Chronique

Le salaire minimum et nous et nous et nous

La nouvelle a été annoncée par le gouvernement libéral, pas par Québec solidaire. Pourtant, elle ne fait pas trop l’affaire de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, la voix des PME, qui la trouve trop à gauche. Et si les restaurateurs aiment ce qui les concerne – « des hausses importantes, mais pas déraisonnables » –, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), de gauche, lui, n’en est pas friand du tout. Pendant ce temps, l’homme d’affaires Alexandre Taillefer, qui milite pour la hausse du salaire minimum, croit que c’est un geste courageux de la part de Québec.

Que penser, donc, de la hausse de 50 cents du salaire minimum ?

Je dirais que si on fait une sorte de moyenne des opinions de tout le monde, c’est plutôt, finalement, une sorte de bonne nouvelle.

Évidemment, certains auraient aimé une hausse immédiate ou rapide à 15 $ de l’heure, ce chiffre emblématique ici mais surtout aux États-Unis, où il est devenu le symbole de la lutte des travailleurs totalement coincés par un système économique et social produisant et reproduisant génération après génération des « pauvres travaillants » qui n’arrivent juste pas à s’en sortir sans cumuler les emplois parce que le coût de la vie est trop élevé.

Ici, on a des services sociaux, des écarts socioéconomiques moins grands, on n’a pas à payer pour nos soins de santé et on a encore, aux dernières nouvelles, un réseau de garderies abordable qui permet de travailler sans avoir à donner une immense partie de son salaire à une tierce partie veillant sur les enfants avant même d’avoir mis le pied hors de la maison. Donc, les besoins sont moins criants. Cela dit, selon l’IRIS – qui a un blogue sur le site du Journal de Montréal et un site web rempli de documents –, le salaire « viable » à Montréal devrait être de 15,78 $ de l’heure, et le groupe parlait déjà de 15,10 $ en 2015… Bref, eux ne sont pas satisfaits de la hausse.

D’ailleurs, pourraient-ils noter, la hausse n’est que de 25 cents, pour arriver à 9,45 $ de l’heure, pour les travailleurs à pourboire. Le gouvernement a donc accueilli l’argument des restaurateurs sur la nécessité de garder une distance entre les deux types de salaire, afin que les employés en salle ne soient pas sur-avantagés par rapport aux employés de cuisine qui n’ont pas de prime…

Mais selon Alexandre Taillefer, improbable figure pro-hausse, on peut se réjouir.

Selon le plan annoncé par Québec hier, le salaire minimum pour les travailleurs sans pourboire grimpera à 11,25 $ le 1er mai prochain, puis à 11,75 $ en 2018, à 12,10 $ en 2019 et à 12,45 $ en 2019. Bref, on marche tranquillement vers les 15 $…

« La rumeur parlait de 20 cents, j’étais découragé. J’ai reçu ça comme un cadeau et je me suis dit que ça avait valu la peine de m’engager », m’a confié hier le nouveau géant du taxi et patron de presse (Voir, L’actualité), qui a commencé l’an dernier à militer spontanément pour une hausse à 15 $ de l’heure sur toutes sortes de tribunes. « Je trouve que c’est un geste courageux et dans le bon sens du gouvernement Couillard », ajoute-t-il, soulignant que le moment est bien choisi, vu le taux de chômage très bas actuellement.

Maintenant, dit-il, « on va tester les prophètes de malheur qui prévoient une bombe atomique ».

Et parmi ceux qui ont des craintes, justement, il y a la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, la voix des PME, qui demande au gouvernement des allègements fiscaux pour adoucir la transition, qu’elle prévoit difficile. « Trop de gens regardent ça de façon trop pointue, il faut regarder la situation dans son ensemble », note Martine Hébert, vice-présidente principale de l’organisme. Selon elle, des augmentations de salaire chez les plus bas salariés, même si elles peuvent sembler petites, finissent par provoquer nécessairement une pression à la hausse sur les salaires dans toute l’entreprise parce que les employeurs vont vouloir préserver une certaine équité entre les travailleurs plus ou moins qualifiés et plus moins expérimentés. Et c’est là que le défi financier devient trop grand pour les petites et moyennes entreprises.

« On pense qu’il y a d’autres moyens de soutenir les travailleurs à plus faibles revenus », dit-elle. La fédération pense que hausser le seuil d’imposition, par exemple, serait efficace, sans que les PME se sentent prises à la gorge.

Mais en haussant le salaire minimum comme il le fait, le gouvernement le tire tout simplement vers un niveau équivalent à 50 % du salaire moyen, ce qui est tout à fait accepté dans le vaste monde des économistes, ce qui devrait être la norme.

Qu’on surveille donc la progression des chiffres pour s’assurer que cela demeure ainsi. C’est la base de la base pour s’assurer que les travailleurs aient un niveau de vie décent. Et qu’on en profite tous ensemble, comme société, pour faire vivre l’économie, pour payer nos services sociaux, notre culture, notre progrès.

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