Ce qui se passe sur les réseaux sociaux…

Match de quart de finale opposant le Canada à la Finlande au Championnat mondial de hockey junior. C’est 1-1. Nous sommes en période de prolongation. Tolvanen accroche Bouchard, alors qu’il s’échappe devant le gardien finlandais. Tir de pénalité ! L’entraîneur-chef canadien Tim Hunter désigne son capitaine Maxime Comtois pour tenter le tir. Comtois s’approche du gardien Luukkonen. Il tire. Le gardien sort la jambière. C’est l’arrêt !

Quatre minutes plus tard, le défenseur finlandais Toni Utunen y va d’un tir précis qui déjoue le gardien canadien Michael DiPietro. Victoire de la Finlande. Le Canada est éliminé devant ses partisans. Consternation. Le party est fini. L’or, l’argent et le bronze s’envoleront dans les valises des formations étrangères.

Pendant que les joueurs canadiens accrochent leurs patins, les amateurs s’emparent de leurs téléphones, tablettes et ordinateurs pour s’activer sur les réseaux sociaux. On commente l’échec. Certains s’en prennent à Maxime Comtois. On ne lui pardonne pas d’avoir raté la belle occasion de faire gagner la patrie. Dans le flot de réactions, il y a des propos haineux, disgracieux, en dessous de tout. Je ne les répéterai pas. Pourquoi les répéter ? C’est justement ça, le problème. Pourquoi les médias traitent-ils les commentaires sur les réseaux sociaux comme si c’était un discours de prix Nobel ? Jeudi, tous les bulletins d'informations reprenaient en manchette les troublantes insultes. Pourquoi leur donner une telle valeur ? Ce sont des bêtises écrites par des frustrés, la plupart du temps anonymes. C’est tout. Ce n’est pas représentatif de ce que pense le peuple canadien. Ce n’est pas représentatif d’un mouvement, d’un courant. C’est juste du trash. De la saleté. Retransmettre ces propos, c’est leur accorder une importance qu’ils ne méritent pas qu’on leur donne.

Avant les réseaux sociaux, quand tout un chacun voulait exprimer son opinion dans les médias, il y avait deux façons : les lettres ouvertes dans les journaux et les « lignes ouvertes » à la radio. Bien sûr, aucun journal ne publiait une lettre remplie de menaces de mort et d’invectives. Il fallait que ça se tienne. Pour les tribunes téléphoniques, c’était une autre histoire. On privilégiait les discours sensés, mais on ne pouvait pas tout prévoir. Quand un auditeur se mettait à sacrer et à formuler des propos dégueulasses, l’animateur lui raccrochait la ligne au nez. Parfois, c’était trop tard. Et quelques réputations de politiciens ou d’artistes avaient eu le temps d’être salies. Mais ça finissait là. 

Au bulletin d'informations qui suivait, on n’annonçait pas : « Quelqu’un vient de dire à la radio que le premier ministre est un ci, ou que telle actrice est une ça. » Si vous vouliez savoir ce qui se disait aux tribunes téléphoniques, il fallait écouter les tribunes téléphoniques. Sinon, vous ne le saviez pas. Et c’était parfait comme ça.

Je veux bien croire que les paroles s’envolent et que les écrits restent. Et que c’est plus facile d’ignorer un appel diffamatoire qu’un texte diffamatoire. Mais c’est quand même la seule solution. On n’éliminera pas la bêtise humaine. Elle existe depuis toujours. Les réseaux sociaux ne l’ont pas créée. Ils lui ont donné un moyen facile pour s’exprimer. Cela dit, les réseaux sociaux permettent aussi à l’intelligence, à la solidarité, à la bonté de s’exprimer. Le problème est que personne n’a repris les mots encourageants et gentils que Comtois a reçus. Seulement les méchants. C’est plus attirant. On parle toujours des accidents, jamais des voyages heureux.

Pour contrer les intimidateurs sur le web, il faut les poursuivre, les condamner. Que ce qui se dit sur les réseaux sociaux soit traité de la même façon que ce qui se dit partout ailleurs. Que chacun soit responsable de sa communication. Il faut aussi ne pas faire rayonner les mots haineux au-delà de l’endroit où ils paraissent. Une ligne écrite sur un fil, lue par quelques milliers de personnes, n’a pas besoin d’être reprise par tous les médias et d’être lue et entendue par des millions de gens.

Un journal ne publierait pas une lettre de lecteur tenant le même propos, alors pourquoi reprend-il une opinion exprimée sur Facebook, Twitter ou Instagram ?

Ce qui se passe sur les réseaux sociaux peut rester sur les réseaux sociaux. Pas besoin de tout reprendre. Surtout pas ce qui s’y fait de pire.

Il faut cesser de se surprendre chaque fois qu’on lit une connerie. Ben oui, il y a des cons. C’est une vieille nouvelle. On va finir par en revenir.

On ne changera jamais les frustrés. Ce que l’on peut changer, c’est notre attitude face aux frustrés. Les réseaux sociaux, c’est ça : une « ligne ouverte », une voie libre sur laquelle tout le monde peut s’engager. C’est sûr qu’on va y retrouver ce que l’humain a de pire et de meilleur. On le sait. Il faudrait arrêter de s’attarder sur le pire et se concentrer sur le meilleur. En ne parlant que du pire, on fait le jeu des intimidateurs. Ils sont en manque d’attention et on leur en donne plein. Ce n’est pas très malin de notre part.

Voilà, on en a déjà assez parlé.

Bon samedi !

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