Les propriétaires de petits commerces sur rue vont rager en voyant le nouveau rôle d’évaluation. Malgré une conjoncture d’affaires défavorable, la hausse moyenne de la valeur foncière atteint 10 %, soit bien plus que la moyenne observée de 5,4 % dans le secteur non résidentiel pris dans son ensemble.
Une hausse de valeur foncière supérieure à la moyenne entraîne habituellement un alourdissement du fardeau fiscal pour la catégorie de bâtiments concernée. Le portrait précis sera connu dans le prochain budget de la Ville, l’automne prochain.
En conférence de presse, hier matin, le président du comité exécutif, Pierre Desrochers, a annoncé son intention d’utiliser tous les outils en son pouvoir pour limiter la hausse de taxes qui se dessine pour les petits commerçants tout en reconnaissant que les pistes les plus prometteuses proposées par le comité sur la fiscalité nécessitent des amendements à la loi.
C’est le cas notamment de l’ajout à la structure fiscale d’un taux particulier réduit s’appliquant à la première tranche de 1 million de dollars de valeur foncière pour les immeubles de la catégorie commerciale.
Le propriétaire immobilier bien connu Peter Sergakis insiste sur l’urgence d’agir. « Sur les artères principales de la ville, c’est la catastrophe totale. C’est rendu que la moitié du loyer demandé sert à payer les taxes », s’exclame-t-il. Avec le déséquilibre introduit par le nouveau rôle, M. Sergakis craint un déplacement du fardeau fiscal sur les épaules des proprios de petits immeubles commerciaux.
Dans son rapport remis en août dernier, le Comité de travail sur la fiscalité non résidentielle et le développement économique a d’ailleurs souligné les difficultés auxquelles fait face le petit commerce à Montréal.
« Une attention particulière doit être accordée aux petits commerces de quartier. Bon nombre d’entre eux, notamment dans les quartiers centraux, ont connu depuis quelques années une croissance importante de leur compte de taxes découlant de la forte augmentation de la valeur foncière de leur immeuble. Or, une augmentation de la valeur foncière ne signifie aucunement une augmentation de la clientèle et du chiffre d’affaires. La situation de plusieurs commerces dans les quartiers est préoccupante », y lit-on.
« À terme, si la tendance actuelle se poursuit, il est à craindre que certains types de commerce n’aient plus pignon sur rue le long de certaines artères commerciales. »
— Rapport du Comité de travail sur la fiscalité non résidentielle et le développement économique
La Ville avait pris les devants en limitant l’augmentation des charges fiscales des immeubles non résidentiels à 1 % en 2016, soit la moitié de l’indexation des charges résidentielles. Il reste à voir si la mesure sera reconduite pendant plusieurs années. Actuellement, le taux de taxes non résidentiel est près de quatre fois et demie plus élevé que le taux résidentiel.
Or, les hausses de valeur se poursuivent dans le nouveau rôle. Les augmentations pour les commerces ayant pignon sur rue sont particulièrement élevées à Outremont (13,2 %), au centre-ville (12,7 %), à Lachine (12,5 %) et dans Rosemont–La Petite-Patrie (11,6 %).
« L’évaluation des valeurs immobilières ne dépend pas seulement de la situation des commerçants sur rue, explique Simon Gaudreault, directeur des affaires économiques pour la Fédération canadienne des entreprises indépendantes, le lobby des PME. Le fait que beaucoup de ces immeubles sont concentrés dans des secteurs plus en demande où il y a plus de spéculation immobilière influe sur leur valeur. »
Les hausses les plus faibles sont par ailleurs observées à Montréal-Est (1,8 %), Kirkland (3 %), L’Île-Bizard (4,5 %) et LaSalle (5,5 %).
De leur côté, les propriétaires de centres commerciaux vivent une dynamique différente. Les centres commerciaux ont souffert du départ de Target et de la fermeture de magasins des chaînes Future Shop et Bureau en gros. Le Marché Central, par exemple, qui a longtemps été une destination régionale de magasinage, a été aux prises avec une demi-douzaine de locaux vacants.
La hausse moyenne de la valeur des centres commerciaux se situe à 1,5 % seulement, soit moins que la moyenne de 5,4 % du secteur non résidentiel. Une hausse des valeurs inférieure à la moyenne ouvre habituellement la porte à un allègement du fardeau fiscal.
DES RÉACTIONS
« Je constate qu’il y a peu d’écart entre les types d’immeubles résidentiels, condo, maison et plex. Il n’y aura donc pas ou peu de déplacement du fardeau fiscal entre les catégories de propriétaires, ce qui est une bonne nouvelle pour ceux qui sont dans la situation de devoir refiler une hausse de taxes à leurs locataires. »
— Hans Brouillette, porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec
« Dans les trois derniers rôles, la hausse avait été de 30 % chaque fois dans le multilocatif. On vit bien cette fois-ci avec une hausse de 13,2 % [pour les immeubles de 6 logements et plus]. Selon nous, c’est une reconnaissance de la part du service d’évaluation de la Ville de Montréal que les évaluations dans le multirésidentiel ont été mises à niveau et correspondent maintenant à la réalité du marché. »
— Mathieu Duguay, président de Cogir, propriétaire-gestionnaire d’immeubles de logements, de résidences pour personnes âgées et de centres commerciaux
« Le rôle, c’est une partie seulement de l’équation. Le vrai test viendra avec le prochain budget. Comment les taux d’imposition dans l’immobilier commercial vont croître ? Nous sommes de chauds partisans du rapport d’Anne-Marie Hubert [sur la fiscalité non résidentielle]. L’IDU espère que les recommandations fassent l’objet d’une attention particulière des membres de l’administration. »
— André Boisclair, PDG de l’Institut du développement urbain du Québec