Ultra-marathon

Quitter « l’autoroute » pour les sentiers

À 30 ans, Mathieu Blanchard a décidé de renoncer à sa vie « toute tracée » pour se lancer sur le circuit professionnel

Comme il le fait depuis plus de cinq ans, Mathieu Blanchard prend le chemin de son bureau dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Mais cette journée de début janvier n’est pas comme les autres.

Dans quelques minutes, il va officiellement annoncer qu’il quitte son métier d’ingénieur commercial pour se lancer dans le monde professionnel de l’ultra-trail et occuper un poste de directeur commercial à La Clinique du coureur.

« Je quitte ma petite vie toute tracée. Quand tu es dans un bureau de génie, tu arrives à te projeter jusqu’à ta retraite. Il n’y a aucun risque, ça fonctionne bien et le marché est peu volatil », explique le jeune trentenaire en entrevue.

« C’est comme une autoroute devant toi, mais j’ai préféré choisir les chemins de trail. »

— Mathieu Blanchard

La transition n’est pas étonnante lorsque l’on considère les récents résultats du Montréalais. Mais il n’est jamais facile de faire un tel virage et de quitter son petit confort. À 30 ans, le moment est cependant bien choisi pour Blanchard qui n’a pas d’enfants et qui peut envisager plusieurs bonnes saisons sur le circuit professionnel.

« Entre 20 et 30 ans, j’ai l’impression qu’on découvre nos passions et qu’on a une prise de recul. On met des mots et des émotions sur nos passions. Puis à 30 ans, c’est le moment où on se dit : “Et si j’écoutais cette petite voix au fond de moi ?” C’est peut-être le moment de prendre un peu de risques. Il ne faut pas trop se poser de questions, ce n’est pas une question de vie ou de mort. »

Sportif depuis sa tendre enfance, le Français d’origine a démarré la course à pied après son arrivée à Montréal en 2014. Sa trajectoire a depuis été phénoménale avec une participation à l’Académie Salomon aux États-Unis, et de nombreuses victoires dont celles à l’Harricana (80 km), au North Face Endurance Challenge (80 km), à la TransMartinique 145 km ou à l’Ultramaratón Guatemala.

Impossible de ne pas mentionner sa 13e place lors du dernier Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB) qui lui a permis de gagner en notoriété et d’« attirer l’œil de certaines organisations ». Elle l’a aussi incité à pousser sa réflexion sur le monde professionnel.

« Après l’UTMB, certaines marques m’ont approché pour voir comment on pourrait collaborer en 2019. J’ai vu que ça pouvait devenir plus concret. »

— Mathieu Blanchard

« Je suis ingénieur dans le domaine de l’énergie. J’ai ma petite vie douillette et je n’allais pas lâcher tout ça pour sauter dans le vide. Surtout que, en discutant avec des coureurs professionnels, ils m’ont dit que la vie d’athlète n’était pas si simple. Il faut se motiver pour aller courir matin et soir et si, entre les deux, tu n’as pas d’autres intérêts, tu peux commencer à tourner en rond et te demander à quoi tu sers. J’ai besoin d’avoir un équilibre avec des défis professionnels et des responsabilités. »

Au beau milieu de cette réflexion automnale, il voit justement passer une annonce d’emploi à La Clinique du coureur, pour laquelle il agit déjà à titre d’ambassadeur. Au bout du processus d’embauche, il est choisi comme nouveau directeur du développement commercial à l’international. Dans ses nouvelles fonctions, il sera chargé d’établir une stratégie commerciale pour les différents pays visés par l’organisme. Grâce au télétravail et à une grande flexibilité dans les horaires, il disposera aussi du temps nécessaire pour s’entraîner comme le font les professionnels.

« C’est le meilleur des deux mondes, reconnaît-il. L’équipe de La Clinique du coureur me demandait comment j’allais pouvoir m’entraîner et travailler pour eux en même temps. Mais j’en gagne, du temps ! Comme c’était déjà ma passion, je lisais déjà les nouvelles du monde de la course à pied. Et, maintenant, je n’ai plus à lire celles du monde de l’énergie comme avant dans mon bureau. »

« Lors de mes courses à l’international, je vais prendre des rendez-vous pour promouvoir La Clinique plutôt que de rester dans ma chambre d’hôtel à attendre le départ. C’est une synergie parfaite. »

— Mathieu Blanchard

Cette année, il a justement prévu de disputer plusieurs étapes de l’Ultra-Trail World Tour afin de se frotter plus souvent à l’élite mondiale. Sa saison 2019 commencera demain avec le Hong Kong 100 avant des crochets par la Transgrancanaria, la Guadeloupe et le Québec en juin. Le plat de résistance arrivera à l’automne avec la mythique Diagonale des Fous, dans l’île de la Réunion.

« C’est mon gros objectif de l’année. L’an dernier, j’avais fait une course au Maroc un mois après l’UTMB et je n’avais pas totalement récupéré. Au lieu de faire l’UTMB, cette année, j’ai choisi la CCC [Courmayeur-Champex-Chamonix, d’une distance de 101 km] qui sera plus adaptée pour la Diagonale. »

Une présence importante

Blanchard le reconnaît : en raison d’une faible médiatisation, il n’y a pas beaucoup d’argent à faire lors des différentes courses sur sentier. En 2018, les vainqueurs masculin et féminin de l’UTMB ont ainsi empoché une prime de… 2000 euros (3000 $) au bout des 170 km et 10 000 m de dénivelé positif. 

Mais comme l’ont bien compris Kilian Jornet et sa compagne Emelie Forsberg à travers leurs livres et les réseaux sociaux, des occasions existent tout de même.

« On peut faire de l’argent dans l’ultra-trail en racontant des histoires d’aventures. »

— Mathieu Blanchard

« Évidemment, il y a un côté performance dans le trail. Mais il faut aussi avoir une personnalité qui plaît aux marques ou aux personnes qui veulent t’accompagner pour que tu racontes tes histoires dans les revues ou les réseaux sociaux. Je m’en suis rendu compte en 2017-2018 quand j’ai commencé à raconter mon histoire, mes entraînements, mes hauts, mes bas et mes courses. J’ai aimé ça, partager. » Il a d’ailleurs lancé son nouveau site, mathieu-blanchard.com, dans lequel il abordera chacune de ses courses.

L’année 2019 promet déjà d’être riche en partages et en anecdotes.

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