Mon clin d'œil

Est-ce que Molson a pensé qu’en déménageant à Longueuil, son indicatif régional sera « quatre 50 » ?

Opinion  Légalisation du cannabis

Quelle marge de manœuvre pour les provinces ?

L’adoption du projet de loi provincial 157 sur l’encadrement du cannabis soulève la question de la latitude des provinces en matière de réglementation de cette drogue, une fois celle-ci légalisée par le fédéral.

Le Parlement fédéral a le pouvoir exclusif de légiférer à l’égard du droit criminel. La Cour suprême a reconnu qu’aux termes de cette compétence, le Parlement fédéral détient à la fois le pouvoir de criminaliser l’usage du cannabis (Malmo-Levine 2003) et celui « de décriminaliser ce qui autrefois était jugé criminel » (RJR-MacDonald 1995). Bref, Ottawa peut fort bien rendre aujourd’hui licites la possession et la vente du cannabis.

La compétence fédérale en droit criminel a pourtant des limites. Ainsi, la finalité prohibitive et préventive du droit criminel ne permet la réglementation d’activités, de personnes ou de produits que dans la mesure où ceux-ci comportent un élément de dangerosité. Partant, Ottawa peut encadrer la réglementation des produits dangereux comme le tabac ou encore le cannabis, parce que de tels produits « expose[nt] les membres de la société à des effets nuisibles ou indésirables sur la santé » (Procréation assistée, 2010). Cependant, il ne peut réglementer le commerce des produits laitiers sur la base de son pouvoir criminel, car ces produits ne soulèvent pas les mêmes problèmes (Renvoi sur la margarine, 1949).

Les provinces, quant à elles, sont investies d’une compétence générale sur la santé, la protection de la jeunesse, la réglementation des produits licites transitant dans le commerce local, et la réglementation de la production agricole sur leur territoire.

À ce titre, elles peuvent imposer des quotas de production et même interdire certaines formes de production à des fins de protection de la santé. Elles pourraient donc fort bien déterminer les lieux de production et de vente du cannabis.

Dans la mesure où une loi provinciale ne vise pas à interdire la vente ou la production de cannabis pour des motifs purement moraux, les tribunaux ne déclareront pas inconstitutionnelles les mesures de régulation, même restrictives, du cannabis qu’elle comporte.

Le choc de deux lois

Toutefois, advenant un conflit entre une loi provinciale valide et une loi fédérale valide, il est prévu que cette dernière aura prépondérance. Or, c’est ici que les choses se corsent un peu.

L’alinéa 8 (1)e) du projet de loi fédéral, par exemple, « interdit à tout individu d’avoir en sa possession plus de quatre plantes [sic] de cannabis », alors que l’article 9 du projet de loi provincial prévoit qu’il « est interdit de faire la culture de cannabis à des fins personnelles. » Y a-t-il conflit dans un tel cas ? En effet, la loi québécoise est nettement plus sévère. La norme fédérale s’impose-t-elle donc au détriment de l’interdiction provinciale ?

En réalité, une loi provinciale valide peut fixer des normes plus sévères que les règles prescrites par une loi fédérale adoptée conformément à la compétence fédérale en droit criminel, sans que l’on puisse conclure à conflit.

En effet, comme l’affirme la Cour suprême (Rothman, Benson & Hedges, 2005), l’autorité du Parlement fédéral en vertu de sa compétence en droit criminel n’est pas de nature habilitante, mais prohibitive. Elle vise à interdire une activité et non à l’autoriser.

En fait, si le fédéral tentait d’autoriser une activité en vertu de cette compétence, sa loi serait inconstitutionnelle. En conséquence, si une loi provinciale valide est plus sévère que la norme fédérale, elle ne peut pas être réputée conflictuelle, car, étant plus sévère, elle satisfait très certainement à la finalité prohibitive de la loi fédérale.

Le projet de loi fédéral sur la légalisation du cannabis a été rédigé par des légistes parfaitement au fait de cette logique. La loi n’a pas pour objectif la promotion de la vente et de la distribution du cannabis. Elle a plutôt un objectif nettement préventif et prohibitif. L’article 7 précise qu’elle a « pour objet de protéger la santé et la sécurité publiques », un objectif traditionnel du droit criminel. En outre, l’alinéa 8 (1)e) du projet de loi fédéral n’autorise pas une personne à posséder quatre plants de cannabis ; il « interdit à tout individu d’avoir en sa possession plus de quatre plantes [sic] de cannabis. »

Fédéralisme coopératif

Enfin, selon la Cour suprême, le principe du « fédéralisme coopératif » requiert que la doctrine de la prépondérance fédérale soit « appliquée avec retenue » et qu’« en l’absence d’une incompatibilité véritable » entre une loi fédérale et une loi provinciale, les tribunaux « favorisent une interprétation de la loi fédérale permettant une application concurrente des deux lois » (Moloney 2015).

Bref, dans la mesure où une loi provinciale n’a pas pour objet de contrecarrer substantiellement l’intention du gouvernement fédéral, elle pourra établir une réglementation du cannabis plus sévère que ce que prévoira une éventuelle loi fédérale.

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