CHRONIQUE

Nous sommes en 16

On a tripé à l’Expo 67. On a ri en regardant Bye bye 68. On a tremblé lors de la crise d’Octobre 70. On a savouré la série du siècle en 72 et payé les Olympiques en 76. On a stationné notre voiture à Drummondville lors de Québec 84. Et on a vécu la chute du mur de Berlin en 89.

Pour mes contemporains, une année, c’était deux chiffres. Les deux derniers. On ne se formalisait pas avec les deux premiers. On avait tenu pour acquis qu’on était dans les années 1900 en montant, alors on ne le répétait pas tout le temps. Nous avions un rapport intime avec le temps. On lui donnait un diminutif, comme on le fait à ses amis. Maxime devient Max et Valérie devient Val. C’est plus court, c’est plus proche.

Beau Dommage chantait : « En 67, tout était beau… » Jamais Beau Dommage n’aurait chanté : « En 1967, tout était beau… » On aurait trouvé ça lourd. Empesé. L’Expo 67, c’est cool. L’Expo 1967, c’est formel. Fonctionnel.

Aujourd’hui, ce sont les Jeux olympiques de Rio 2016, le Bye bye 2015, la Coupe du monde en Afrique en 2010. Chaque fois qu’il est question d’une année, on la nomme tout au long. Personne n’a encore osé tutoyer le temps. Le 2000 est encore trop important pour qu’on en fasse fi. On est fascinés par ce chiffre. 16, c’est quelconque. Mais 2016, c’est big, croit-on.

L’an 2000 nous a trop fascinés pour qu’on le taise. Même 16 ans plus tard.

On a tellement cru qu’en l’an 2000, nos autos voleraient, on communiquerait par télépathie et on dégèlerait Walt Disney pour qu’il fasse le party avec nous, qu’on a beau être pris tous les matins sur le pont dans notre Honda, communiquer avec des textos et n’avoir ressuscité aucun mort, on continue de croire que c’est plus valorisant d’être en 2016, qu’en 16.

Pourtant, je trouve qu’être en 16, ça nous rajeunirait tous. Bonne année 16 ! As-tu hâte aux fêtes de Montréal en 17 ? Penses-tu que le CHUM va ouvrir avant 25 ? Écoutez comment ça sonne frais. Les années nous pèsent moins quand on leur enlève 2000 livres.

Je comprends qu’en l’an 2000, cela aurait eu l’air un peu ésotérique de dire que nous sommes en 0. Même chose en 1 ou en 2. Ne manquez pas notre nouvelle Mustang 4, le Tour de France 6 ou le calendrier scolaire 7-8. On ne sait plus si on parle de l’année ou de l’édition. Mais à partir du moment où il y a deux chiffres, ça devient plus évident. Tout le monde sait que la Mustang 65 est le modèle de 1965. Faudrait savoir que la Mustang 16 est la Mustang de 2016.

À partir de quand les gens, au tournant du siècle, ont-ils cessé de mentionner l’année au complet ? Quand je suis né, on parlait de la guerre 14-18. Mais en 1919, disait-on la guerre 14-18, ou la guerre de 1914-1918 ?

J’ose une hypothèse, on commence à appeler les années par leur petit nom quand le siècle dernier est moins présent aux mémoires. Les Olympiques de 76, c’était évident pour tout le monde qu’ils avaient lieu en 1976, et non en 1876. Mais si on parle des Olympiques de 16, aujourd’hui, la majorité des gens présumeront qu’ils avaient lieu en 1916, et non pas qu’ils auront lieu en 2016.

On commence à parler des années en ne mentionnant que les deux derniers chiffres quand on cesse de vivre dans le passé. Le XXe siècle est encore trop présent à nos esprits. C’est encore le siècle phare. Le siècle de référence. C’est de lui qu’on se sent proches. C’est lui que l’on continue de tutoyer. C’est lui le plus cité dans le Google de nos souvenirs.

Le Canadien a gagné sa dernière Coupe Stanley en 93. Pas besoin de dire en 1993. Mais si jamais il la gagne en 2016, il faudra bien spécifier 2016, pour ne pas confondre celle de Michel Therrien avec celle de Newsy Lalonde en 1916. (En passant, remporter sa 25e Coupe Stanley 100 ans après sa première, ce serait joli. Guéris, mon Carey !)

Il est temps que le XXIe siècle devienne notre référence. De cesser de le voir comme le siècle du futur. C’est le siècle du présent. C’est le siècle de notre présent.

Même s’il regorge de beaux moments, le XXe siècle est du passé. Il est temps de l’accepter. Quand Beau Dommage chante : « En 67, tout était beau… », personne ne pense que le groupe célèbre l’année de la naissance du Canada. 67, c’était 1967. C’était notre temps. Notre époque.

Il n’y a que sur les pierres tombales que les 4 chiffres sont nécessaires. Sinon, on risque de ne pas comprendre. Né en 32, mort en 18. Ça porte à confusion. Né en 1932, mort en 2018, ça explique tout.

Mais tant qu’on est en vie, simplifions-la-nous en ne gardant que deux chiffres pour se donner rendez-vous. Moins de chiffres nous entourent, mieux l’on se porte.

Je sais bien que je ne déclencherai pas ce matin un mouvement mondial. Et qu’une vaste partie de la planète va continuer de dire 2016. Mais nous sommes en 16. Oublions les milliers d’années de guerres et d’infamies. Nous sommes en 16. Et tout est possible.

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