Le jour de Rabii

C’est rassurant, être un homme

L’humour décadent comme mode d’expression, un regard de biais sur les travers des uns et des autres, une grille d’analyse décoiffante. Eh oui ! C’est dimanche aujourd’hui, le jour de Rabii.

Il se passe des choses. Des choses aberrantes compte tenu des 250 000 hivers d’évolution qu’on a sous la ceinture.

Un animateur vedette aurait fait des choses. J’en parlerai pas.

Bill Cosby. J’en parlerai pas non plus.

Le groupe d’ados de West Auckland, Nouvelle-Zélande, qui a fondé un « teen rape club ». Ils droguent des filles, les violent, mettent ça sur Facebook. J’en parlerai pas plus.

La fille qui marche dans la rue et qui se fait aborder par tous les hommes du monde sauf ceux qui dorment à ce moment-là.

Cent huit fois en dix heures. Une fois aux 5,55 minutes.

Les gars lui lancent des « Dieu te bénisse ».

Ils lui lancent des « Hey, comment vas-tu ? »

Qu’est-ce que t’en as à colisser de comment elle va ?

Pourquoi, elle, spécifiquement, cette fille cute-face-grosse-poitrine, tu veux savoir comment elle va ?

Pourquoi c’est pas au petit Latino bedonnant que tu demandes « comment ça va » ?

Sur Facebook, les gens commentent.

Certains disent qu’il n’y a pas de raison de s’affoler. La plupart, des gars.

Je pourrais être d’accord avec eux. Si une femme sur trois n’était pas victime de violence physique ou sexuelle.

Certains disent qu’elle exagère. La plupart, des gars.

Que c’est normal.

Que c’est normal de se faire aborder une fois aux 5,55 minutes.

Peut-être qu’ils ont raison. Thomas Kuhn disait qu’il ne peut y avoir de progrès scientifique sans ouverture. Et peut-être que ces commentateurs tvanouvellesques représentent le progrès.

C’est improbable, mais pas impossible.

Ouverture, Rabii, ouverture.

J’ai donc tenté l’expérience. En réponse à 10 Hours of Walking in NYC as a Woman, voici 20 minutes de marche en tant qu’homme à Montréal : 

Conclusion : non, ce n’est pas normal pour quelqu’un de se faire aborder une fois aux cinq minutes.

Et je dis quelqu’un au lieu d’homme ou femme, car je pars de la prémisse que les deux sexes ont droit au même traitement en public. Dans notre cas spécifique, la rue.

Tous, homme ou femme, ont le droit de ne pas se faire gosser dans la rue.

Et s’il est un droit à mon avis foncièrement primordial, c’est bien celui de ne pas se faire gosser.

Je sais que cette expérience est biaisée.

Qu’elle a autant de rigueur scientifique qu’un lancer du bouquet.

Qu’elle est peut-être même ridicule.

Qu’en tant qu’homme, les chances qu’il m’arrive quoi que ce soit durant cette marche sont aussi grandes que celles de rencontrer mon âme sœur à Allume-moi.

Jamais je ne pourrai reproduire l’expérience de cette femme, parce jamais je n’en serai une. Jamais je ne pourrai avoir le même ressenti.

Tout au long de la vidéo, tu peux voir l’inquiétude dans ses yeux : 

Moi, en la tournant, la mienne, j’en ai pas ressenti, de l’inquiétude.

Parce que c’est pas inquiétant, être un homme. Plus jeune, avant de sortir, ma mère ne me sommait pas longuement d’être prudent comme elle le faisait avec ma sœur.

Une collègue à moi a parfois peur dans la rue. Pas parce qu’elle s’est déjà fait violer, mais bien parce qu’elle en connaît à qui c’est arrivé. La nuance entre « environnement sûr » et « environnement rassurant ».

Elle marche le matin pour se rendre à la job, mais opte pour le métro une fois le soir venu.

En tant qu’homme, ma plus grosse crainte, en quittant le travail le soir, c’est que quelqu’un freine ma descente de 14 étages en embarquant dans l’ascenseur au deuxième pour débarquer un étage plus bas, au rez-de-chaussée.

Jamais je ne saurai ce que c’est de ne pas se sentir en sécurité dans la rue.

Parce que c’est rassurant, être un homme.

C’est rassurant de pouvoir camper le rôle relax. Jamais sur les nerfs. De ne pas avoir à surveiller tes arrières. Parce que t’es plus gros.

C’est rassurant de savoir que le « non » que tu ébruites vocalement peut être doublé d’un « non » exprimé physiquement. Un « non » plus dissuasif, juste au cas où l’autre « non » se rende pas.

C’est rassurant de savoir que ta main est plus grosse que la plupart des cous et non le contraire.

C’est rassurant, être un homme.

Pis ce qui est beau dans tout ça, c’est qu’en tant qu’espèce qui a 250 000 hivers d’évolution sous la ceinture, on pourrait faire en sorte que ce soit rassurant pour tout le monde.

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