Le courrier de la sommelière
Une appellation, gage de qualité ?
Collaboration spéciale
La zone de Pic Saint-Loup, dans la région du Languedoc, vient tout juste d’obtenir son appellation d’origine contrôlée (AOC). Une grande fierté pour les vignerons de l’endroit, qui travaillent depuis de nombreuses années pour cette reconnaissance de leur terroir.
Les AOC françaises sont accordées par l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), un organisme public qui gère les signes d’identification de l’origine et de la qualité.
Avant d’aller plus loin, une petite mise au point est nécessaire.
En 2009, l’Europe a mis en place une harmonisation progressive des différentes appellations de ses pays membres. Pour le vin, cela se traduit en trois catégories : AOP (appellation d’origine protégée), IGP (indication géographique protégée). On trouve aussi une appellation Vins de France, d’Espagne, d’Italie, etc., selon le pays.
En France, les AOC deviennent donc des AOP, et les Vins de pays deviennent des IGP. Les VDQS (vins délimités de qualité supérieure), une appellation transitoire entre Vins de pays et AOC, disparaissent. Ils deviendront soit des IGP, soit des AOP. Et, finalement, les Vins de table deviennent Vins de France. Ouf.
À noter, la mention AOC ne disparaîtra pas : même si, techniquement, les vins sont maintenant des AOP, ils continuent d’afficher, en toute légalité, la mention AOC. Re-ouf.
Les Vins de France sont à la base de la pyramide de qualité : ils ont les règles les plus souples de production. Les IGP puis les AOP ont des exigences de plus en plus strictes. Les AOP (ou AOC), au sommet de la pyramide, devraient donc être les plus qualitatives. Mais est-ce vraiment le cas ?
Lorsque les AOC ont été créées en 1935 (sous l’instance du Comité national des appellations d’origine des vins et des eaux-de-vie, qui deviendra l’INAO en 1947), leur raison d’être était claire : reconnaître les véritables vins de terroir et les protéger de la concurrence déloyale des vins de volume.
Plusieurs catastrophes qui se sont enchaînées au tournant du XX
siècle ont provoqué une baisse alarmante de la qualité des vins français. L’apparition de l’oïdium, une maladie fongique dévastatrice pour la vigne, suivie de celle du phylloxéra, puceron encore plus dévastateur, a failli anéantir le vignoble français. L’arrivée du mildiou puis de la pourriture noire a complété le tableau. La production nationale a chuté de près de 75 %, mais la demande, elle, n’a pas baissé. Les cas de fraude se sont multipliés, sans compter l’utilisation de plus en plus fréquente de vignes et de méthodes culturales qui favorisaient la quantité au détriment de la qualité.Mais les AOC, qui à l’origine devaient différencier les grands vins des vins courants, ont été victimes de leur propre succès. Le sénateur Joseph Capus (1867-1947), l’un des fondateurs des AOC, estimait que les vins de terroir, ceux qui méritaient l’appellation, représentaient environ 15 % des vins français.
Aujourd’hui, les AOC représentent près de 80 % de la production nationale. Elles font vendre et leur nombre explose : on en compte plus de 350 aujourd’hui. Cette désignation peut difficilement être synonyme de produit d’exception.
La qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Et la notion originale de terroir est trop souvent absente. L’agrandissement démesuré des surfaces en appellation, des rendements beaucoup trop élevés, des pratiques trop permissives dans les vignobles et dans les chais ont contribué à la perte de crédibilité des AOC. C’est pourquoi on continue de voir de nombreux vignerons, qui travaillent de façon qualitative et dans le respect du terroir, abandonner l’appellation.
Paradoxalement, certains vins, véritables expressions d’un terroir et admirés partout dans le monde, se voient refuser l’AOC pour cause de « non-conformité ». On en arrive à une banalisation des appellations en s’appuyant sur une notion de typicité : un vin de Sancerre par exemple devrait avoir des arômes et un profil gustatif bien définis. Éliminer un vin parce qu’il présente un défaut est une chose, mais parce qu’il est une expression originale d’un terroir et qu’il ne se conforme pas à un moule prédéfini ? C’est la route vers l’homogénéisation, pas vers la qualité.
Il y a bien eu au fil des ans plusieurs tentatives de refonte du système des appellations, mais jusqu’à maintenant, sans succès réel. On se retrouve aujourd’hui avec des Vins de France (ou d’Italie ou d’Espagne, la situation est semblable dans tous les pays du Vieux Monde) absolument remarquables, et des vins AOC médiocres.
J’aimerais bien voir les AOC redevenir pertinentes, basées sur les valeurs d’originalité, d’authenticité et de qualité. Beaucoup de producteurs continuent de travailler en ce sens et cherchent à redorer le blason de leurs appellations respectives, et ils ont toute mon admiration. Mais lorsqu’on voit autant d’excellents vignerons, de véritables « accoucheurs de terroir », soit abandonner leur AOC, soit se la voir refuser par manque de typicité, on est sérieusement en droit de se poser des questions.
Et ce ne sont là que quelques-unes des absurdités du système des AOC. Alors que les conditions météo des dernières années ont été catastrophiques pour nombre de régions – entre grêle et gels, plusieurs vignerons ont vu leurs récoltes sérieusement amputées, voire décimées, plusieurs années de suite –, l’INAO ne permet pas de mesures exceptionnelles, comme l’utilisation d’un filet antigrêle, parce qu’elles modifieraient le terroir. Par contre, la liste des pratiques permises à la vigne et au chai qui éradiquent complètement la notion de terroir est longue…
Par conséquent, à la question « est-ce qu’une appellation est un gage de qualité ? », je réponds encore, malheureusement, que non.