Opinion : Vitamine C

Quand la réputation dépasse la vertu

Quand les premiers colons ont posé les pieds en Nouvelle-France, plusieurs ont souffert et sont morts du scorbut. Les connaissances liées à l’alimentation étaient alors élémentaires et la portion quotidienne de vitamine C ne figurait pas encore dans les guides alimentaires qui ne seront présentés que quelques centaines d’années plus tard !

La science a permis de démontrer l’existence de vitamines qui, même en traces, sont essentielles pour diverses fonctions physiologiques qui permettent l’homéostasie et la vie. Mais au-delà de cela, toute autre fonction de la vitamine C est une spéculation.

Peu s’en faut que certains proposent que des doses plus importantes puissent rétablir des fonctions normales à des tissus devenus aberrants comme un cancer. C’est malheureusement une proposition trop facile à faire et essentiellement non prouvée.

Linus Pauling, scientifique de renom dans le domaine de la chimie et de l’atome, a été dans les premiers à proposer des attributs à la vitamine C en excès dans les suppléments, principalement pour réduire le rhume commun. Certains lui ont affublé le titre de pape de la vitamine C. Mais son interprétation des données scientifiques d’alors lui a valu une sévère critique de la communauté médicale et il était bien loin de démontrer quoi que ce soit par rapport au cancer.

Mais la réalité réside ailleurs. Malheureusement, la santé est une affaire de gros sous, de marketing qui dépasse la stricte science.

À chaque médicament, chaque dose, une industrie, comme n’importe quelle autre, est mise en branle et cherche à dégager un profit.

Par contre, le Canada a établi des lois restreignant la publicité sur les médicaments, contrairement aux États-Unis où la population est bombardée de phrases accrocheuses visant à capter l’attention et l’intérêt. Cela ne s’applique cependant pas aux suppléments alimentaires et autres formulations qui ne devraient pas avoir la prétention de traiter une condition médicale particulière. Ainsi, il devient facile de laisser des détaillants promouvoir à des fins commerciales des traitements qui n’en sont pas et ne sont pas reconnus comme tels par les autorités sanitaires.

Ainsi, pendant que l’on parle de vitamine C intraveineuse, on ne parle pas de traitements éprouvés contre le cancer qui ne sont pas remboursés par le gouvernement ou dont l’accès est restreint pour des raisons strictement budgétaires. Bien sûr, derrière chaque dollar dépensé par l’État pour traiter, il y a un profit de l’industrie. Il faut donc prouver que chaque sou investi remplit les attentes. Inversement, il est attendu que les promoteurs d’options thérapeutiques restreignent leurs interventions et n’influencent pas indûment les gens qui sont en besoin et en position de vulnérabilité.

Au-delà de la polémique

Au-delà de la polémique du Pharmachien récemment déclenchée non pas sur le fond, mais sur la base de menaces lancées par des gens d’opinion irrationnelle, il est triste de constater que des « vérités personnelles » prennent le pas sur la preuve scientifique et que même des politiciens s’engagent envers des pans de la vie de la société civile qui ne les concernent nullement.

Le gouvernement a établi il y a plusieurs années des processus de révision pour fonder ses décisions sur des démonstrations scientifiques et économiques indépendantes avant de rembourser de nouveaux traitements. À cet égard, il a agi parfois correctement, parfois erronément, mais en respectant un processus qui laisse de côté le plus possible l’influence politique et industrielle qui n’est que nocive à la création d’une société qui respecte ses principes et ses contribuables.

Pendant que les promoteurs de la vitamine C intraveineuse et les patients qu’ils ont subjugués exigent l’accès à un traitement qui ne dispose pas d’une efficacité démontrable, l’approbation de nombreux médicaments est retardée par des processus bureaucratiques qui ne sont pourtant pas pourfendus par les bien-pensants.

Il est possible, car tout ne peut être contrôlé et expliqué, que certains patients retirent un bien-être de la vitamine C intraveineuse.

Par contre, il est plus probable que bien d’autres médicaments promettent un bien-être bien supérieur à cette option qui profite d’une publicité que plusieurs pourraient qualifier de trompeuse.

Il est à espérer que l’épisode actuel permette un réel débat sur l’influence excessive des médias sociaux sur le processus de décision social et sur la modulation des espoirs de gens qui sont aux prises avec des situations personnelles difficiles et perturbantes comme le cancer.

Ce cas d’espèce est symptomatique d’une société qui accepte de plus en plus la désinformation. On donne la faveur à des intentions mal fondées et la préséance à des droits et désirs individuels qui brisent le tissu social qui a jusqu’à maintenant généralement permis de désigner des gouvernements responsables du bien collectif dans le contexte de droits balisés par une charte et des lois.

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