Histoires de petites annonces

On veut se débarrasser de notre divan, on cherche des skis pas chers pour le petit dernier ? Facile, on visite un site de petites annonces. Alors que l’économie de seconde main a le vent dans les voiles, elle provoque en coulisse une foule de rencontres improbables… pour le meilleur et pour le pire !

UN DOSSIER DE JULIE CHAMPAGNE, COllaboration spéciale

Entre camping et accouchement

Les rencontres provoquées par les achats faits grâce aux sites de petites annonces entraînent parfois des moments cocasses, touchants ou surprenants ! En voici quelques-uns.

Le camping ? C’est fini !

« J’avais repéré une tente intéressante. Je prends rendez-vous avec le vendeur à une station de métro. Quand je lui demande la raison de la vente, il me déballe, avec soupirs et pleurs, toute son histoire avec son ex. Qu’ils avaient prévu de partir camper, mais qu’elle l’avait laissé, qu’il avait perdu toute envie pour le camping, qu’il ne voulait plus jamais camper de toute sa vie. Gros malaise. J’ai fini par acheter la tente, après avoir joué les psychologues et testé la chose sur un petit bout de terrain, juste devant la station. » 

— Laurène Smagghe

Une rencontre touchante

« J’ai mis en vente la coquille de mon bébé devenu grand. Un homme me contacte. Le produit répond à ses besoins. On se donne rendez-vous le soir même. Après la transaction, je pose quelques questions sur son poupon. Matéo a en fait 18 mois. À la suite de complications à la naissance, il sort enfin de l’hôpital cette semaine, en même temps que son petit frère qui vient de naître. La maman vit à l’hôpital Sainte-Justine depuis 18 mois. Lui doit continuer à travailler pour joindre les deux bouts et voyage entre Saint-Hyacinthe et Montréal chaque week-end pour rejoindre sa conjointe. Pour la première fois, toute la famille sera réunie à la maison, après un an et demi de hauts et de bas. En montant dans la voiture, j’ai ressenti une immense gratitude d’avoir des enfants en santé… et un grand malaise de lui avoir fait payer son siège ! Je lui ai donc fait un transfert bancaire. Il était très touché. Il m’a ajoutée à la page Facebook qu’il a créée pour son beau Matéo et je suis maintenant l’évolution de la famille. »

— Janick Martin

Rendez-vous au stationnement

« Une dame me contacte pour acheter deux sacs que j’ai mis en vente. Nous prenons rendez-vous en soirée, dans un secteur que je connais peu de Montréal. Par prudence, je demande à un collègue de m’accompagner. Au point de rencontre, la dame nous observe de sa voiture et je constate qu’au final, je semble plus louche qu’elle, avec mon garde du corps de service. Un peu inquiète, elle finit par sortir, analyse les sacs, puis satisfaite, retourne à son véhicule chercher l’argent pour me payer. Mais malheur ! Ses clés sont à l’intérieur et la portière est barrée. La dame est en mode panique. Nous sommes en mode solution. On entre dans un commerce avec elle, plein de bonnes intentions. On nous renvoie à l’assistance routière. J’appelle donc le CAA. On nous confirme deux heures d’attente. On n’attendra pas. On contacte finalement un spécialiste de l’ouverture de porte. Il arrive avec un cintre rouillé et, en quelques secondes, débarre la porte. La dame a donc accès à son portefeuille. Mais comme un malheur n’arrive jamais seul, Monsieur “j’en suis pas à ma première voiture débarrée sur le fait” charge la totale à mon acheteuse potentielle, si bien qu’elle n’a plus d’argent pour acheter mes sacs. Après 1 heure 30 de péripéties, mon collègue et moi sommes repartis bredouilles. »

— Nadine Gagnon

Repasser les détails

« J’ai étiré un rendez-vous pour une simple planche à repasser, parce que j’étais totalement conquise par l’accent belge du vieil homme. Je lui posais plein de questions niaiseuses, juste pour l’entendre encore ! »

— Sophie Gagnon-Roberge

Chut ! Un acheteur connu !

« J’ai annoncé un meuble de télé durant des mois. Un jour, un acheteur potentiel se manifeste. C’est un député plutôt connu, mais que je ne prends pas trop au sérieux. Il cherche cet article précis, au point de m’envoyer un chèque longtemps d’avance pour le réserver. C’est mon chum qui a reçu le politicien à la maison, parce que j’avais trop peur d’éclater de rire ! »

— Marie-Hélène Guillemette

Loin… pour rien !

« Je cherchais un vélo depuis des mois, quand je tombe sur la perle rare. Le vendeur est à 3 heures 30 de route de chez moi, mais l’été achève et je veux absolument en profiter. Je contacte le vendeur, un homme d’un certain âge. Il me répète plusieurs fois que son vélo est en parfait état, qu’il lui a fait très attention. Je conviens avec lui de monter dans trois jours pour acheter le vélo. Je prends congé au travail et persuade mon chum de m’accompagner. Une fois sur place, on se présente et on dit qu’on vient chercher le vélo. L’homme refuse de nous le vendre, argumentant que nous étions censés venir la veille (alors que les détails du rendez-vous avaient été validés plusieurs fois) et qu’un autre acheteur était en route pour le voir (alors que je lui offrais une vente garantie). J’ai beau négocier, rappeler l’entente convenue, offrir plus que le montant demandé, rien à faire ! Il a trop peur de décevoir l’autre acheteur potentiel. Nous sommes partis les mains vides. Le chemin du retour n’a pas été assez pour me calmer. »

— Émilie Rémillard

Un simple imprévu…

« J’utilise souvent les sites de petites annonces et les gens ne sont pas toujours fiables. Ils réservent, puis se désistent à la dernière minute ou disparaissent sans nouvelles. Une fois, après avoir attendu toute la soirée une dame qui devait passer chercher une paire de chaussures, je lui écris le lendemain, un peu agacée, pour savoir si elle est toujours intéressée, en glissant que je l’ai attendue des heures. Sa réponse : je suis désolée, je n’ai pas pu passer, j’ai accouché. Je me sentais un peu cheap. Je l’ai félicitée et je suis allée porter les souliers directement chez elle. »

— Margot Boudreau

La soucoupe volante de Raël

Les propriétaires du Camping Havana Resort, en Estrie, ont hérité des objets raëliens en rachetant l’ancien site d’UFOland, fermé par le mouvement en 2003. Au printemps, ils ont mis en vente sur Kijiji le véhicule interstellaire du gourou, un engin mesurant 25 pi de large. 

Négociable. (À noter que l’annonce n’est plus accessible.)

Une photographie du Titanic dédicacée par la dernière survivante du naufrage

Une photographie en noir et blanc, tirée d’une édition exclusive de 950 tirages, signée par Elizabeth Gladys Dean. Surnommée le bébé du Titanic, elle était la plus jeune (et la dernière) survivante du naufrage, âgée d’à peine 2 mois au moment de la tragédie. Vendue par le producteur Stéphane Raymond, qui l’a lui-même achetée de son ami Mario Tessier, la photographie vient avec son certificat d’authenticité.

900 $ en vente sur LesPACS

L’ancien Hôtel Ottawa de Saint-Hyacinthe

Datant de 1903, cet immeuble abritait autrefois l’Hôtel Ottawa, avec portiers, bagagistes, maîtres d’hôtel et suites munies de somptueuses baignoires rondes. Bien que l’immeuble ait graduellement changé de vocation au début des années 80, il conserve toujours son cachet historique.

1 499 000 $ en vente sur LesPACS

L’humain derrière l’annonce

L’économie de seconde main n’est pas nouvelle, mais sa numérisation décuple les possibilités, au-delà des relations immédiates ou du voisinage.

« Ces échanges matériels se déroulent à l’intérieur d’une réalité que j’appelle la citoyenneté numérique, explique Diane Pacom, professeure émérite du département de sociologie à l’Université d’Ottawa. La dimension humaine a toujours accompagné les rapports économiques. Ce n’est donc pas la nature des transactions qui change avec les sites de petites annonces, mais plutôt leur fluidité, leur mouvance. La Toile amène une transposition des vertus de l’humanité à un autre niveau. »

16 millions

Nombre de visiteurs uniques sur Kijiji chaque mois, ce qui représente plus de 50 % des internautes canadiens 

Source : Kijiji

2 secondes

Environ deux nouvelles annonces sont affichées sur Kijiji chaque seconde. À tout moment, on trouve en moyenne 6,1 millions d’annonces offertes sur ce site.

Source : Kijiji

Sous la loupe du numérique, les interactions semblent encore plus belles… ou encore plus moches ! Les rencontres touchantes et les élans de générosité, d’un côté, mais aussi le manque de courtoisie et de respect, de l’autre.

« Sur les sites de petites annonces, les gens n’ont pas un rapport de coprésence, dit Paul Sabourin, professeur titulaire au département de sociologie de l’Université de Montréal. Les attitudes sont donc plus dures et tranchées. Même par courriel, il est prouvé que les gens sont plus directs. »

Pour tisser un rapport de confiance et s’assurer la pérennité de ces activités, surtout quand il y a échange de services, il faut instaurer des mécanismes de protection et de réputation. Les impolis ne sont pas totalement écartés, mais on augmente nos chances de bonne expérience !

Les petites annonces en chiffres

30 % des cyberacheteurs québécois ont utilisé les sites d’annonces classées en 2017, contre 41 % en 2016.

43 % des familles québécoises avec enfants qui achètent en ligne utilisent les sites d’annonces classées

En 2016, environ 30 % des Québécois ont fait une vente en ligne à travers un site d’annonces classées, un site d’enchères, un site commercial ou les réseaux sociaux. Les sites d’annonces classées restent toutefois l’option privilégiée pour vendre sur le web.

Source : CEFRIO, NETendances Commerce Électronique au Québec

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