Opinion 

Finissez-en !

À Montréal, au hockey, les fins de saison se suivent et ne se ressemblent pas.

Prenez 1976-1977. Le Canadien vient de remporter 60 victoires, en 80 matchs, pour un total de 132 points. Dans les rues de Montréal, ce printemps-là, on ne se pose qu’une question : il faudra combien de parties pour gagner la Coupe Stanley ? Quatorze, et ce sera réglé.

La fin de la saison 1954-1955 est plus dramatique. Avec trois matchs à jouer, Maurice Richard, le plus célèbre joueur de la plus célèbre équipe de hockey au monde, est suspendu. Il ne pourra plus jouer cette saison-là, ni en saison, ni en séries éliminatoires. Il aurait pu gagner le championnat des compteurs, mais cela n’arrivera pas. Son équipe gagnera la Coupe Stanley cinq fois de suite à partir de l’année suivante.

Si le Canadien l’avait remporté au printemps de 1955, cela aurait fait six conquêtes consécutives. Certains pleurent encore ce rêve inachevé.

Et la saison 2017-2018 ? Elle ne passera certainement pas à l’histoire, sinon pour sa médiocrité (nous sommes à combien de blanchissages ?). Tout le monde a sa petite idée sur le drame de l’heure ; nous aussi.

Les journalistes et les joueurnalistes se perdent en conjectures. Trop de blessures, dont de nombreuses commotions cérébrales ? Un recrutement et un développement des joueurs inadéquats ? Une absence de structure dans le jeu ? Un manque de talent ? C’est quoi, ce « plan » dont on nous rebat les oreilles ? Michel Bergeron, lui, de samedi soir en samedi soir, sur les ondes des TVA Sports, s’approche de l’apoplexie.

La direction du club se pose les mêmes questions. Quand un des propriétaires, Geoff Molson, a qualifié la saison d’« inacceptable à tous les niveaux », les fans n’ont pu que se dire une chose : « Enfin ! Il a compris ! » Quatorze défenseurs plus tard, Marc Bergevin, le directeur général, risque de se faire reprocher pendant des années ses déclarations jovialistes de l’été dernier au sujet de sa « défense améliorée ». Le pauvre Claude Julien vient de le constater : il n’y a pas de Patrice Bergeron dans cette équipe. Les questions ne manquent pas ; les réponses, si.

Plus un grand club

Les amateurs sont catastrophés. Pour eux, ce qui est difficile à avaler, ce n’est pas seulement la saison ratée du Canadien, mais de se faire à l’idée que le Tricolore n’est plus un grand club et qu’il ne le sera peut-être plus jamais.

À moins de sortir d’un chapeau un Sidney Crosby 2.0 ou un Maurice Richard croisé avec un Jean Béliveau venant d’un patelin du 514 ! Rappelez-vous : au cours des décennies 1950, 1960 et 1970, le Canadien réussit 16 de ses 24 conquêtes de la Coupe Stanley, dont les 5 consécutives de 1956 à 1960. Ah ! le bon vieux temps ! En fait, cette époque glorieuse est bel et bien derrière nous.

Peut-être cette saison nous permettra-t-elle au moins de passer, dans les fameuses sept étapes du deuil, du numéro 5, dépression et douleur, au numéro 6, reconstruction, voire au numéro 7, acceptation. La leçon printanière est dure à avaler.

On pourrait spéculer longtemps sur ce qui manque à cette équipe de 2017-2018. En fait, on a fait ça toute la saison, spéculer et critiquer. On dirait même que c’est tout ce qui nous reste. Peu importe que vous soyez bons ou mauvais, on va parler de vous, chers porteurs du Bleu-blanc-rouge. Avec les interrogations en boucle des commentateurs et la déclaration récente de Geoff Molson, il y a de quoi nourrir les tribunes téléphoniques et les conversations de bureau jusqu’à l’été. Ensemble, attendons le Sauveur.

Il est de plus en plus difficile de se défaire de l’idée que ce club de hockey ne mérite pas tout le temps, tout l’argent et toutes les paroles qu’on lui consacre sans compter (nous non plus, nous ne comptons pas).

Certains commencent à parler d’une désaffection du public envers le Canadien. Ses causes sont faciles à trouver. Pourquoi avoir échangé P.K. Subban ? Pourquoi avoir laissé partir Andrei Markov ? La défense du Canadien ressemble de plus en plus à celle des Nordiques de Québec de 1989-1990, mais, au moins, à cette époque-là, il y avait une rivalité entre équipes québécoises.

Voilà sans doute un chantier pour les Molson : s’assurer d’avoir une seconde équipe au Québec.

On pourrait ne pas faire les séries, être humilié par les autres équipes, mais on aurait quand même une petite rivalité qui garderait le moral. Or, avoir le moral, c’est bien difficile ces jours-ci dans le Montréal sportif.

C’est vrai : il y a l’Impact, les Alouettes et le football universitaire, mais pour que cela compense le chagrin sportif montréalais actuel, il faudrait deux choses. Ces équipes devraient gagner avec régularité, ce qui n’est pas le cas. Surtout, il faudrait en finir avec notre monomanie/monogamie sportive et, plutôt que de considérer le Canadien comme l’alpha et l’oméga du sport, concevoir le hockey comme une offre sportive parmi tant d’autres. Avec un peu de concurrence, la direction du Canadien arrêterait peut-être de s’asseoir sur ses lauriers, car, dans la vie comme au hockey, il n’y en aura pas de facile. Cette direction est bien loin de donner son 110 %, non ?

Une chose est sûre : il y a des printemps où ça ne sent vraiment pas la Coupe. Celui-ci n’est pas le dernier.

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