné, il est resté deux jours dans le coma avant de mourir.

Ces deux boxeurs avaient au moins une chose en commun : ils étaient peu connus du grand public. Adonis Stevenson, lui, était il y a 48 heures encore champion du monde.

« Quand un évènement comme ça arrive, c’est un bon moment pour réfléchir », note Patrick Cossette, neurologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) qui s’est beaucoup intéressé aux commotions cérébrales.

Selon lui, il est temps notamment de réfléchir à la boxe chez les mineurs. « On peut débattre de la boxe entre adultes. Par contre, ce qui me sidère, c’est qu’on permet encore à des mineurs de pratiquer ce sport-là », note le neurologue.

« Ça n’a aucun sens avec tout ce qu’on sait sur les dangers des coups à la tête de laisser cette composante dans la boxe », renchérit le neuropsychologue Dave Ellemberg. « Il faudrait éliminer les coups à la tête au moins chez les jeunes de moins de 18 ans. Je ne comprends pas que le gouvernement n’ait pas mis son pied à terre. »

François Duguay admet que l’incident de samedi soir l’a ébranlé. « La boxe est un sport à haut risque. Les gars sont conscients de ce dans quoi ils s’embarquent. Ce sont des choses qui sont rares », dit-il.

« Mais de voir deux cas comme ça dans son entourage rapproché dans la même année, c’est très, très difficile, note Duguay. Ça ne remet pas en question ma passion pour la boxe, mais ça sonne une alarme. Ce n’est pas un jeu. On ne joue pas à la boxe. »

Le coma artificiel comme une béquille

Pourquoi avoir recours à un coma artificiel ? Le neuropsychologue et professeur titulaire à l’Université de Montréal Dave Ellemberg a répondu à nos questions.

Q. Quand utilise-t-on le coma artificiel ?

R. « On utilise cette procédure lorsqu’on croit qu’il y a eu une atteinte grave au cerveau. Les neurologues vont faire appel à cette mesure pour diminuer le plus possible l’activité cérébrale, parce qu’il y a probablement de l’enflure. L’œdème vient faire de la pression contre les parois de la boîte crânienne, et donc le coma vient diminuer au minimum possible l’activité du cerveau, des neurones, pour diminuer la pression. »

Q. Donc, il s’agit de mettre le cerveau à off, en quelque sorte ?

R. « Oui, car même dans le sommeil, il y a beaucoup d’activité mentale. Il s’agit donc de laisser une chance à l’enflure de diminuer. C’est comme marcher sur une cheville enflée : c’est sûr qu’elle ne guérira pas. Donc, le coma, c’est comme empêcher de marcher pendant les premiers jours d’une blessure à la cheville. »

Le fil des événements

Samedi

21 h – Peu avant 21 h samedi soir, Adonis Stevenson est mis K.-O. par le boxeur ukrainien Oleksandr Gvozdyk. Il perd son titre WBC des mi-lourds.

21 h 30 – De retour au vestiaire, Stevenson est d’abord conscient. Il discute notamment de son combat avec son promoteur. Mais après sa douche, il devient confus et perd l’équilibre, selon RDS.

22 h – Vers 22 h, le boxeur quitte le Centre Vidéotron sur une civière en direction de l’hôpital de l’Enfant-Jésus.

Hier

2 h 30 – Le promoteur Yvon Michel indique sur les réseaux sociaux que Stevenson se trouve « dans un état critique aux soins intensifs ».

3 h 07 – Stevenson a été placé dans un coma artificiel, selon ce qu’indique sur Facebook l’un de ses amis, Tony Luis, lui-même boxeur.

15 h – Les nouvelles sur l’état de santé de Stevenson cessent de filtrer. Yvon Michel indique sur les réseaux sociaux qu’il va pour l’instant s’abstenir de commenter « pour éviter toutes interprétations erronées dans une situation en constante évolution ».

18 h 20 : L’état de Stevenson passe « de critique à une évolution vers la stabilité, ce qui est, dans les circonstances, une bonne nouvelle », écrit Yvon Michel sur Twitter. «Il reprend ses forces en sédation contrôlée. »

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