OPINION PASCALE NAVARRO

AGRESSIONS SEXUELLES
Solidarité demandée

À la suite des élections d’octobre dernier, la nouvelle élue Catherine Dorion a publié sur un réseau social une photo de 4 paires de pieds, dont une seule en Dr. Martens (les siennes) et les autres en talons hauts.

C’était juste avant d’entrer en ondes sur le plateau de Tout le monde en parle, alors qu’elle y était invitée avec Catherine Fournier, déjà députée et réélue, ainsi que deux nouvelles élues, Marwah Rizqy et Geneviève Guilbault. Catherine Fournier avait commenté la photo et répondu que c’était un peu juger les femmes à talons hauts que de faire des comparaisons. Et qu’elle attendait autre chose de la solidarité féminine.

C’est à ça que j’ai pensé en suivant le feuilleton des habits de Catherine Dorion, la semaine dernière.

L’union fera-t-elle la force ?

Ce qui m’a le plus intéressée dans cette saga, d’un point de vue féministe, c’est de constater les réactions des autres femmes au Parlement. Elles n’ont pas été nombreuses à prendre la défense de Catherine Dorion, comme elles l’avaient peu été aussi pour Pauline Marois quand celle-ci se faisait reprocher foulards et bijoux. Jamais on ne les a entendues, dans un tir groupé, défendre leur collègue.

Maintenant qu’elles sont plus nombreuses à siéger, on peut se demander comment vont se modeler les solidarités entre élues.

On sait tous que la ligne de parti oblige à certaines retenues ou autorise certaines « attaques ». Mais justement, on en a marre de ces façons de faire, prévisibles à 100 milles à la ronde.

Après l’affaire Rozon

Il faudra donc se demander ce qu’il adviendra de cette nouvelle configuration qui place désormais tant de femmes sur les chaises du Salon bleu. Est-ce que les structures traditionnelles partisanes laisseront passer quelques solidarités ?

On ne peut qu’espérer que les 43,2 % de femmes élues trouvent le moyen de s’unir sur des dossiers communs, comme ont su le faire, en bien plus petit nombre, celles qui sont passées avant elles dans les années 80 et 90, laissant aux Québécoises une société plus égalitaire qu’avant leur arrivée.

Or, ce sont les conséquences de l’affaire Rozon qui devraient réunir les députées aujourd’hui. Dans tous les partis en présence, elles sont nombreuses, les élues actuelles qui pourraient faire grandement avancer le débat sur la difficulté pour les femmes à faire reconnaître les agressions sexuelles.

Jusqu’à maintenant, la justice représente pour les victimes d’agressions sexuelles un « no womens’s land ».

Comme me l’a dit une proche : « Pour que ta plainte soit retenue, n’oublie pas d’aller voir le médecin tout de suite après l’agression, puis les policiers, et si tu le peux, filme ton viol »…

C’est tristement ironique, mais c’est l’impression que donne la position du DPCP. Si cette instance ne dispose pas des outils nécessaires pour entendre les plaintes des victimes, il faudra clairement améliorer cette situation. Et si les choses n’avancent pas, avec près de 45 % de femmes élues, à quoi servirait leur présence ?

Main tendue

Dans son commentaire sur la décision du DPCP de ne pas déposer d’accusation, la ministre de la Justice Sonia LeBel a pourtant noté que le système fonctionne et elle encourage les victimes à continuer de porter plainte. C’est un peu dur d’entendre ça : non, quelque chose ne fonctionne pas, si la preuve ne peut jamais être suffisante parce que les critères en la matière sont incompatibles avec la vaste majorité des agressions sexuelles (par exemple obtenir la déclaration d’un témoin, alors que c’est la base de l’agression sexuelle en général : un agresseur se trouve toujours seul avec la victime pour la coincer).

Dans un point de presse, la députée Véronique Hivon a, elle, vivement appelé à la création d’un comité de travail pour pallier ce qu’elle appelle « l’inadéquation apparente entre le système de justice traditionnelle et la réalité des agressions sexuelles ». Et la ministre de la Justice lui a rapidement tendu la main. Est-ce le début d’une solidarité transpartisane entre élues ? Nous sommes des milliers de Québécoises à le souhaiter.

La solitude des victimes

On a beaucoup dit ces derniers jours à quel point il est difficile de prouver une agression, particulièrement si elle est survenue des années plus tôt. Mais on oublie combien les victimes d’agressions sexuelles sont seules. 

Seules à se débrouiller avec un individu qui abuse de son pouvoir, seules à négocier avec lui (ou « eux » quand ils sont plusieurs), seules dans la violence et l’humiliation qui leur sont infligées, seules aussi avec leur silence qui les emprisonnera. Contrairement aux accusés, qui, eux, sont protégés par ce silence.

La solitude des victimes est dévastatrice. Elle vous isole, vous fait peur et vous retient, ensuite, de parler et surtout, elle vous dresse à l’obéissance.

C’est à tout cela qu’on doit penser quand on abandonne les femmes à leur passé, ravagé par le privilège d’un agresseur.

À l’heure d’écrire ces lignes, il semble y avoir consensus sur la nécessité de réfléchir en profondeur sur cet échec que vivent tant de victimes. Il faut que nous puissions compter sur nos élues pour faire ce travail immense, mais ô combien nécessaire.

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