Opinion Nadia El-Mabrouk

Quand l’intimidation prend le pas sur la solidarité

« Gens du pays, c’est votre tour 

De vous laisser parler d’amour. »

Cet hymne de Gilles Vigneault résonne à mes oreilles en cette fin d’été où les gens de ce pays ont vu leur langue, leur couleur de peau, leur culture, renvoyées au banc des accusés. Betty Bonifassi, Robert Lepage et les spectateurs ayant assisté à la pièce SLĀV avant qu’elle ne soit censurée par le Festival de Jazz, ont dû subir l’humiliation de la part d’activistes venus les traiter, en anglais, de racistes et de « Blancs privilégiés ». Mais que veulent au juste ces « justiciers sociaux » ? Sont-ils animés d’un projet de société ou seulement du besoin de détruire ?

Je me souviens d’une journée de 2016 où des citoyens manifestant contre le projet de loi 59, cette loi « anti-blasphème » qui menaçait la liberté d’expression, ont été accueillis par le militant Jaggi Singh et ses supporters altermondialistes scandant « Gens du pays, vous êtes des racistes ».

Il n’y a pas pire offense, pire haine que de retourner un hymne patriotique contre son peuple. Pourtant, personne n’a alors crié à l’appropriation culturelle.

Personne n’a soulevé l’affront subi par Gilles Vigneault et par la culture québécoise tout entière.

Cet été 2018, alors que certains chroniqueurs s’efforçaient de trouver des vertus à la notion d’« appropriation culturelle », d’autres ne se gênaient pas sur les réseaux sociaux pour exprimer leur mépris. Il y a par exemple cette vidéo largement partagée d’humoristes montréalais faisant la leçon à Betty Bonifassi en la traitant de « bitch »*, ou Will Prosper, coinitiateur de la Coalition pour l’égalité et contre le racisme qui, sur sa page Facebook, renchérit sur un commentaire traitant le député péquiste Maka Kotto de « nègre de service », ou encore la journaliste Anne Lagacé Dowson, ex-candidate du NPD, insinuant que Robert Lepage serait étroit d’esprit, étant natif de la ville de Québec ! Comment expliquer une telle banalisation du mépris des Québécois francophones ?

Une censure institutionnalisée

Dans le cas de Kanata, les injonctions sont officiellement cautionnées par le Conseil des arts du Canada (CAC). Ainsi, dans une entrevue en septembre 2017, Simon Brault, directeur du CAC, explique qu’un projet artistique ayant trait aux autochtones, présenté par des artistes « qui sont blancs », ne peut être financé s’il n’y a pas « démonstration » que les artistes sont en « discussion » avec les autochtones. Comment accepter que des règles soient ainsi établies selon la couleur de peau ? N’est-ce pas une forme étatisée de discrimination raciale ?

Il est, bien sûr, du rôle de l’État d’appliquer des programmes d’accès à l’égalité et de s’assurer d’une représentation équitable des minorités et des autochtones. Cela passe par la valorisation de la culture autochtone, et non pas par la censure des Blancs. Sinon, qu’est-ce qui empêcherait que des règles similaires soient établies pour d’autres groupes ? C’est d’ailleurs ce que semble avoir compris Sophie Prégent, présidente de l’Union des artistes, en déclarant que désormais des œuvres qui parleront « des immigrants ou des autochtones » ne devront pas se faire sans ces derniers.

Mais qui seront au juste ces « représentants » des immigrants et des autochtones avec qui il faudra négocier ? Comment s’assurer de leur représentativité ? Autant pour SLĀV que pour Kanata, des points de vue différents ont d’ailleurs été exprimés par des ressortissants des groupes concernés. C’est le cas de Bryan Decontie, d’origine algonquine qui, dans les écrans de ce journal, déplore qu’une minorité prétendant parler au nom de l’ensemble des peuples autochtones infléchisse le discours public.

Une solidarité pour le Québec

Cette racialisation des rapports sociaux a de quoi inquiéter. Elle est le résultat d’un discours porté par une certaine gauche dite « inclusive », se souciant plus de lutte de races que de lutte des classes, et véhiculant les concepts de « culpabilité blanche » et de « safe space ». Ce sont les mêmes « solidaires » qui accusent de racisme tous ceux qui s’expriment pour la laïcité au Québec. En guise de solidarité, c’est plutôt une division sur la base d’identités raciales et religieuses dont il s’agit.

Or, il est urgent d’instaurer une réelle solidarité citoyenne pour faire contrepoids au néolibéralisme sauvage qui ne s’embarrasse pas de justice sociale. Plutôt que de percevoir ceux qui ont réussi comme des « privilégiés », c’est cet objectif de réussite que nous devrions viser collectivement en réclamant des politiques qui protègent les plus faibles et assurent des garanties sociales. Mais comment y arriver dans un tel climat d’hostilité où les principaux militants pour la justice sociale sont ceux qui distribuent des étiquettes infamantes ? C’est ce manque de crédibilité des militants de gauche qui explique, en grande partie, l’échec de la mobilisation contre le G7 au printemps dernier.

Sommes-nous condamnés à rester cloisonnés, chacun dans sa « race », son ethnie, sa communauté ? Aucun projet social ne pourra se réaliser si on ne se perçoit pas tous comme les gens de ce pays, si on ne converge pas vers des valeurs communes, les valeurs fondamentales du Québec moderne.

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