Grande Entrevue  Guillaume Latendresse

« Je comprends un peu ce que vit Kotkaniemi »

En voyant les fans du Canadien se passionner pour Jesperi Kotkaniemi, Guillaume Latendresse revit son joli rêve du camp d’entraînement 2005.

Latendresse a lui aussi provoqué une commotion semblable au Centre Bell à 18 ans, quelques mois après avoir été repêché au deuxième tour, le deuxième choix de l’équipe après Carey Price, au cinquième rang.

Le jeune homme n’était pas dans les plans, mais il avait forcé la direction à le garder jusqu’à la toute fin du camp, en vertu d’une performance de cinq points, dont trois buts, en quatre matchs préparatoires.

Les « Gui ! Gui ! Gui ! » résonnaient de façon assourdissante aux quatre coins de l’amphithéâtre, le Canadien croyait avoir enfin trouvé sa première grande vedette francophone depuis Guy Lafleur.

« Ça me rappelle de beaux souvenirs », lance celui dont la carrière a été écourtée par les commotions cérébrales il y a quatre ans. 

« C’était de beaux moments de naïveté, dans le sens où je vivais quelque chose d’exceptionnel, sans pour autant ressentir la moindre pression. J’étais sur un nuage. Je comprends un peu ce que vit Kotkaniemi. Tu ne réalises pas ce qui se passe. Tu es sur une balloune et tu trippes. »

Son vieux copain et ancien coéquipier Maxim Lapierre l’a taquiné la semaine dernière au lendemain d'un match préparatoire contre les Maple Leafs de Toronto.

« Il m’a dit par texto que je devrais offrir mes services au Canadien pour héberger Kotkaniemi ! Il m’a dit [à la blague] : “Tu as vécu tout ça. Tu devrais pouvoir l’aider !” Mais je ne suis pas inquiet pour lui. Il doit avoir du monde autour de lui pour l’aider… »

Si Latendresse avait un conseil à donner à Kotkaniemi ? « Je lui dirais de ne pas avoir peur de poser des questions aux vétérans. Des gars comme Price, personne n’a plus de pression que lui à Montréal. Shea Weber, qui a vécu l’expérience à Nashville et qui vit un contexte complètement différent à Montréal. Même Dominique Ducharme, Kirk Muller. Tomas Plekanec est à Montréal depuis 15 ans. »

Mieux entouré

Kotkaniemi sera beaucoup mieux épaulé que lui, estime l’ancien attaquant de puissance des Voltigeurs de Drummondville.

« Heureusement, j’ai eu de bons vétérans québécois pour prendre soin de moi, Steve Bégin, Mathieu Dandenault, Francis Bouillon, mais les jeunes joueurs ont beaucoup plus de soutien aujourd’hui. Il y a des psychologues, des préparateurs physiques, ils sont vraiment pris par la main. »

Malgré l’adulation, Latendresse s’est senti seul au début de sa carrière. « J’ai pris la bonne décision d’habiter chez mes parents. C’était vraiment important d’avoir mon monde, mes racines à Montréal. Mon père a été bon. Il ne me demandait pas des comptes, mais il me posait beaucoup de questions. Il m’incitait à remettre des choses en question. Comme la gestion de l’argent. Moi, par exemple, le hockey s’est terminé à 26 ans. Une chance que j’ai eu de bons conseils. »

Quelques mois après avoir été renvoyé à Drummondville, à l’aube du Championnat mondial junior à Vancouver, Guillaume Latendresse fait parler de lui en posant torse nu pour un magazine gai.

« Ça ne risque pas d’arriver à Kotkaniemi ! lance-t-il en riant. La journaliste travaillait pour le magazine Summum et aussi pour La Voix du Village. Moi, La Voix du Village, je ne sais pas c’est quoi. Dans ma tête, ç’aurait pu être le village de Mont-Tremblant, ou un autre village. On a fait l’entrevue et moi, j’aime m’amuser et faire des niaiseries. Est-ce qu’il y a une expérience de vie qu’on n’a pas à 18 ans ? Ils m’ont demandé de poser torse nu, j’ai dit oui pour m’amuser. »

Quelques semaines plus tard, alors qu’il s’apprête à s’envoler pour la Colombie-Britannique en prévision du Championnat mondial junior, son père lui annonce qu’il fait l’objet d’une émission spéciale à 110 %. La question du jour : Guillaume Latendresse est-il homosexuel ?

« Même si je l’avais été, ça n’aurait rien changé à la situation. Il y en a dans la Ligue nationale. Le problème, c’est que ça n’avait rien à voir avec le hockey. On ne parlait pas de moi pour les bonnes raisons. Ç’a été un épisode très difficile. Je suis à Drummondville avec un petit club junior, sans ressources... »

« Je n’ai même pas reçu un appel de l’organisation, poursuit-il. On aurait pu me demander si j’avais besoin d’aide avec ça, si j’avais besoin d’en parler à quelqu’un. J’ai géré ça avec mon père et ma famille de pension. Puis je suis parti pour Vancouver. Je n’avais pas la tête au hockey. Avec les performances qu’on connaît ensuite [aucun point en six matchs]. »

Comme une téléréalité

Guillaume Latendresse a commencé à ressentir la pression dès sa deuxième saison, à 20 ans. « J’avais marqué 16 buts à 19 ans en jouant sur un troisième ou un quatrième trio. J’ai commencé la saison avec Saku Koivu, j’avais six points en onze matchs pour commencer l’année. Les attentes augmentent, mais pas mon temps d’utilisation. Je savais ce que je pouvais apporter, mais peut-être que je ne l’apportais pas de la bonne façon. »

À sa quatrième année à Montréal, il est échangé au Wild du Minnesota pour Benoît Pouliot, en novembre 2009. Il connaîtra ses meilleurs moments au Minnesota avec 25 buts et 37 points en seulement 55 matchs, avant de voir les commotions cérébrales le diminuer à compter de la saison suivante. Jamais n’a-t-il été en mesure de disputer plus de 27 matchs en une saison par la suite.

Latendresse garde des souvenirs impérissables de son début de carrière à Montréal. Mais il admet aussi s’être parfois senti comme un participant à une émission de téléréalité.

« Les fans ont toujours bien agi avec moi. Ils n’avaient pas de mauvaises intentions. Ils ont vu quelque chose en moi et ils ont voulu embarquer et m’encourager », dit-il. 

« Ç’a été de l’amour qui a été bénéfique d’un côté, mais la haine n’est jamais loin de l’amour. Plusieurs se voyaient en moi, plusieurs auraient voulu vivre le rêve que je vivais, alors c’est là que j’ai commencé à vivre de la pression. »

Lourdeur

Latendresse a vite commencé à sentir sa nouvelle réalité lourde à gérer. « Ça devient vraiment prenant. Si tu ne veux pas voir de monde, tu restes chez vous, mais en même temps, tu reviens après un voyage de trois ou quatre jours, ça se peut que ta blonde veuille aller souper au restaurant. Mais c’est difficile d’y aller parce que le monde cogne dans la vitre, le monde veut des photos. Je me répète, ça n’est pas négatif, mais parfois, on aimerait pouvoir mettre l’interrupteur à off et ne pas être obligé de parler du Canadien. »

Le jeune homme aurait voulu vivre une vie plus normale.

« Tu vas à la SAQ t’acheter une bouteille de vin, le conseiller te demande si tu fais bien de boire du vin. Mais j’ai le droit d’en boire ! Je suis un être humain, j’ai des amis, une vie. »

« Mon père avait une compagnie, poursuit-il. Le monde lui apportait des caisses de casquettes et de tee-shirts pour que je les signe. J’allais souper chez mes parents et chaque fois, j’avais une heure de signatures à faire. Même aller chez mes parents, c’était une corvée parce que je sentais que je devais toujours représenter le Canadien. »

Il lui est arrivé de se cacher pour manger des hot-dogs. « J’avais envoyé ma blonde m’en chercher deux à La Belle Province. Je les ai mangés en cachette en arrière de la camionnette parce que ça ne me tentait pas d’en entendre parler [rires] ! Kotkaniemi a l’avantage d’être finlandais. Il va ressentir l’amour des gens, mais la barrière de la langue va faire une différence pour lui. Et il va pouvoir faire le vide l’été en rentrant chez lui. »

S’il était entraîneur du Canadien, comment Latendresse gérerait-il le début de saison du jeune Finlandais ?

« Je lui donne les neuf premiers matchs sans hésitation et j’évalue ensuite, répond-il. Mon seul bémol, je le regardais jouer [la semaine dernière], il a une belle vision du jeu, il a fait une belle passe soulevée à Drouin à travers deux zones, mais après Noël, quand les Crosby, Malkin et Ovechkin vont élever leur jeu d’un cran, oui, sa passe soulevée a fonctionné, mais elle ne fonctionnera peut-être pas en deuxième moitié de saison. Et il ne doit pas se décourager si ça fonctionne moins bien. Pour le reste, il a le talent, la finesse, le sens du jeu. »

UNE CARRIÈRE D’ENTRAÎNEUR EN VEILLEUSE

Après quatre saisons à titre d’entraîneur-chef des Riverains du collège Charles-Lemoyne, dans la Ligue de hockey midget AAA, Guillaume Latendresse a tiré sa révérence au cours de l’été. Pour l’instant, il se consacre à temps plein à son métier d’analyste sportif à RDS et au 91,9 Sports. « Si je reçois une offre intéressante pour coacher à nouveau, je vais l’évaluer. Mais en ce moment, je travaille pour une gang incroyable à RDS qui prend bien soin de moi. C’est vraiment une belle grande famille. Je fais aussi de la radio au 91,9 Sports avec Jean-Charles Lajoie et Stéphane Gonzalez, en plus d’Énergie à Québec. J’aime travailler dans les médias. »

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