Fédération des femmes du Québec

Les défis de la nouvelle présidente

Nous avons élu il y a quelques semaines une première femme à la mairie de Montréal, mais une autre élection a aussi eu lieu récemment, celle de la nouvelle présidente de la Fédération des femmes du Québec, Gabrielle Bouchard.

Depuis le départ de Mélanie Sarazin il y a quelques mois, le siège était vide. Cet organisme phare a vu passer beaucoup de gouvernements et a travaillé à représenter les intérêts des femmes avec assiduité. Créée à l’initiative de Thérèse Casgrain, en 1966, la FFQ avait pour but de « fédérer » (comme son nom l’indique) les femmes de tous horizons « sans distinction de race, d’origine ethnique, de couleur ou de croyance », tel que formulé dans le site de la Fédération. 

Mme Casgrain, qui provenait de la bourgeoisie, a consacré une grande partie de sa vie à l’obtention du droit de vote féminin et a tenté de réunir les femmes pour qu’elles parlent d’une seule voix.

Que veut dire « représenter » ?

Toutefois, les temps ont changé, et le féminisme aussi. Mme Bouchard a bien des défis devant elle, mais s’il en est un de taille, c’est celui de faire accepter que le fait d’être trans ne l’empêchera pas de représenter l’ensemble des membres de la FFQ.

Or, comme elle le répondait au micro de Catherine Perrin la semaine dernière, une femme blanche de la majorité représente-t-elle toutes les femmes, notamment celles de la marge ?

Des voix se font entendre pour dire que nous vivons dans un drôle de monde si une femme trans peut présider la FFQ. Pourtant, si Mme Bouchard s’identifie comme femme, qui sommes-nous pour douter de son identité de genre ? 

On me répondra qu’elle ne peut pas connaître les dossiers dits féminins, comme celui des « violences obstétricales », par exemple : mais faut-il avoir accouché pour représenter les femmes ? Évidemment, non.

Quant à la rumeur qui voudrait que Mme Bouchard songe à faire enlever les mots « mère » et « maternité » de la langue française, c’est une distorsion des faits. Il n’y a qu’à lire les échanges qui ont eu lieu en commission parlementaire* pour comprendre ses propos : si un jour un homme trans décide d’avoir un enfant, il peut demander d’être appelé autrement que « mère ». En quoi est-ce une menace aux femmes qui se font appeler maman ?

Tout ce que disait Gabrielle Bouchard, c’est qu’il est temps d’arriver au XXIe siècle. Cela peut bousculer, mais une situation comme celle qu’elle décrit sera de moins en moins rare.

La vraie question

Ce qui m’inquiète, c’est plutôt la Fédération elle-même. Est-ce normal qu’une seule femme ait brigué la présidence de la FFQ ? Les défis ne sont sûrement pas nouveaux, mais vu l’actualité des dernières années, de l’affaire Ghomeshi au mouvement #MoiAussi, en passant par la loi 151 sur les agressions sexuelles sur les campus, ainsi que la remise en cause du système judiciaire, j’aurais cru que plus de femmes se porteraient candidates pour représenter cette institution. Que penser de cette situation ?

Pour ce que j’ai entendu de ses conférences et présentations, Mme Bouchard comprend très bien dans quel monde elle va évoluer : la méfiance (la méconnaissance ?) de certaines féministes à l’égard de l’intersectionnalité, le défi de représenter les femmes des régions, les reculs en matière d’égalité femmes-hommes. 

Elle semble aussi plaider pour une voix féministe dans le débat public et souhaite que la FFQ reprenne la place qu’elle a perdue. Ce serait en effet essentiel. Mais la formule hiérarchique pratiquée dans cette organisation laisse songeuse. En effet, il y a quelque chose d’anachronique à constater à quel point le féminisme au Québec a évolué à vitesse grand V, s’est enrichi, diversifié, complexifié alors que la Fédération ne parvient pas à toucher plus de femmes désireuses de s’y exprimer. Ce sera donc un autre grand défi que de redonner un souffle à l’organisation.

Quoi qu’il en soit, le Québec entre en campagne électorale, et il faudra prendre la parole. La FFQ, comme toutes les autres associations féministes, ont une occasion parfaite de faire entendre les voix qui les animent.

* 15 avril 2015, Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de règlement relatif au Règlement sur le changement de nom et d’autres qualités de l’état civil pour les personnes transsexuelles ou transgenres

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