Chronique

Des frais de 12 000 $ pour encaisser un chèque de 15 000 $

Aucun bon sens ! La Chambre des notaires a beau m’expliquer qu’il n’y a pas de faute déontologique. Les banques peuvent bien me répéter que le système fonctionne comme ça.

Je ne peux pas m’empêcher de penser que ça n’a aucun sens qu’un notaire force quelqu’un à payer 12 285 $ d’honoraires et de frais pour encaisser un chèque de près de 15 000 $.

Excusez-moi, mais ça ressemble à de l’extorsion.

Laissez-moi vous raconter l’histoire invraisemblable d’Elena Oxengendler. En août 2017, elle a réalisé une transaction immobilière avec son père, à la suite de laquelle le notaire David Toledano leur a remis un chèque de 14 901 $.

Les clients ont tenté d’encaisser le chèque à partir de l’application mobile de leur banque. Mais le dépôt a été refusé après coup, car le compte était uniquement au nom du père, alors que le chèque était à son nom et à celui de sa fille.

Le malheur, c’est que la famille a ensuite perdu le chèque, convaincue qu’elle n’en aurait plus besoin après l’avoir pris en photo pour le déposer.

Qu’à cela ne tienne. Mme Oxengendler croyait que le notaire pourrait annuler le premier chèque et lui en faire un autre. Ç’aurait été trop simple !

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Pour protéger son compte en fidéicommis, le notaire lui a plutôt demandé de prendre une assurance cautionnement. Il craignait que quelqu’un puisse encaisser le premier chèque, même s’il était annulé.

« La banque ne nous garantit pas que le chèque ne passerait jamais s’il était présenté à une succursale ; dans ce cas, la banque ne prendrait pas de responsabilité », a écrit à sa cliente MToledano, qui n’a jamais répondu à mes appels et courriels.

Il est vrai que les banques laissent passer de nombreuses erreurs : des chèques encaissés en double ou en triple, des montants falsifiés, des chèques périmés encaissés après plus de six mois en circulation.

Demander un arrêt de paiement ne garantit rien.

La preuve ? Sur son formulaire d’opposition de paiement, la banque du notaire précise que « le soussigné dégage la Banque de toute responsabilité relative à toute réclamation découlant du paiement du chèque précité malgré l’opposition le frappant ».

Bref, si le chèque passe en double, c’est le problème du client ! Je ne comprends pas que les banques, qui devraient être le maillon fort du système de paiement, ne jouent pas mieux leur rôle.

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Toujours est-il que Mme Oxengendler s’est mise à la recherche d’une assurance de cautionnement. Elle est passée à travers la longue liste d’assureurs fournie par le notaire. Elle a fait appel à un courtier. Mais elle n’a trouvé aucun assureur offrant cette protection.

Dans l’impasse, la dame a finalement offert à son notaire de se porter personnellement garante du premier chèque, au cas où il serait retrouvé et encaissé.

Mais le notaire a rejeté cette proposition. Il ne voulait pas se soucier d’avoir à la poursuivre pour récupérer les fonds. Il craignait aussi que la cliente puisse un jour être insolvable.

Cela semble plutôt improbable puisque Mme Oxengendler est médecin résidente en radiologie et qu’elle possède déjà un immeuble d’une valeur importante.

De son côté, la Chambre des notaires ne trouve rien à redire aux exigences du notaire. S’il prend le risque que le chèque soit encaissé en double, « il engage sa responsabilité professionnelle et surtout il met à risque l’argent de ses autres clients (dans son compte en fidéicommis) », m’a expliqué la porte-parole de la Chambre, Johanne Dufour.

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C’est ainsi que 16 mois après la transaction, l’argent reste bloqué dans le compte en fidéicommis du notaire.

Celui-ci a finalement décidé que la seule solution totalement sûre consiste à fermer son compte en fidéicommis et à en ouvrir un nouveau pour s’assurer que le chèque ne puisse jamais être encaissé en double.

En novembre dernier, il a fini par envoyer à sa cliente une facture de 12 264 $ qui inclut : 

– 2850 $ de frais d’administration pour son compte en fidéicommis (175 $ par mois) ;

– 5062 $ d’honoraires (20 heures à 250 $ l’heure) ;

– 1770 $ de frais d’ouverture du nouveau compte en fidéicommis.

Cette facture est complètement disproportionnée. Mme Oxengendler est prise en otage. Si elle ne paie pas, elle ne touchera jamais son argent.

Elle a bien tenté de porter plainte à la Chambre des notaires, mais ses démarches sont restées vaines. Ni le syndic ni le comité de révision n’ont relevé d’erreur déontologique dans le comportement du notaire.

Pourtant, l’article 49 du Code de déontologie des notaires précise que le notaire doit exiger des honoraires « justes et raisonnables » compte tenu des circonstances et des services rendus.

Une facture de 12 000 $ pour encaisser un chèque de 15 000 $, vous trouvez ça juste et raisonnable ? Pas moi !

Selon l’article 51 du Code, le notaire doit aussi « prévenir le client du coût approximatif de ses services ». Pourtant, Mme Oxengendler n’a jamais été avertie de la facture astronomique qui la guettait. « J’avais la suspicion que ça allait mal tourner, mais jamais que ça me coûterait 12 000 $ ! », s’exclame-t-elle.

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Pour tenter de régler le problème, la Chambre des notaires a dirigé la dame vers son service de conciliation des honoraires, qui traite près de 150 dossiers par année. Désabusée, Mme Oxengendler a soumis son dossier. « Le montant de la facture est tellement astronomique que j’ai de faibles espoirs quant à l’efficacité de ce processus », dit-elle.

Chose certaine, sa mésaventure met en lumière les risques auxquels les clients des notaires sont exposés.

Actuellement, la Chambre et le Fonds d’assurance responsabilité professionnelle essaient de trouver une solution pour combler cette lacune flagrante du système. Espérons qu’ils accoucheront d’une solution au plus vite.

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